Intervention de Florence Provendier

Séance en hémicycle du mercredi 6 octobre 2021 à 15h00
Bibliothèques et développement de la lecture publique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFlorence Provendier, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Hier matin, le Président de la République déclarait sur France Inter : « Je pense qu'on doit tous regarder la situation en face, la situation est terrible pour les femmes afghanes aujourd'hui. […] Il y [en] a beaucoup qui, ces dernières années, ont pu avoir accès à l'éducation, […] à l'art, et qui, d'un seul coup, ont vu toutes les fenêtres et les portes se fermer. » Cette déclaration d'Emmanuel Macron, qui colle à une actualité dramatique, nous rappelle à quel point l'accès à la culture, aux livres et aux bibliothèques constitue un droit fondamental, dont la privation nous réduit en esclavage.

C'est ce dont témoigne Delphine Minoui dans Les passeurs de livres de Daraya. L'ouverture d'une bibliothèque clandestine, rassemblant tous les livres exhumés des décombres de la ville, est un acte de résistance fort, de la part de cette banlieue rebelle syrienne, face à l'oppression et à la tyrannie du régime de Damas. Sortis des décombres, les livres deviennent « une arme d'instruction massive », une porte vers la liberté.

Nous avons tous en tête des images d'autodafés, de livres détruits sur des bûchers, de bibliothèques vandalisées par des fanatiques. Je ne doute pas, chers collègues, quels que soient nos origines, nos parcours et nos familles politiques, que nous en ayons pleinement conscience : les bibliothèques sont bien plus que des lieux remplis de livres posés sur des étagères. Ce sont de véritables passeuses de culture.

Mais revenons à la genèse du texte que nous examinons à l'initiative de la sénatrice Sylvie Robert, que je salue. La proposition de loi relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique fait suite à son rapport sur « l'adaptation et l'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques publiques », et à celui qu'elle a ensuite rédigé avec la sénatrice Colette Mélot sur « l'extension des horaires d'ouverture des bibliothèques publiques ». Le texte s'inscrit également dans la droite ligne du rapport de MM. Érik Orsenna et Noël Corbin, intitulé Voyage au pays des bibliothèques : lire aujourd'hui, lire demain, et qui fait référence au sein de notre commission. Il fait également écho à la mission flash sur les suites données au rapport Orsenna-Corbin, dont nos collègues Aurore Bergé et Sylvie Tolmont ont été rapporteures.

Alors que les bibliothèques constituent le premier équipement culturel en France, elles ne font à ce jour l'objet d'aucune loi, contrairement aux musées et aux archives, mis à part cinq petits articles dans le code du patrimoine. Adoptée à l'unanimité par le Sénat en juin 2021, la présente proposition de loi a pour ambition de réaffirmer les missions des bibliothèques territoriales mais aussi les grands principes qui guident leur action, en particulier le libre et égal accès, la gratuité et le pluralisme des collections, ainsi que l'égalité, la neutralité et la mutabilité du service public. Elle a également été adoptée à l'unanimité par la commission des affaires culturelles, qui l'a enrichie ; j'y reviendrai dans un instant.

Les 16 500 bibliothèques qui maillent notre territoire sont les premiers équipements nous donnant un accès au savoir. Le texte rappelle d'ailleurs qu'elles constituent, conservent, communiquent et transmettent des collections, des documents et des objets, ainsi qu'un patrimoine. Il s'agit d'un patrimoine pluriel, graphique, photographique mais aussi linguistique, historique ou encore scientifique. Les bibliothèques sont ces vaisseaux qui nous ouvrent les portes de la connaissance de soi, des autres et du monde. Ces écrins de liberté sont des moteurs d'émancipation individuelle qui permettent à chacune et à chacun de mieux se comprendre, de forger son identité et de trouver sa place dans la cité. Elles permettent aussi le vivre-ensemble en réduisant les inégalités sociales et territoriales, en contribuant à la citoyenneté et au plein exercice de la démocratie.

Ainsi, j'ai souhaité que le texte contienne une mesure prévoyant que les bibliothèques garantissent l'égal accès de tous à la culture, à l'information, à l'éducation, à la recherche, aux savoirs et aux loisirs, et favorise le développement de la lecture publique.

Au cours des auditions auxquelles j'ai participé et des visites que j'ai effectuées, j'ai pu constater le travail remarquable mené par les bibliothécaires qui, professionnels ou bénévoles, sont pleinement engagés pour garantir l'accès de tous à la culture. Je pense notamment aux équipes de la médiathèque Valentin Haüy, qui effectuent un travail exceptionnel pour proposer des collections adaptées aux besoins de publics en situation de handicap ou empêchés de lire. L'établissement met ainsi à disposition 20 000 livres en braille et plus de 50 000 livres audio. Cette association multiplie les partenariats avec des bibliothèques locales et internationales, afin de permettre à toutes les personnes empêchées d'avoir effectivement accès à la lecture.

