Intervention de Elisabeth Moreno

Séance en hémicycle du mardi 5 octobre 2021 à 15h00
Interdiction des pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne — Présentation

Elisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances :

Il y a un peu moins de quarante ans, le 20 décembre 1981, Gisèle Halimi était, madame la rapporteure, assise à votre place en tant que rapporteure de la loi dite de dépénalisation de l'homosexualité. Elle affirmait alors : « La ''norme'' sexuelle ne se définit pas. Elle se dessine à l'échelle de chaque corps, de chaque enfance, de chaque culture, de chaque plaisir, à condition de ne blesser, de n'agresser ou de ne violenter personne. » La même année, la France se décidait à rayer enfin l'homosexualité de la liste des maladies mentales. Il faudra attendre le 17 mai 1990 pour que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) fasse de même et seulement 2018 pour retirer la transidentité de cette même liste.

Ces avancées nous montrent d'où l'on part, en l'occurrence de très loin, et le chemin que nous avons parcouru depuis lors. La société française s'est considérablement transformée. De la pénalisation de l'homosexualité nous sommes passés à la pénalisation de l'homophobie et de la transphobie, puis à la reconnaissance des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres.

Ces avancées n'ont pas seulement été obtenues, elles ont été conquises de haute lutte. En regardant cette histoire dans le rétroviseur, il s'est agi ni plus ni moins que de consolider notre démocratie et de la rendre plus juste et plus égalitaire, de bâtir une société nouvelle, plus humaine et plus inclusive, non pas de faire table rase du passé en remplaçant un modèle par un autre mais de réparer les injustices et d'établir une situation d'égalité.

Ce combat a conduit notre démocratie à se redéfinir, notre société à évoluer, à progresser, à s'améliorer. Ce combat nous a collectivement tirés vers le haut. Ce combat, c'est celui du pacte républicain, parce que la liberté, l'égalité et la fraternité doivent s'appliquer à toutes et tous de la même manière, car les droits fondamentaux ne se divisent pas, tout comme les êtres humains ne se hiérarchisent pas.

Ce combat n'est pourtant pas achevé. Non, il n'est pas encore derrière nous. Les progrès que nous avons accomplis ces dernières décennies ne doivent pas nous éblouir, ils n'ont pas aboli les discriminations et n'ont pas rayé d'un trait de plume les préjugés, encore moins les violences.

Les personnes homosexuelles ont un risque de suicide en moyenne quatre fois plus élevé par rapport à l'ensemble de la population française, et pour les personnes transgenres c'est sept fois plus. Derrière ces statistiques glaçantes, ce sont des vies humaines qui sont en jeu, qui sont blessées, qui sont meurtries, et qui s'achèvent parfois à jamais. Ce sont Sasha et Ivana disparues ce mois-ci et c'est Fouad qui s'est donné la mort en décembre dernier. Cette situation n'est pas acceptable en France en 2021. Cette situation doit collectivement nous interroger. Elle doit collectivement nous faire réagir. C'est la volonté de tisser les fils d'une société plus protectrice qui doit constamment guider notre engagement politique ; c'est le rôle et c'est surtout l'honneur dont peuvent s'enorgueillir à l'unisson le Parlement et le Gouvernement, celui, au demeurant si simple et pourtant si absolu, qui consiste à sauver des vies.

Oui, sauver des vies. C'est, je le crois et je le dis avec toute la gravité qui s'impose, l'enjeu qui nous réunit ce soir dans cet hémicycle : sauver des vies des griffes de la torture, sauver des vies des mains informes de la barbarie, sauver des vies face à des pratiques moyenâgeuses, sauver des vies face à l'intolérance, sauver des vies parce que, non, il n'y a rien à guérir, non, être soi n'est pas un crime, non, on ne doit pas chercher à modifier l'identité de genre ou l'orientation sexuelle d'une personne.

Pourtant, encore aujourd'hui, sur tous les continents, dans notre pays, des personnes considèrent que l'homosexualité et la transidentité sont des maladies honteuses que l'on pourrait soigner. Vous venez de nous le rappeler, madame la rapporteure, et vous l'avez constaté lors des travaux que vous avez menés avec le député Bastien Lachaud, ces pratiques barbares revêtent un caractère protéiforme : harcèlement, agressions physiques, exorcismes, retraites spirituelles, traitement hormonal, et même électrochocs.

À ce titre, elles sont sanctionnées par un ensemble d'infractions réprimant les atteintes à l'intégrité physique, psychique et psychologique. Une circulaire a ainsi été émise par le garde des sceaux le 17 mai 2021 à l'attention des magistrats afin de rappeler les pratiques visées et les instruments juridiques pour y répondre, en fonction des cas concernés : les violences volontaires, aggravées par la circonstance liée à l'orientation sexuelle de la victime, l'abus de faiblesse, le harcèlement, l'exercice illégal de la médecine, les violences volontaires ou encore les délits de discrimination et tant d'autres.

J'ai pu lire ou entendre dire que cette circulaire avait été prise au mépris du travail engagé par les associations et les victimes. Affirmer cela, c'est méconnaître le droit, c'est méconnaître la procédure, et c'est surtout méconnaître ma volonté et celle de la majorité de lutter contre toutes les formes de discrimination et de violence, en particulier lorsqu'elles touchent les plus jeunes. Je tiens à le redire avec force, cette circulaire ne visait pas à abandonner la proposition de loi de Laurence Vanceunebrock. À un moment où nous ne pouvions pas encore nous avancer sur une date d'examen, elle visait simplement à rappeler aux victimes de manière urgente qu'elles peuvent et qu'elles doivent d'ores et déjà déposer plainte, et que, oui, nous pouvons les protéger. Laisser entendre qu'elles ne pouvaient pas encore déposer plainte, c'était prendre le risque de les abandonner à leurs bourreaux le temps que le texte soit examiné.

