Intervention de Roselyne Bachelot

Séance en hémicycle du mercredi 6 octobre 2021 à 15h00
Conforter l'économie du livre et renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs — Présentation

Roselyne Bachelot, ministre de la culture :

Le livre n'est pas un bien comme les autres, c'est un objet à part qui occupe dans notre société une place singulière : vecteur de transmission, de connaissances et d'évasion. C'est autour de cette conviction essentielle que s'est structuré, depuis les années 1980, le soutien de l'État à la filière du livre. Par l'instauration d'un prix unique du livre, par le soutien constant aux différents maillons de la chaîne au travers des aides du Centre national du livre, la France a su, au cours des quarante dernières années, protéger cette filière tout en accompagnant ses mutations. Le secteur du livre, comme le reste de l'économie, a été touché par la crise que nous venons de traverser. Mais l'État l'a soutenu par des mesures transversales et sectorielles tout à fait exceptionnelles. S'il ne faisait aucun doute que les Français étaient attachés aux livres et à la lecture, la crise sanitaire a été aussi l'occasion de le rappeler et de mettre en lumière notre première industrie culturelle.

Au-delà de cet accompagnement conjoncturel nécessaire, le soutien au secteur du livre doit être constant. C'est pourquoi j'ai souhaité lui consacrer des crédits importants, dans le cadre du plan de relance. En 2021 et 2022, 53 millions d'euros financeront la modernisation des librairies et des bibliothèques, la généralisation du dispositif Jeunes en librairie et le renforcement des achats publics de livres.

Si l'accompagnement financier de l'État est indispensable pour permettre à la filière de faire face aux mutations structurelles qu'elle connaît depuis dix ans, il est toutefois nécessaire également d'adapter notre dispositif législatif : c'est l'objet de la proposition de loi de la sénatrice Laure Darcos, qui nous a rejoints à la tribune de l'hémicycle – je salue son engagement et son travail.

Le Gouvernement approuve pleinement les objectifs du texte : c'est pourquoi il a demandé que la proposition de loi fasse l'objet d'une procédure accélérée et a choisi de l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale aujourd'hui. Dans la continuité du souhait que le Président de la République a formulé le 21 avril dernier à Nevers, il s'agit de retrouver un prix unique du livre, en égalisant le prix de l'expédition et en objectivant son coût pour les livres commandés sur internet et livrés à domicile. Ainsi, ce texte bienvenu complète et modernise la régulation du secteur du livre, avec trois enjeux : soutenir nos librairies et rétablir une juste concurrence dans le marché du livre ; améliorer la relation contractuelle entre auteurs et éditeurs ; adapter la collecte des œuvres numériques.

Certaines mesures visent à moderniser et à adapter la loi de prix fixe. La loi Lang du 10 août 1981, dont nous avons fêté le quarantième anniversaire, a démontré son rôle essentiel dans le maintien de la diversité des réseaux de distribution du livre et de la diversité éditoriale. Or certaines pratiques fragilisent les équilibres que la législation doit préserver : il faut les encadrer à mesure qu'elles se développent et s'installent dans le paysage du commerce du livre.

Le texte prévoit des dispositions visant à réguler plus fermement le prix de vente du livre. Il s'agit en effet de compléter et de parfaire l'encadrement des pratiques de vente à distance. Le législateur l'a introduit en 2014, avec des conséquences qui furent loin d'être nulles. Toutefois, il paraît désormais insuffisant, car des conditions de concurrence inéquitables perdurent sur le marché. Un opérateur suggère systématiquement la livraison quasi gratuite des livres, quelle qu'en soit la quantité et quel que soit le montant d'achat : aucun autre acteur ne parvient à offrir une telle aubaine au lecteur. De surcroît, ledit opérateur ne propose cette extraordinaire politique tarifaire – étrange générosité – que pour les livres. Cette pratique commerciale, que le texte vise à prohiber, constitue indubitablement une nouvelle forme de concurrence par les prix, qui ne permet plus à la loi de 1981 de produire son plein effet. Ces dispositions sont donc utiles et même nécessaires.

Il paraît également essentiel de mieux informer le consommateur, en clarifiant la distinction entre livres neufs et livres d'occasion dans la vente en ligne. Conformément aux préconisations du Médiateur du livre, il s'agit d'éviter qu'on n'entretienne dans l'esprit du consommateur une confusion tendant à brouiller la perception du principe du prix unique du livre neuf.