En la matière, si la France prévoit de rattraper son retard grâce à l'application de la directive européenne sur l'accessibilité, nous avons encore beaucoup de progrès à accomplir en matière d'inclusion, y compris dans les bibliothèques. En effet, 96 % des contenus demeurent inaccessibles aux personnes en situation de handicap. De la même façon, l'illettrisme concerne 7 % de la population âgée de 18 à 65 ans, tandis que près de 17 % des Français sont touchés par l'illectronisme. Ces deux réalités privent nos concitoyens de l'accès à la lecture et creusent le fossé de l'exclusion numérique. La présente proposition de loi doit prendre en considération ces défis auxquels nous avons déjà été sensibilisés grâce à l'engagement résolu de nos collègues Béatrice Descamps – pour ce qui concerne le handicap –, Béatrice Piron et Stéphanie Atger – s'agissant de la lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme – et Pierre-Alain Raphan, qui nous alerte en permanence sur les risques liés à l'illectronisme.

Il me semblait aussi nécessaire de préciser que la coopération des bibliothèques avec d'autres organismes culturels, éducatifs et sociaux, ainsi qu'avec les établissements pénitentiaires, est au cœur de leurs missions et suscite une émulation riche et vertueuse. À ce titre, je salue le travail des associations Lire c'est vivre et Lire pour en sortir, qui interviennent en milieu carcéral. Elles contribuent à l'une des grandes missions de la prison, à savoir la réinsertion des détenus, grâce à la lecture.

De plus, par leur action de médiation, les bibliothèques sont de véritables actrices de la démocratie culturelle. Les bibliothécaires redoublent d'initiative et d'implication afin d'orienter les usagers vers des contenus qui leur correspondent et n'hésitent pas à se déployer hors les murs. Certaines associations vont encore plus loin, comme le font Bibliothèques sans frontières avec ses ideas box ou ATD Quart Monde avec ses bibliothèques de rues, qui vont à la rencontre des publics éloignés de la lecture. Les bibliothèques doivent également s'adapter aux évolutions des usages et des technologies, notamment au numérique, ce que traduit la mention du principe de mutabilité du service public que j'ai souhaité ajouter parmi les principes fondamentaux qui sous-tendent leurs missions.

Les bibliothèques sont aussi des lieux plastiques, des « troisièmes lieux », des « lieux du vivre » et pas seulement des « lieux du livre », pour reprendre les termes du rapport Orsenna-Corbin. La médiathèque Aimé Césaire de La Courneuve, installée dans une ancienne usine de métallurgie, qu'elle partage avec un pôle administratif, en constitue un exemple manifeste. Elle a créé des espaces ludiques – l'un consacré aux arts plastiques, l'autre aux jeux vidéo – ou encore un auditorium, afin d'inciter les habitants du quartier à concevoir la médiathèque comme un lieu vivant, un « salon de la communauté », selon la définition qui en est donnée dans les principes directeurs de la Fédération internationale des associations de bibliothèques (IFLA) et de l'UNESCO. En plus d'être des espaces culturels, les bibliothèques sont des espaces de vie, d'échanges, de rencontres humaines et font le lien entre différentes activités. Les bibliothécaires y jouent un rôle clé : ils promeuvent le lien entre les différents services proposés, s'adaptent et anticipent les besoins de leurs publics. Par exemple, à La Courneuve, la médiathèque propose un accompagnement des usagers dans leurs démarches administratives, des cours de français hebdomadaires ou encore des livres dans la langue maternelle des lecteurs.

Au sein de cet écosystème, les bibliothèques départementales jouent un rôle structurant dans la mise en réseau des bibliothèques de leur territoire, tant dans l'allocation des documents et des objets que dans le conseil et la formation des bibliothécaires. Les départements devraient avoir pour obligation de continuer à les faire vivre, à les entretenir et à les faire fonctionner.

Enfin, tout comme il n'y a pas qu'une vie dans la vie, les livres peuvent avoir plusieurs vies. Afin de favoriser le développement de la lecture publique et de faciliter le « désherbage » réalisé par les bibliothèques, c'est-à-dire le retrait des collections des ouvrages dont elles n'ont plus l'usage, j'ai souhaité, avec mes collègues, qu'elles aient légalement le droit de donner des livres à des associations, à des fondations ou à des organismes de l'économie sociale et solidaire, qui pourront eux-mêmes les revendre. Cette pratique déjà répandue leur permet d'éviter de jeter des millions de livres au pilon et participe de l'économie circulaire.

Je remercie la commission des affaires culturelles et de l'éducation pour la confiance qu'elle m'a accordée ainsi que celles et ceux qui font vivre les bibliothèques partout en France. Je leur dédie cette phrase de Julien Green : « une bibliothèque, c'est le carrefour de tous les rêves de l'humanité ».

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