Cela étant rappelé, il est indéniable qu'en l'absence d'infraction spécifique, le dépôt de plainte est plus difficile pour les victimes, perdues face à toutes ces notions juridiques. C'est pour cela que j'ai très vite affirmé à Mme la rapporteure mon souhait d'avancer ensemble pour trouver le moyen d'inscrire ce texte à l'ordre du jour, dans un calendrier législatif qui est, ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre, particulièrement chargé. Je suis ravie qu'avec le soutien résolu de Christophe Castaner, que je remercie pour son implication exemplaire sur ce sujet, nous puissions légiférer sur la création d'un délit spécifique visant à réprimer les pratiques dites de thérapie de conversion en examinant un texte soutenu par l'ensemble du Gouvernement.

Ce texte permet une prise de conscience de l'ampleur et de la gravité de ces comportements. Cette prise de conscience dépasse nos frontières puisque d'autres pays européens, tels que l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, sont également en train de légiférer en ce sens. La proposition de loi permettra aux victimes de passer plus facilement la porte des commissariats et des gendarmeries pour briser le silence et l'omerta. Elle permettra aux forces de l'ordre et aux magistrats de mieux appréhender ces infractions pour mieux les condamner. Elle permettra enfin d'envoyer un signal clair à celles et ceux qui cherchent à contraindre une personne à retirer ou à renier son identité.

Mesdames et messieurs les députés, il est important de préciser que les thérapies dites de conversion, qu'elles soient religieuses, médicales ou sociétales, sont le fait d'une minorité de personnes, mais cela n'en atténue pas la gravité. Les thérapies de conversion sont des atteintes insupportables à la dignité et à l'intégrité humaines, elles humilient, elles blessent et elles tuent.

La proposition de loi ne vise évidemment pas à stigmatiser celles et ceux qui accompagnent de manière bienveillante les personnes qui en manifestent la volonté. Le travail ou les aides apportées par les familles, les amis, les médecins, les représentants de culte ou les associations sont essentielles et doivent évidemment perdurer. Notre démarche vise en revanche à renforcer les droits et la protection des personnes LGBT+. L'écoute, le soutien et la protection leur sont indispensables. Pour autant, à aucun moment il ne faut laisser penser qu'il y aurait une quelconque pathologie, nécessitant une pseudo-guérison, parce que, je le répète une nouvelle fois, il n'y a rien à guérir.

Comme l'explique le Conseil national de l'Ordre des médecins, les thérapies de conversion ne respectent en rien les règles déontologiques qui s'imposent aux médecins. Ces derniers, qui suivent en très grande majorité ces règles, soutiennent d'ailleurs la proposition de loi.

À un moment où les droits des personnes LGBT+ sont remis en cause au sein même de l'Europe, où ces enjeux affleurent dans notre débat public, ce texte s'inscrit dans le combat mené depuis le début de notre mandat contre toutes les formes de discrimination et pour l'égalité des personnes LGBT+.

Ce combat se traduit par le plan triennal d'action du Gouvernement pour l'égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ que j'ai lancé le 14 octobre 2020. Ce combat s'est traduit notamment par l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, adoptée par l'Assemblée nationale le 29 juin dernier, par la publication il y a quelques jours d'une circulaire du ministère de l'éducation nationale pour mieux accueillir les élèves transgenres et mieux appréhender la transidentité, par la généralisation de l'accès à la PrEP – prophylaxie pré-exposition –, cet outil préventif contre le VIH, aux médecins de ville, par le renforcement de la formation des forces de l'ordre et la désignation de référents discrimination au sein du ministère des armées, ou encore par le lancement d'une campagne de communication nationale de lutte contre les discriminations liées à l'orientation sexuelle et à l'identité de genre par Santé publique France.

Je veux profiter de cette tribune pour saluer le travail remarquable effectué au quotidien par les équipes de la DILCRAH – délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT – ainsi que la détermination de l'ensemble de mes collègues du Gouvernement pour mener ce combat à mes côtés, je pense en particulier à Jean-Michel Blanquer, Éric Dupond-Moretti, Olivier Véran, Gérald Darmanin et Marlène Schiappa.

Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, il y a des batailles qui transforment toute une société et qui rehaussent une nation. Celle qui nous réunit ce soir est de celle-ci. Ce soir, nous sommes écoutés, nous sommes attendus, nous avons le devoir de protéger. D'aucuns me disent que cette loi ne concerne qu'une minorité, qu'elle n'est qu'une précision juridique, mais symboliquement il s'agit pourtant d'une très grande avancée.

Permettez-moi de conclure mon propos, madame la rapporteure, en vous remerciant pour votre détermination et votre pugnacité, depuis trois ans maintenant, qui nous conduit sur les bancs de cette assemblée pour discuter de cette proposition de loi. J'ai retrouvé la même détermination et la même pugnacité au sein du collectif « Rien à guérir » et je tiens devant vous à exprimer toute ma reconnaissance à l'ensemble des associations qui œuvrent chaque jour pour faire avancer les droits des personnes LGBT+.

Enfin, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie toutes et tous pour votre implication et votre présence sur ce texte, qui mérite que nous dépassions les clivages partisans, afin d'être voté d'une seule main. Pour reprendre les mots d'Amin Maalouf, c'est notre regard qui enferme et c'est aussi notre regard qui libère. Ce soir, c'est votre vote qui protégera nos concitoyens et nos concitoyennes.

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