Mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Robert Therry, je vous remercie d'avoir inscrit à l'ordre du jour cette proposition de résolution, comme je vous remercie pour l'engagement dont celle-ci témoigne. Nous nous demandons souvent, au sein du secrétariat d'État chargé de la biodiversité, comment mieux partager ces enjeux de préservation de la nature. L'abeille nous rassemble et nous mobilise presque instinctivement pour sa défense. Elle nous ouvre le chemin que nous devons tracer ensemble vers la transition environnementale et agroécologique.
L'abeille domestique est une espèce emblématique à plusieurs titres : elle est indispensable à la production d'un bien de consommation très apprécié et un très bon indicateur de l'état de santé de notre environnement. Elle nous est familière et sympathique, de sorte qu'elle suscite une large mobilisation. Nous sommes rassemblés aujourd'hui pour sa sauvegarde. Au-delà de la préservation des populations d'abeilles et d'insectes pollinisateurs, nous parlons de tout un écosystème et de toute la vie de nos territoires.
L'apiculture est en effet un secteur important de l'économie agricole, tant par le rôle qu'elle joue pour le maintien de populations d'abeilles et pour la pollinisation que pour la production de miel, de gelée royale et d'autres produits de la ruche. Elle contribue au développement rural et au maintien de la biodiversité grâce aux nombreux producteurs, professionnels ou amateurs, présents sur le tout territoire français. La France compte environ 54 000 apiculteurs pour une production de 20 000 tonnes de miel par an, ce qui la place au quatrième rang des pays producteurs européens. Les Français en consomment près 40 600 tonnes par an ; autrement dit près de la moitié du miel consommé en France doit être importée, ce qui soulève des questions relatives à la qualité de ce produit.
Nous avons donc une responsabilité importante dans la protection de l'abeille, dans la sauvegarde de l'apiculture française et dans l'encadrement des produits proposés à la consommation. Le déclin des pollinisateurs est une tendance générale et de long terme, que les scientifiques ont largement éclairée. C'est une réalité mondiale, comme l'a rappelé la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) dans son rapport spécial de 2016 sur le sujet. Leur nombre tend à diminuer partout dans les pays industriels ; si ce déclin a été observé dès les années 1970, il s'accélère aujourd'hui, comme le montre l'inscription d'une espèce sur dix d'abeilles ou de papillons sur les listes rouges de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Lors des hivers 2017, 2018 et 2019, on a constaté un déclin de ces colonies d'abeilles qui ont connu des taux de mortalité de 20 à 30 %.
Monsieur le député Therry, nous pensons comme vous qu'il est impératif de mener des actions fortes pour protéger les abeilles. Plus généralement, nous voulons mettre en place un plan de lutte pour les insectes pollinisateurs. Cette proposition de résolution vise spécifiquement le frelon asiatique. C'est nécessaire, mais cela ne répond que partiellement aux défis auxquels fait face la filière apicole. Le frelon asiatique nous rappelle à quel point nos écosystèmes sont vulnérables face aux espèces exotiques envahissantes ; ce cas montre l'importance des enjeux et leur l'impact économique. Le Gouvernement prépare un plan d'action spécifique pour lutter contre ces espèces envahissantes, plan qui fera l'objet d'une concertation dans les semaines qui viennent. J'accompagnerai lundi prochain en Normandie une brigade du Conservatoire d'espaces naturels dans son action sur le terrain.
Le frelon asiatique a été signalé pour la première fois dans le Lot-et-Garonne en 2004. Aujourd'hui, il est signalé presque partout en France. Il atteint les colonies d'abeilles mellifères autant par la prédation directe que par le stress qu'il engendre, ce qui entraîne des conséquences sur la production. Plusieurs méthodes de lutte ont été élaborées mais elles n'ont malheureusement pas montré une réelle efficacité. Il nous faut donc poursuivre nos efforts.
Deux réglementations sont actuellement mises en œuvre : j'ai déjà évoqué notre politique pour lutter contre les espèces exotiques envahissantes ; la réglementation sur la limitation des dangers sanitaires, elle, est pilotée par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation, à travers un plan national en faveur des insectes pollinisateurs et de la pollinisation 2021-2026. Il a fait l'objet d'une consultation du public l'été dernier, et nous avons reçu 17 000 contributions ; c'est vous dire combien ce sujet intéresse nos concitoyens. Il est donc nécessaire de mettre nos politiques en cohérence avec cet intérêt et de renforcer nos actions grâce à ce plan Pollinisateurs.
Dès que la présence de frelons asiatiques est constatée, les préfets de département peuvent faire procéder à leur destruction par arrêté précisant les conditions de ces opérations. Ils peuvent ainsi ordonner la destruction de nids sur des propriétés privées. De nombreuses collectivités aident alors les particuliers, techniquement, en mobilisant notamment le réseau des fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles (FREDON), mais aussi financièrement, par des aides pour compenser une partie des coûts d'intervention.
Le ministère de l'agriculture finance différentes actions menées par l'Institut technique et scientifique de l'apiculture et de la pollinisation (ITSAP) ou Institut de l'abeille ainsi que le Muséum national d'histoire naturelle, qui identifie et valide des outils de lutte contre le frelon asiatique. Il est en effet nécessaire, préalablement à leur déploiement, de vérifier l'efficacité et l'absence d'effets néfastes sur l'environnement des outils de lutte envisagés.
