Comme vous l'avez tous rappelé, le 10 août 1981, la loi relative au prix du livre était promulguée à l'initiative des socialistes. C'était une véritable révolution, un changement de paradigme en ce qui concerne la marchandisation des biens culturels et plus particulièrement du livre. Jack Lang, ministre de la culture, déclarait alors à la tribune de notre assemblée « refuser d'abandonner le prix des biens culturels aux lois destructrices du marché ». S'il est un objet source d'émancipation et de savoir qui doit être protégé, c'est bien le livre.
Cette loi était protectrice parce qu'elle établissait une offre unique du prix du livre pour toutes les Françaises et tous les Français, où qu'ils se trouvent sur le territoire, parce qu'elle protégeait des auteurs dans leur pluralité et, bien sûr, parce qu'elle soutenait des librairies indépendantes face à la concurrence déloyale des hypermarchés. Depuis, les hypermarchés ne sont plus une force concurrente et ont souvent des espaces culturels autonomes, mais d'autres bouleversements issus du numérique et des nouveaux modes de consommation sont la source d'inégalités scandaleuses entre les libraires et les géants tels qu'Amazon. Or les librairies indépendantes forment un maillon local de notre politique culturelle qui est indispensable à la vitalité des territoires. Elles sont, avec les bibliothèques, une porte d'entrée à une culture partagée et au plaisir de la découverte, un outil de médiation culturelle.
La crise sanitaire a rappelé l'attachement des Françaises et des Français à ces commerces qui n'ont jamais été aussi essentiels – souvenons-nous de la colère des Français lorsque le Gouvernement a jugé que les librairies n'étaient pas essentielles.
La proposition de loi consacre l'interdiction de la gratuité des frais de port des livres afin de répondre à la distorsion créée par l'offre d'Amazon, qui bénéficie, grâce à des pratiques douteuses et grâce à sa volumétrie, de tarifs préférentiels auprès de La Poste mais également auprès de transporteurs privés. Finalement, le texte a pour but principal d'inciter les lecteurs à acheter des livres en librairie. Nous souscrivons pleinement à cet objectif qui, en plus de favoriser un acteur culturel auquel nous sommes attachés, permettra d'ancrer dans les esprits une préoccupation écologique, face à l'empressement effréné des acheteurs qui veulent tout plus vite, moins cher et tout le temps.
On voit bien que le développement de la livraison à domicile, s'il peut se concevoir dans des territoires réellement éloignés des commerces, ne peut devenir la règle : c'est une catastrophe sous l'angle du développement durable mais également dans une perspective sociale, tant les conditions de travail des livreurs des plateformes sont difficiles.
Nous avons noté certaines réserves suscitées par cette mesure, notamment la crainte qu'elle n'atteigne pas son objectif, par exemple du fait de l'utilisation de paniers mixtes, ou la crainte qu'elle restaure des marges de certains acteurs qui n'en ont pas besoin. Il faudra, par ailleurs, fixer un tarif d'envoi qui ne soit ni un frein pour les clients ni une charge trop importante pour les libraires et les éditeurs.
Nous nous satisfaisons de l'amendement adopté en commission qui prévoit la remise d'un rapport sur les effets de cette disposition sur le marché du livre ; ce sera l'occasion de vérifier la poursuite de l'objectif de la loi et cela participera indéniablement à la qualité de la loi.
Il est urgent, nous le savons tous, de rétablir un équilibre dans ce secteur, tant la progression du géant américain est forte depuis quelques années sur le marché du livre. Nous nous opposons au modèle social et écologique que promeut Amazon et nous saluons les initiatives en faveur des commerces de proximité et de la chaîne du livre dans son ensemble.
En effet, ne l'oublions pas, l'industrie du livre commence là où les auteurs et autrices imaginent, créent et travaillent, elle grandit par la confiance que leur portent des maisons d'édition – dont certaines, de petite taille, pratiquent l'autoédition et ne réalisent que peu de profits.
Nous regrettons, à cet égard, que l'espoir suscité par le rapport de M. Bruno Racine ne soit pas suivi de mesures plus fortes de la part du ministère afin de répondre aux enjeux des autres acteurs de la filière et de trouver des réponses à la grande précarité des auteurs et autrices.
Je profite de la présence de Mme la ministre afin de l'interroger sur la vision du Gouvernement quant à la manière dont nous pourrions apporter un soutien clair et massif au secteur du livre – je pense, par exemple, au rétablissement du tarif préférentiel de La Poste qui existait il y a quelques années.
Il est urgent de réunir les acteurs de la livraison à domicile, les libraires, les petits éditeurs et l'État, pour engager une négociation sur la baisse de ces frais postaux et pour éviter de rogner sur les marges des plus faibles.
Les initiatives locales sont nombreuses, comme celle de l'association « Chez mon libraire » qui regroupe près de 170 librairies indépendantes en Auvergne-Rhône-Alpes et qui permet de réserver un livre en ligne. L'État doit les encourager, par exemple en apportant son soutien au développement et à l'accessibilité des commerces en ligne des libraires indépendants, notamment par regroupement.
En somme, au-delà de cette proposition de loi, des annonces concrètes sont nécessaires pour soutenir davantage la filière et vérifier que les effets escomptés soient bien réels. Vous nous avez annoncé certaines de ces mesures, madame la ministre ; nous les suivrons avec intérêt.
Le reste de la proposition de loi, qui comporte d'autres mesures concernant les relations contractuelles entre les éditeurs et les auteurs, l'élargissement des missions du Médiateur du livre et l'adaptation du dépôt légal aux œuvres numériques, nous satisfait complètement.
Le groupe Socialistes et apparentés votera donc en faveur de ce texte. Comme l'a dit Mme Bannier, c'est un pari qu'il faut tenter, et nous serons au rendez-vous.