Le Médiateur du livre nous a également recommandé de veiller à resserrer la pratique des soldes de livres dans le cadre de ventes directement opérées par les éditeurs, afin de ne pas fragiliser l'économie des librairies.

Le principe d'équité, qui sous-tend la proposition de loi, doit guider la recherche de solutions dans le domaine des relations entre l'auteur et son éditeur. J'ai présenté en mars dernier un programme de mesures qui permettront d'améliorer les conditions de création des auteurs. L'une d'entre elles vise à accompagner les négociations professionnelles sur l'équilibre de la relation contractuelle, notamment dans le secteur du livre.

Dans le prolongement du long processus de concertation interprofessionnelle dont est issue la réforme fondamentale de l'économie des relations contractuelles de 2014, j'ai confié au professeur Pierre Sirinelli une nouvelle mission de médiation. Elle a pour but d'accompagner les organisations professionnelles représentant les auteurs et les éditeurs dans le travail d'évaluation et de révision de l'accord du 1er décembre 2014 sur le contrat d'édition dans le secteur du livre, passé entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l'édition. Cet exercice de révision doit résoudre les difficultés nées de l'application de l'accord et permettre de prendre en considération l'évolution des usages professionnels, ainsi que les mutations induites par les technologies numériques.

Il faut laisser à cette nouvelle étape du dialogue interprofessionnel le temps de prospérer et d'aboutir à des solutions consensuelles, que les différents acteurs pourront s'approprier. Cependant, certains sujets consensuels n'entrent pas dans le champ de l'accord de 2014, comme les difficultés spécifiquement liées à la cessation d'activité des entreprises d'édition. Ils imposent d'adapter la loi sans attendre. Le texte permet, en cas de cessation de l'activité de l'éditeur, d'une part, d'améliorer l'information des auteurs sur l'exploitation des œuvres éditées, d'autre part, de faciliter la reprise de ses droits par l'auteur, en simplifiant les conditions de résiliation de son contrat.

La proposition de loi offre également un fondement législatif à l'accord interprofessionnel relatif à l'encadrement des pratiques de la provision pour retours d'exemplaires invendus et de la compensation intertitres, signé par le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l'édition en 2017. Toutes ces mesures amélioreront l'équilibre des relations entre auteurs et éditeurs et leur transparence.

Enfin, la proposition de loi apporte un complément très attendu au cadre législatif du dépôt légal des œuvres à l'ère du numérique. Depuis l'ordonnance royale du 28 décembre 1537, le dépôt légal constitue un dispositif essentiel pour édifier la mémoire documentaire de la France. Il assure l'entrée dans les collections nationales de la production éditoriale diffusée sur le territoire, et sa conservation pour les générations à venir.

La loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information a instauré un dispositif de collecte automatique des services de communication au public en ligne, à savoir les sites web, ainsi que de leur contenu numérique. Or celui-ci ne garantit plus l'effectivité du dépôt légal pour les œuvres qui ne sont pas librement accessibles. Parce qu'elles sont protégées par des mots de passe ou des systèmes d'achat en ligne, de nombreuses œuvres numériques ne sont plus collectées automatiquement par les robots des organismes dépositaires que sont la Bibliothèque nationale de France – BNF –, l'Institut national de l'audiovisuel – INA – et le Centre national du cinéma et de l'image animée – CNC. Pour pallier cette difficulté et permettre la complétude du dépôt légal, il est donc nécessaire de modifier dès maintenant le cadre législatif. Il s'agit d'autoriser les éditeurs et producteurs de contenus numériques non librement accessibles à déposer eux-mêmes les contenus auprès desdits dépositaires, à l'instar de ce qui est opéré pour les documents physiques. La France rejoindrait ainsi les pays qui procèdent déjà à la collecte complète des documents numériques.

Les mutations que connaît le secteur du livre depuis plusieurs années rendaient nécessaire d'adapter le cadre législatif existant. C'est tout le sens de cette proposition de loi, à laquelle j'apporte mon plein soutien au nom du Gouvernement. Je me félicite qu'après le Sénat au mois de juin, la commission des affaires culturelles et de l'éducation l'ait adoptée la semaine dernière à l'unanimité. Cela démontre qu'au-delà des clivages habituels, Gouvernement, majorité et oppositions peuvent et savent se rassembler pour soutenir la culture.

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