Nous aurions voulu voter une grande loi d'égalité des droits. Nous aurions voulu voter la fin des discriminations inscrites dans la loi à l'encontre des familles homoparentales. Nous aurions voulu nous réjouir que, près de huit ans après la loi autorisant le mariage et l'adoption pour les couples de même sexe, la promesse faite alors soit enfin tenue. Mais le vote d'aujourd'hui est une victoire au goût amer.
Une victoire, oui, parce que la PMA pour toutes les femmes sera enfin possible en France. C'est une grande avancée pour les couples de femmes et les femmes célibataires qui l'ont tant attendue. Une victoire sur ceux qui voudraient imposer un modèle de famille unique, nier toutes les autres et condamner ce faisant les parents et les enfants concernés à une grande précarité, leur faire intérioriser le rejet, la discrimination, la honte. Nous le disons : nous sommes fiers de la diversité des familles !
Mais cette victoire a un goût amer. Amer, à cause de tout ce temps perdu, de toutes ces familles qui ont attendu en vain, de tous ces espoirs déçus, de tous ces enfants si ardemment désirés qui n'ont pu voir le jour. Amer, parce que l'égalité n'est toujours pas acquise. Amer, parce qu'il faudra légiférer encore une fois pour supprimer ces discriminations que le Gouvernement s'est obstiné à inscrire dans la loi. Il vous a fallu un mois en juillet 2017 pour détruire le code du travail, mais quatre ans pour que l'on vote enfin la PMA pour toutes. Comme en 2013, ces débats interminables ont laissé prospérer l'homophobie.
Amer, parce que certaines personnes devront encore et toujours choisir entre un état civil qui respecte leur identité de genre et l'assistance dont bénéficient d'autres couples pour fonder leur famille. Parce que, là encore, le Gouvernement s'est entêté à exclure les personnes transgenres, sur la base du sexe inscrit à l'état civil. En le suivant, le législateur s'est lâchement défaussé sur le juge pour l'établissement de la filiation des personnes transgenres qui ont des enfants. Résultat : la loi est incohérente, et l'établissement de la filiation risque de créer une grande insécurité pour ces familles.
Amer encore, parce que tous ces débats ont masqué les autres enjeux de la loi de bioéthique, pourtant nombreux. La question de la PMA pour toutes n'est pas un sujet de bioéthique, mais un sujet d'égalité. En focalisant les discussions là-dessus, le Gouvernement a délibérément occulté des sujets qui auraient mérité un véritable débat national.
Amer, parce que la loi de bioéthique ne protège pas les enfants intersexes des mutilations que sont les opérations de conformation sexuée non consenties. Au contraire, elle organise un parcours de soins pour des enfants qui ne sont pas malades. Je crains que cela ne soit contre-productif pour les droits des personnes intersexes. Si l'abstention thérapeutique est mentionnée, elle n'est pas érigée en règle de bioéthique, alors que les principes d'autodétermination de la personne et d'intégrité du corps auraient dû être consacrés et garantis par la loi.
Amer enfin, parce que la question du droit à mourir dans la dignité n'a pu être abordée, à la suite du refus catégorique du Gouvernement. Pourtant, un large consensus existe dans la société et dans cette assemblée pour dire que la loi est insuffisante pour permettre une fin de vie digne.
Il y a lieu cependant de se réjouir de certaines avancées permises par la loi – par exemple, la fin des discriminations relatives au don du sang, ou la possibilité pour les mineures d'avorter pour raisons médicales, sans le consentement de leurs parents. Il n'en reste pas moins que l'effectivité du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est menacée en France, et que rien n'est mis en œuvre pour y remédier.
À force de vouloir faire du « en même temps », le Gouvernement réalise l'exploit de ne satisfaire véritablement personne. D'une part, les opposants à la PMA sont toujours contre le texte : les concessions qui leur ont été faites ne sont pas une preuve de bonne volonté, ou d'équilibre de la loi, mais de faiblesse coupable. Or nous devons assumer une position de principe : la famille est un fait social, bien plus qu'un fait biologique. En conséquence, nous voulons l'égalité des familles, dans leur diversité, pour protéger les droits des enfants et des parents.
D'autre part, celles et ceux qui sont favorables à la PMA pour toutes les personnes en capacité de porter un enfant continuent de protester contre les discriminations qui vont perdurer dans la loi. Il faudra bien les supprimer un jour, puisque nous avons tristement manqué l'occasion de consacrer avec cette loi l'égalité des droits.
Alors que nous achevons aujourd'hui un long travail, permettez-moi de conclure en exprimant la consternation que m'inspire la tentative piteuse du Gouvernement d'instrumentaliser le corps des femmes. Ils veulent pouvoir prétendre, à un an de la fin du mandat d'Emmanuel Macron, que la promesse a été tenue, qu'ils sont bien les progressistes qu'ils prétendaient être. Rien n'est plus faux, et aucune gesticulation ne permettra de faire croire le contraire.
Nous voterons pourtant cette loi…