Le bras de fer avec les géants du secteur du livre ne date pas d'hier. En 1981, la loi dite Lang visait à faire du livre autre chose qu'une marchandise et à refuser que le principe européen de la concurrence libre et non faussée lui soit appliqué. Elle a permis de protéger la librairie indépendante et les petits éditeurs. Depuis l'adoption de cette loi, le prix du livre est fixé par l'éditeur et le libraire ne peut appliquer une remise supérieure à 5 %. De plus, les livres ne peuvent être soldés que deux ans après leur parution. Pour y parvenir, la bataille fut difficile : Leclerc et la Fnac s'étaient insurgés avec force et certains considéraient qu'il était impossible de contraindre ces grandes entreprises. Pourtant, nous y sommes parvenus.
Quelques années plus tard, l'apparition de sites de vente en ligne, en particulier d'Amazon, a rebattu les cartes. Les librairies indépendantes étaient mises en danger, notamment en raison de certaines pratiques relatives aux frais de port. C'est la raison pour laquelle, en 2014, une loi dite anti-Amazon a interdit aux sites de vente en ligne de cumuler la gratuité des frais de port avec les 5 % de remise sur le prix du livre.
Quatre ans plus tard, en avril 2018, nous avons rendu, avec mon collègue Yannick Kerlogot, un rapport sur l'évaluation de cette loi. Notre travail commun a permis de mettre en avant les aspects inefficaces de la loi interdisant les frais de port gratuits. En effet, les grandes plateformes telles que la Fnac ou Amazon ont, dès le lendemain de la publication de la loi, facturé leurs frais de port à un centime d'euro. Ce montant dérisoire a aggravé la distorsion de concurrence entre les grandes plateformes et les détaillants. C'est la raison pour laquelle la volonté de lutter contre le contournement de la loi de 2014 est une bonne chose.
Vous proposez de rétablir un équilibre entre les librairies indépendantes et les acteurs d'e-commerce comme la Fnac et surtout Amazon. En légiférant sur le tarif de livraison et en permettant aux communes de verser des subventions aux petites et moyennes librairies, le dispositif propose donc de faire payer davantage les acheteurs et de s'appuyer sur le soutien financier des collectivités territoriales. Nous considérons qu'une attaque plus directe du modèle d'Amazon aurait été plus opportune. Rappelons que cette entreprise détruit beaucoup plus d'emplois qu'elle n'en crée, qu'elle contribue à l'artificialisation des terres et qu'elle est championne en matière d'émissions de CO
Nous regrettons que la proposition de loi n'ait pas été l'occasion de taxer les profits exceptionnels d'Amazon pendant la crise, de réformer la fiscalité de l'e-commerce, de lutter contre la fraude à la TVA et le contournement de taxes, d'interdire ou de limiter la construction des entrepôts d'e-commerce, etc. Les propositions que je viens de formuler sont pourtant soutenues par de nombreux syndicats et associations. Certaines ont déjà fait l'objet d'amendements lors de l'examen de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, tous retoqués par la majorité.
Autre lacune de la proposition de loi censée renforcer l'équité et la confiance entre tous les acteurs du secteur du livre : elle ne prévoit aucun dispositif garantissant à nos créateurs des conditions de vie dignes. Alors que la moitié d'entre eux gagnent moins que le SMIC, nous avons formulé des propositions dans ce sens. Nous n'avons pu en débattre puisque nos amendements ont été jugés irrecevables. Nous souhaitons, par exemple, instaurer un fonds de soutien à la création artistique dans des disciplines relevant des arts plastiques, graphiques et visuels, des arts cinématographiques, audiovisuels et photographiques, de la littérature et de l'illustration. Ce dispositif – je ne peux le détailler ici, mais je vous invite à vous référer à ma proposition de loi sur le sujet – vise à doter les artistes-auteurs d'un véritable statut social. Les subsides obtenus grâce à cette mesure leur permettraient de développer leur activité artistique et de ne plus être forcés d'exercer des métiers dits alimentaires en parallèle de leur création. Nous n'avons pas pu en débattre.
Chers collègues, nous partageons le souhait de rétablir les conditions d'une concurrence équitable entre les libraires et les plateformes en ligne. Nous sommes favorables aux dispositions visant à conforter le prix unique du livre, nous partageons le combat contre la gratuité des frais de port, laquelle multiplie artificiellement les commandes en ligne alors que nous préférons que les lecteurs s'approvisionnent localement auprès de nos libraires qui, dans l'esprit de la loi dite Lang, sont de véritables messagers de la culture. J'ai également reçu des contributions de librairies de mon département, Majuscule à Foix et Le Bleu du Ciel à Pamiers, qui sont favorables à ce dispositif. Pour toutes ces raisons et comme en commission, tout au long des débats, nous proposerons des amendements visant à combler le déficit structurel de votre texte.