L'abeille, c'est la vie ! Il est courant de prêter à Albert Einstein la citation selon laquelle « si les abeilles disparaissaient, l'homme n'aurait plus que quatre ans à vivre ». Si la paternité de ce propos demeure discutable, le fait n'en est pas moins incontestable : oui, l'abeille est indispensable à toute vie humaine.
Elle l'est d'abord parce que l'abeille est une véritable sentinelle de l'environnement. Elle est en effet le principal agent pollinisateur des écosystèmes. Or vous le savez comme moi, la pollinisation est une action essentielle pour la fécondation d'un grand nombre de plantes, elles-mêmes essentielles à la vie. Ainsi, dès lors que plane une menace sur l'abeille, tous les écosystèmes sont en réalité menacés, ainsi que la diversité de la flore, elle-même source de diversité de la faune sauvage. L'abeille a donc un effet sur la biodiversité.
Mais tâchons de ne pas oublier qu'elle est également une infatigable ouvrière : elle récolte le pollen et fabrique le miel, la cire, la gelée royale, la propolis. Ces denrées sont autant de sources de richesses naturelles pour la filière apicole et pour notre pays. Au cœur de la filière agricole, souvenons-nous que les abeilles créent de nombreux emplois. Ce marché est considérable : de façon très factuelle, il est estimé que la pollinisation des abeilles et des autres insectes pollinisateurs génère mondialement chaque année près de 130 milliards d'euros d'activité !
La contribution des abeilles à la recherche scientifique est également importante. En effet, en tant qu'espèce domestiquée, l'abeille permet d'étudier le comportement des insectes et de mesurer toujours plus précisément leur impact sur l'environnement. Vous l'aurez compris, l'abeille joue un rôle moteur et indispensable dans de nombreux domaines.
En tant qu'apiculteur professionnel – le seul sans doute dans cet hémicycle –, je suis hélas confronté quotidiennement au déclin des populations d'abeilles depuis la fin des années 1970. Leur mortalité s'est d'ailleurs accélérée au cours des années 1990. De nombreuses raisons structurelles peuvent expliquer cette disparition progressive des ruches. J'en citerai quelques-unes. La première réside dans l'utilisation par l'agriculture intensive d'insecticides neurotoxiques – dans l'attente de solutions alternatives. Cette pratique entraîne de nombreuses pertes d'abeilles, provoquant la mort des colonies en quelques heures.
Mais comme l'ont remarquablement écrit des responsables d'associations et de syndicats d'apiculteurs, la France ne doit plus opposer l'apiculture à l'agriculture, car ces alliées ne peuvent se passer l'une de l'autre. La pollinisation, c'est en quelque sorte un partenariat gagnant-gagnant entre l'agriculteur, qui a besoin des abeilles pour ses productions, et l'apiculteur, qui a besoin de fleurs pour ses abeilles. Il est indispensable que ces deux acteurs continuent à dialoguer.
La deuxième raison est à trouver dans la forte exposition des abeilles à des maladies naturelles comme la loque américaine, qui attaque le couvain, la nosémose, la fausse teigne, voire l'Aethina tumida, le petit coléoptère des ruches apparu récemment. On peut également citer dans ce registre le Varroa destructor, un acarien visible à l'œil nu qui s'est transmis de l'abeille asiatique à l'abeille européenne. Il représente depuis les années 1970 un véritable fléau. En effet, il s'attaque aux abeilles et aux larves, les rendant infirmes et incapables de travailler. Heureusement, des thérapies naturelles existent et les apiculteurs s'attachent à les appliquer, même si elles sont très onéreuses.
Une troisième raison réside dans la carence de nourriture provoquée par la disparition des haies et d'une multitude de fleurs sauvages. On peut citer aussi les conséquences chaque année grandissantes du changement climatique, qui menace la survie de nombreuses colonies et rend les récoltes de plus en plus aléatoires. En France, l'année 2021 a été particulièrement calamiteuse en ce qui concerne la météo : gels tardifs, pluies régulières et importantes, insuffisance de la floraison. La production de miel a baissé de 80 à 90 % par rapport à 2020 ; pour éviter que leurs abeilles ne meurent de faim, les apiculteurs achètent déjà du sirop pour les nourrir, ce qui constitue encore une dépense très importante.
Néanmoins permettez-moi, comme apiculteur, d'être très franc avec vous. Parmi toutes les menaces, le frelon asiatique constitue désormais la plus grande. Introduite accidentellement en 2004 par le commerce international avec la Chine, Vespa velutina, nouvelle sur notre sol, est très rapidement devenue une prédatrice redoutable : en vol stationnaire devant la ruche, elle capture l'abeille, la sectionne et l'emporte pour en nourrir ses larves. Des milliers de colonies sont ainsi dévorées.
Aussi la lutte contre ce frelon doit-elle être une priorité absolue. Je me réjouis que le ministère de l'agriculture et de l'alimentation ait constitué début 2021 un groupe de travail au sein de la direction générale de l'alimentation (DGAL), plus précisément au sein du conseil national d'orientation de la politique sanitaire animale et végétale (CNOPSAV), pour lutter contre ces insectes. Je salue aussi les initiatives plus individuelles, comme celle de mon collègue apiculteur de Bretagne, Denis Jaffré, qui a mis au point un piège à frelon efficace, qu'il faut développer.
Les frelons prolifèrent hélas partout. À la campagne comme en ville, et même à Paris. Laissez-moi à ce propos vous raconter une anecdote, ou plutôt un fait révélateur. Vous le savez, trois ruches ont été installées sur les toits de l'Assemblée nationale. À peine arrivé au Palais Bourbon – il m'arrive de dire « bourdon »