« Face à la concurrence étrangère faussée, le pronostic de survie des masques made in France est engagé. » Voilà un extrait d'une lettre que j'ai reçue à mon bureau en juin dernier, signée d'un certain Christian Curel, président du Syndicat des fabricants français de masques. Cette lettre a été envoyée aux 577 députés : vous l'avez donc tous reçue.
M. Curel sonnait l'alerte. Comme je passais dans son coin, à Montpellier, je lui ai rendu visite dans son entreprise – un grand hangar de tôle dans la zone industrielle de Frontignan. « En pleine crise du covid, m'a-t-il expliqué, tout le monde cherchait des masques. Alors, on a monté cette usine pour participer à l'autonomie sanitaire de la France. » Mais une fois entré à l'intérieur de l'atelier, j'ai constaté qu'il était vide. Seuls deux salariés étaient là – et encore, ils étaient venus exprès pour moi : « On est juste là pour une démonstration », me confia le chef de la production, ou plutôt de la non-production. « Normalement, personne ne travaille cet après-midi. On ne bosse qu'un huitième du temps » ajouta-t-il. « Ah bon ? » m'étonnais-je. « Pourtant, la France n'a jamais consommé autant de masques. » Il me répliqua : « Oui, mais des masques chinois. La France achète chinois. » Puis il ajouta avec fierté : « Chez nous, le papier vient d'Alsace, l'élastique, de Lyon, la barrette nasale en fer de l'Isère : c'est du 100 % français. » La machine était neuve, performante. Elle pouvait produire 800 000 masques par mois. Pourtant, vingt-deux heures sur vingt-quatre, elle ne tournait pas : elle était à l'arrêt, inutile.
« Ah ça, s'exclamait le directeur, on reçoit beaucoup de compliments. La préfecture, le département : ils sont très fiers de nous. Les parlementaires, le maire, ils sont tous venus nous visiter. Mais derrière, les hôpitaux, les pompiers, ils achètent tous chinois et c'est vrai que nos masques sont à peu près deux fois plus chers. » « Mais le plus drôle, ajoutait le directeur, c'est que l'État nous a subventionnés. La semaine dernière, on a touché 700 000 euros au titre de l'aide à l'investissement de transformation vers l'industrie du futur. Mais pour les achats, ils ne regardent qu'une chose : le prix, le prix, le prix. Ça nous tue ! »
Et il poursuivait : « Un collègue de la région parisienne m'a appelé hier. Il avait huit chaînes de production. Il a tout arrêté et mis vingt et une personnes au chômage. Il m'a dit que lorsqu'il avait inauguré son site, il y avait Valérie Pécresse et toutes les huiles. Aujourd'hui, plus personne. Dans quinze jours, il ira au tribunal de commerce pour mettre la clé sous la porte. »
Ce désastre industriel est le même partout : le même en Bretagne avec la Coop des masques, le même chez moi. C'est d'une telle absurdité ! Le Président Macron, il faut l'admettre, a mis le paquet. Plein de bonne volonté, il a jeté des dizaines de millions d'euros d'argent public, de notre argent, pour que cette industrie renaisse ici. Et au bout du compte, on se fournit à Shanghai.
C'est une absurdité mais c'est surtout une métaphore de notre monde, de la mondialisation. J'entends bavarder dans cet hémicycle et ailleurs de relocalisation : relocalisation des médicaments, relocalisation des vêtements relocalisation des aliments. C'est à la mode, la relocalisation. Elle est mise à toutes les sauces. Mais c'est du vent, du flan sans le protectionnisme qui doit venir avec, sans taxes aux frontières, sans barrières douanières, sans quotas d'importation.