Les actions financées comportent deux volets : une méthode de piégeage des fondatrices et le développement d'un protocole pour la destruction de nids par appâts empoisonnés. Le premier volet, arrivé à son terme, montre que le nombre de nids du frelon décroît significativement lorsque la méthode est conduite sur plusieurs printemps successifs, avec un maillage spatial fin et régulier, soit plus de 200 pièges répartis de manière homogène sur un rayon de 10 kilomètres carrés autour du rucher à protéger.
Le second volet vise à vérifier l'efficacité d'appâts empoisonnés et leur absence d'impacts sur l'environnement. Si cette méthode se montre efficace, il reviendra à la filière de s'en saisir ou aux industriels de réaliser les démarches d'autorisation des substances actives puis des produits biocides. Cette méthodologie doit nous permettre de trouver une alternative au fipronil, cette substance hautement toxique trop souvent utilisée sans autorisation dans la lutte contre les frelons.
Quant à la destruction des nids, un accompagnement financier de la filière apicole pour l'homologation européenne du dioxyde de soufre est d'ores et déjà prévue par les ministères de la transition écologique et de l'agriculture.
Le dioxyde de soufre présenterait plusieurs intérêts : il est très efficace, réputé sans danger pour la faune auxiliaire, non rémanent dans l'environnement et peu coûteux. Il ne fait pas l'objet d'un enregistrement ou d'une autorisation de mise sur le marché. Nous devons donc relever ce défi tant en France qu'en Europe. Les apiculteurs expriment une attente forte, en nous invitant franchement à nous y atteler. Du reste, ils connaissent déjà cet insecticide, utilisé dans la lutte contre l'aethina tumida, le petit coléoptère des ruches – vous l'avez rappelé, monsieur Therry.
En 2020, un groupe de travail dédié à la surveillance a été créé dans le cadre de la plateforme épidémiosurveillance, qui d'ores et déjà, développe des outils adaptés. Néanmoins le sauvetage de l'apiculture ne se limite pas à la lutte contre le frelon asiatique. Les abeilles domestiques ou sauvages, les bourdons, les papillons, les mouches et leur action de pollinisation jouent un rôle clé dans la préservation des écosystèmes que nous devons également renforcer, en garantissant la qualité et les rendements de nos productions agricoles. Ainsi, 90 % des fleurs cultivées dans le monde dépendent, en partie à tout le moins, de la pollinisation par les insectes et, au total, 35 % de ce que nous mangeons – ce qui inclut des denrées comme le cacao, le café ou les épices – relèvent de l'action des pollinisateurs.
Notre plan national en faveur des insectes pollinisateurs et de la pollinisation prévoit également de modifier l'arrêté relatif aux conditions d'utilisation des insecticides et acaricides à usage agricole en vue de protéger les abeilles et autres insectes pollinisateurs. La mise à jour des méthodologies d'évaluation des risques réalisée au niveau européen, qui intègre les pollinisateurs sauvages, est ambitieuse et protectrice. Depuis 2013, la France, vous le savez, joue un rôle moteur en défendant seule ou presque, je le dis, la consolidation de la méthodologie actuelle, pour tenir compte des connaissances scientifiques les plus récentes.
Dans le cadre du financement européen, notamment de la politique agricole commune (PAC), le budget du programme apicole européen est passé de 3 à 6 millions d'euros par an. L'enveloppe a donc été doublée, ce qui mérite d'être salué.
Le plan prévoit également l'introduction d'actions favorables aux insectes pollinisateurs dans les pratiques de nombreux secteurs d'activités, que ce soit l'agriculture, la forêt l'aménagement urbain ou l'industrie. Nous devons évidemment accompagner la filière apicole en développant la commercialisation, la viabilité des exploitations et en nous dotant d'un important cheptel apicole.
La formation sanitaire est également essentielle. Par ailleurs, le plan veillera à rendre compte du déclin des insectes de manière objective, en publiant des listes rouges, notamment pour mieux comprendre les espèces solitaires. Il prévoit l'observation des facteurs de stress, nous l'avons dit. Il s'appuiera sur l'ensemble des acteurs du territoire.
Mesdames et messieurs les députés, monsieur le député Therry, le plan d'action que vous appelez de vos vœux, il existe et est prêt à être appliqué, l'État s'y engage pleinement. Nous pouvons collectivement nous en réjouir. Si la lecture a été déclarée grande cause nationale jusqu'à l'été 2022, il vous appartient de proposer qu'il en soit fait de même pour la sauvegarde des abeilles. Même si votre proposition de résolution n'aborde que le problème des frelons asiatiques, qui n'est que l'un des facteurs de diminution des populations de pollinisateurs, je vous rejoins sur la nécessité de porter haut et fort cet enjeu. Compte tenu de la dimension symbolique de la proposition de résolution, je donnerai un avis de sagesse. Je m'en remets donc à la sagesse du Palais-Bourbon – ou « Palais-Bourdon », pour reprendre votre bon mot, monsieur le député.