Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du mardi 22 juin 2021 à 22h30
Accès aux œuvres culturelles à l'ère numérique — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

Vous aviez l'ambition de nous proposer une grande loi sur l'audiovisuel, madame la ministre, et on en aurait eu vraiment besoin, mais force est de constater que cela ne sera pas le cas. Au texte initial de l'an dernier, enterré après son examen en commission, succède un projet de loi nettement moins ambitieux mais qu'il n'a malgré tout pas été aisé d'inscrire à notre ordre du jour. C'est donc avec frustration que nous remettons l'ouvrage sur le métier, car nous en constatons d'abord les manques avant de nous réjouir de ses avancées.

Ce texte ne sera pas l'occasion de discuter de la stratégie choisie pour notre audiovisuel et nos médias, et je le regrette vivement tant le sujet est essentiel pour notre pays. Il y a en effet des enjeux immenses au cœur des mutations qui touchent l'audiovisuel et le numérique, car celles-ci affectent profondément notre société et notre démocratie, notre démocratie malade.

L'annonce récente du projet de fusion de TF1 et de M6 est une des illustrations des changements à l'œuvre et justifie les inquiétudes que nous nourrissons à l'endroit du paysage audiovisuel. Alors que nous déplorons tous, chaque jour, l'affaiblissement du débat public, comment ne pas s'interroger sur la concentration des médias dans les domaines de l'information et de la publicité ? Alors que nous traversons aujourd'hui une période électorale marquée par de fortes abstentions et donc par la désaffection de nos concitoyens, comment ne pas songer au rôle que nous aimerions voir jouer nos médias ?

Aujourd'hui sans doute plus que jamais, nous avons besoin d'un environnement audiovisuel public fort, ce qui nécessite à la fois une vision, une stratégie et des moyens. C'est notre rôle de parlementaire que de le dire, et notre devoir de législateur que de rendre cela possible.

De trop nombreux médias s'engagent en effet dans une course à l'audience, à l'argent, et contribuent ainsi à notre affaiblissement démocratique. Le mouvement de grève de la rédaction d'Europe 1 doit à cet égard nous interpeller car il montre combien est nécessaire une vraie vision, au moins concernant nos médias publics, pour tirer vers le haut les programmes afin d'élever le niveau de culture, de lutter contre les haines et les obscurantismes, et donc d'éclairer et de guider nos concitoyens, renforçant ainsi notre démocratie. À l'heure des réseaux sociaux et de la désinformation, à l'heure des petites phrases réductrices de la pensée, nous devons accompagner les médias vers la recherche de l'excellence ! C'est notre rôle et notre devoir.

Ce projet de loi atrophié laisse de côté de nombreuses questions sans les trancher : la réforme de la contribution à l'audiovisuel public, que Franck Riester avait promise pour 2021 au plus tard, les missions et la gouvernance de notre audiovisuel public ou encore l'explosion de la publicité.

Le Sénat a tenté de combler certains manques, ce que nous saluons : je pense, par exemple, à la meilleure accessibilité de l'offre de proximité de France 3, car notre télévision publique doit refléter nos territoires. Disant cela, je ne peux qu'aussitôt déplorer la suppression de France Ô, qui accentue le sentiment d'invisibilité de nos concitoyens d'outre-mer. La seule victoire arrachée est le maintien de France 4, cette chaîne jeunesse, en faveur de laquelle notre groupe Libertés et territoires, Frédérique Dumas en tête, s'était particulièrement mobilisé. L'annonce du décret pris en application de la décision du Président de la République est à cet égard la bienvenue, mais demeure insuffisante : nous souhaitions inscrire le maintien de France 4 dans la loi – nous y reviendrons lors de l'examen des amendements.

Dans ce contexte de mutations audiovisuelles, le rôle des autorités indépendantes est crucial : je pense particulièrement aujourd'hui au CSA, et demain à l'ARCOM que cette loi va créer. Mais lui donnera-t-elle l'autorité et les moyens de jouer son rôle de gendarme pour mieux contrôler et sanctionner les dérives en tous genres qui attisent les replis sur soi, les violences, les haines et les désinformations manifestes dans nos médias ? Pour être à la hauteur de la tâche que nous lui assignons, l'ARCOM devra rendre des comptes au législateur et disposer de moyens humains et financiers suffisants – alors que ceux du CSA avaient eu tendance à baisser ces dernières années –, sachant que le texte renforce, à raison, ses missions de lutte contre le piratage.

S'agissant de l'autre volet essentiel de ce texte, à savoir le soutien à la création et la protection des œuvres culturelles, le débat est tronqué puisque les directives européennes sur les droits d'auteur et sur les services médias audiovisuels ont été transposées par ordonnance et qu'en parallèle, les négociations continuent – je pense notamment aux obligations d'investissement des chaînes –, le Parlement en étant écarté. Tout cela ajoute à la confusion.

Si le groupe Libertés et territoires accueille favorablement ce projet de loi, il insiste sur le fait que, sans stratégie ni vision d'ensemble pour notre audiovisuel public et pour notre création, nous prenons le risque de ne pas être à la hauteur des défis que leurs mutations posent à notre société et à notre démocratie.

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