Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du mercredi 30 juin 2021 à 15h00
Respect des principes de la république — Article 6

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

Nous ne pouvons bien sûr qu'approuver le principe selon lequel pas un euro ne doit être versé à une association qui soutiendrait le terrorisme. Il faut espérer, toutefois, que l'on ne compte pas sur les dispositions de cet article pour éviter cela ! Par ailleurs, nous estimons que les associations manquent cruellement de moyens financiers.

Je ferai dès lors trois observations.

Premièrement, ce dispositif, qui concerne le monde associatif dans son ensemble, comporte des risques d'interprétations arbitraires.

Le monde associatif représente 1,5 million d'associations, 13 millions de bénévoles et 1,8 million de salariés. C'est une véritable force pour le pays.

La liberté d'association, c'est la liberté de créer ou de rejoindre un groupement de personnes volontaires, réunies autour d'un projet commun, la viabilité financière étant une condition de cette liberté. Sa valeur constitutionnelle a été reconnue par la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, celui-ci ayant censuré à cette occasion l'essentiel du projet de loi Marcellin qui tendait à réformer la liberté d'association en la soumettant à un mécanisme d'autorisation préalable.

Ainsi, en soumettant l'octroi de subventions à la signature d'un contrat d'engagement républicain par les associations demanderesses – subventions qui sont la condition centrale de leur survie –, les dispositions de cet article reviennent à porter atteinte à la liberté d'association. Eu égard aux conséquences qu'elles emportent et aux cibles qu'elles visent, à savoir une minorité d'associations prônant le séparatisme, elles apparaissent totalement disproportionnées.

De plus, comme le Mouvement associatif l'a indiqué à juste titre, un tel contrat ne contraindrait que les associations, sans aucune forme d'engagement réciproque de la part de l'État. À cela s'ajoute que le Conseil d'État, ainsi que la Défenseure des droits, a souligné que ce contrat comporte des notions sujettes à interprétations antagonistes et des incertitudes qui ne manqueraient pas d'introduire de sérieux risques d'interprétations arbitraires. Enfin, la Défenseure des droits s'est également inquiétée qu'un tel dispositif participe à un renforcement global du contrôle de l'ordre social.

Qu'en est-il des associations hébergeant des jeunes en situation irrégulière ? Dans mon département du Saône-et-Loire, par exemple, l'association Le Pont héberge en effet une famille de Géorgiens, mais se trouve en difficulté depuis que le préfet a ordonné à cette famille de quitter le territoire. Cette association contrevient-elle à la sauvegarde de l'ordre public, principe figurant dans le contrat d'engagement républicain ? Elle respecte pourtant le principe de fraternité, lequel est également mentionné dans le contrat. Que se passe-t-il quand le respect de deux principes semble contradictoire ? L'association en question risque-t-elle de se voir supprimer ses subventions ?

Deuxième observation : les dispositions de l'article 6 nous apparaissent juridiquement imprécises, pour ne pas dire biaisées.

À l'origine, avec ce contrat, le Gouvernement voulait imposer le respect des principes de liberté, d'égalité et de fraternité, le respect de la dignité de la personne humaine et la sauvegarde de l'ordre public. Initialement employé, le terme « valeurs » n'était pas juridiquement défini et pouvait donner lieu à des interprétations larges, voire arbitraires. Après avis du Conseil d'État, le Gouvernement a donc opportunément choisi d'utiliser le terme « principes », défini par la jurisprudence sur des bases objectives. Cependant, l'exposé des motifs et l'esprit du texte demeurent inchangés.

L'utilisation du terme « contrat » nous apparaît également problématique. Comme l'explique Jean Baubérot, il « a été maintenu contre l'avis du Conseil d'État, ce qui manifeste une volonté politique de faire croire aux associations qu'elles passent un contrat, alors que ce n'est juridiquement pas le cas ».

Troisièmement, cet article risque de ne pas être efficace, voire de susciter des effets contre-productifs.

Les relations entre les pouvoirs publics et les associations sont déjà régies par une charte des engagements réciproques, créée en 2001 et renforcée en 2014. Celle-ci vise à mieux reconnaître la vie associative dans notre pays et à intensifier son action au service de l'intérêt général. Cet acte solennel, fondé sur les principes de liberté, d'égalité et de fraternité, renforce les relations tripartites entre l'État, le monde associatif et les collectivités locales, lesquelles sont basées sur la confiance réciproque – confiance dont vous nous avez abondamment parlé, à juste titre, depuis quatre ans –, le respect de l'indépendance des associations et la libre administration des collectivités territoriales.

La charte s'appuie donc déjà sur les principes de la République que sont la liberté, l'égalité et la fraternité et le contrat d'engagement républicain entre en contradiction avec elle. Alors que la charte entend placer la vie associative dans une relation de confiance réciproque, en respectant l'indépendance des associations, le contrat pose le voile de la défiance et constitue une ingérence supplémentaire dans leur financement. Comme le dit Jean Baubérot, « le Gouvernement affirme renforcer la laïcité, alors qu'il porte atteinte à la séparation des religions et de l'État ».

Ensuite, ce contrat ne sera pas un rempart contre le séparatisme, car des personnes ayant de mauvaises intentions à l'égard de la République pourront très bien le signer en donnant l'illusion d'une parfaite intégration. Cette méthode – donner des gages d'intégration avant de passer à l'acte – est d'ailleurs souvent utilisée par les islamistes radicaux.

Enfin, la possibilité que des subventions puissent être retirées en cas de manquement risque d'entraîner un double danger pour de nombreuses associations qui, avec obstination et souvent grâce au bénévolat, tissent du lien social dans des quartiers difficiles : d'une part, la conduite de projets de long terme deviendra impossible, et d'autre part, les incompréhensions qu'entraînera sur le terrain ce contrat mal défini discréditeront ces associations auprès des populations qu'elles soutiennent, au risque de faire émerger dans cinq ou dix ans de nouveaux territoires perdus de la République.

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