Nous accueillons aujourd'hui M. Arnaud Montebourg, ancien ministre du redressement productif, puis ministre en charge de l'économie du redressement productif et du numérique, fonction qu'il a occupée jusqu'à son départ du Gouvernement à la fin du mois d'août 2014.
Il va sans dire que cette audition est très importante pour notre commission d'enquête, puisque vous avez eu à connaître, monsieur le ministre, de nombreux dossiers sensibles et à rebondissements, depuis le dossier ArcelorMittal et votre volonté de nationaliser les hauts fourneaux de Florange, jusqu'à PSA que vous avez défendu avec succès
Les observateurs politiques et économiques convergent pour vous reconnaître un incontestable volontarisme en matière de politique industrielle ; chacun peut avoir un avis sur les résultats ou sur l'opportunité même de cet interventionnisme mais personne ne peut vous reprocher d'être resté passif. Votre passage à Bercy aura notamment été marqué par la prise d'un décret, le décret du 14 mai 2014 dit décret « Montebourg » précisant la liste des investissements étrangers, soumis à autorisation préalable, dans le prolongement du décret Villepin. Ce décret a néanmoins été pris dans l'urgence lorsque vous avez découvert le projet de vente d'Alstom à son concurrent américain General Electric (GE).
C'est sur ce dossier très emblématique que nous vous auditionnons aujourd'hui. Nous aimerions vous entendre, dans une triple perspective, la première étant celle de l'« affaire Alstom » proprement dite, telle que vous l'avez vécue à Bercy jusqu'en août 2014 – je rappelle, en effet, que ce n'est pas vous mais votre successeur qui a formellement donné l'autorisation d'investissement en novembre 2014.
Quels ont été, monsieur le ministre, les acteurs gouvernementaux qui, outre vous-même, ont été directement impliqués dans ce dossier, notamment en ce qui concerne l'appréciation des enjeux en termes de sécurité nationale et de défense ?
Une polémique vous a opposé à M. Patrick Kron, alors P-DG d'Alstom. Il aurait, selon vous, engagé des négociations avec GE avant de prévenir le Gouvernement. Avec le recul, pensez-vous qu'il aurait pu prévenir en amont d'autres autorités mais en oubliant de vous en faire part ? Nous interrogerons évidemment M Kron à ce sujet.
Quel a été, selon vous, le poids des procédures américaines anti-corruption dans la décision des dirigeants d'Alstom ? Sur ce point, disposiez-vous à Bercy d'une cellule de suivi de ce type d'affaires qui, s'agissant d'Alstom, était très ancienne, et avez-vous par exemple été alerté qu'un cadre dirigeant d'Alstom était incarcéré aux États-Unis depuis le mois d'avril 2013 ?
Sur le fond du dossier, y avait-il urgence à vendre Alstom au regard des informations en votre possession quant à sa situation industrielle, commerciale ou financière ?
Il existait, semble-t-il, un plan B avec Siemens, qui, dès 2003-2004, lorsqu'Alstom avait connu les problèmes de trésorerie que l'on sait, avait manifesté son intérêt pour la branche « Énergie ». Quels sont les arguments qui vous ont été opposés pour rejeter cette solution, laquelle aurait pour le coup pu constituer un deal entre égaux, et de surcroît entre Européens, Alstom cédant ses activités « Énergie » à Siemens et Siemens cédant ses activités « Transport et Signalisation » à Alstom ? Cette solution a-t-elle, selon vous, été suffisamment explorée.
Enfin, pourrez-vous nous éclairer sur les conseils extérieurs auxquels l'État a eu recours, dès lors notamment qu'il a disposé des actions de Bouygues, pour le conseiller sur ce dossier ?
La deuxième perspective dans laquelle nous aimerions vous entendre est plus générale. À partir du cas d'Alstom et des autres dossiers que vous avez eu à traiter à Bercy, avez-vous le sentiment qu'il y existe dans notre pays, notamment depuis la disparition du ministère de l'industrie, une politique industrielle claire, élaborée par le ministère de l'économie ?
L'État dispose-t-il d'un système de veille stratégique pour nos entreprises et nos filières les plus exposées ? Jugez-vous satisfaisant le processus de contrôle des investissements étrangers, non seulement au regard des textes en vigueur, mais également des pratiques en la matière, Bercy ou l'Elysée opposant souvent le secret des affaires aux tentatives d'investigation sur les dossiers ?
Vous aviez annoncé, lors de la publication de votre décret, la fin du « laisser-faire » : considérez-vous que ce « laisser-faire » était et reste une pratique courante du ministère de l'économie dans ce genre de dossiers ? Existe-t-il à Bercy, une culture de la négociation, voire du rapport de force pour tout ce qui a trait aux investissements étrangers ? Enfin, les Américains disposent avec le Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) d'un système de contrôle et de blocage très abouti ; que vous inspire en comparaison notre dispositif ?
Nous souhaiterions en dernier lieu vous entendre sur l'évolution de la situation depuis l'accord formel donné par l'État en novembre 2014 à la vente d'Alstom « Énergie » à GE. Pouvez-vous nous rappeler de façon précise quelles conditions étaient posées par l'État dans le protocole d'accord que vous avez vous-même signé le 21 juin 2014 ? Ce protocole prévoyait que l'État accorderait son autorisation d'investissement définitive sous réserve de la signature d'accords détaillés confirmant et précisant les engagements prévus dans ce protocole du 21 juin, pour ce qui concernait notamment les questions touchant à la sécurité nationale : estimez-vous que cet ensemble – composé, me semble-t-il, de quatorze contrats et lettres d'engagement – a été élaboré par votre successeur conformément au protocole d'accord général du 21 juin ?
Vos successeurs vous semblent-ils, par ailleurs, avoir fait correctement usage des pouvoirs qui leur étaient donnés pour s'assurer du respect des différents contrats et lettres d'engagement, sachant que le sujet n'est pas épuisé puisque les conseils d'administration des trois joint ventures siègent encore régulièrement ?
La création des 1000 emplois promis par GE sur le périmètre des activités industrielles en France, ainsi que sa promesse de ne fermer aucun site de fabrication avant novembre 2018 ne sont-elles pas une compensation bien illusoire ? En la matière, ce qui est en train de se passer à Grenoble avec les activités hydroélectriques nous laisse pour le moins perplexes.
Enfin, quel regard portez-vous sur le renoncement de l'État à entrer durablement au capital d'Alstom en rachetant par exemple les actions de Bouygues ? D'un côté, M. Bruno Le Maire nationalise temporairement STX, de l'autre, il renonce à toute participation nationale dans Alstom, ce qui implique une perte de contrôle sur les trois joint ventures qui ont été créées mais aussi sur Alstom Transport.
Monsieur le ministre, vous témoignez devant une commission d'enquête parlementaire. Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois donc vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure. »