L'accoutumance, voilà le danger qui nous guette : accoutumance aux lois d'exception ; accoutumance aux restrictions de la vie sociale et aux règles sanitaires ; accoutumance aux mesures qui échappent au contrôle fondamental des représentants du peuple ; accoutumance aux pouvoirs administratifs peu à peu devenus plus puissants que les décisions politiques ; accoutumance aux directives, règles et indicateurs en tous genres, aux statistiques et aux courbes épidémiologiques. Plus notre pays s'accoutumera à cet état d'urgence permanent, plus nous perdrons une autre habitude : celle de la démocratie pleine et entière.
À peine ai-je dit cela que j'entends le camp de la raison nous faire la leçon et s'offusquer que nous lancions une alerte démocratique. Dans l'époque où nous vivons, exaspérante et oppressante, il faudrait choisir son camp. L'idée même que nous puissions nous alarmer d'un affaiblissement continu des règles démocratiques est devenue presque inaudible : aussitôt, on est considéré comme irresponsable. Pourtant, il est temps de s'interroger sur l'état de notre démocratie et sur ce qu'il en restera à la sortie de la crise.
Qui est irresponsable : ceux qui posent des questions et rappellent que la démocratie est faite de règles qui ne peuvent être continuellement négligées, voire bafouées ? Non, désormais, les irresponsables sont ceux qui ne se posent aucune question. Les irresponsables sont ceux qui s'habituent à donner des blancs-seings au pouvoir exécutif sans contrôle réel, qui acceptent aujourd'hui ce qu'ils refusaient hier. Les irresponsables sont ceux qui négligent la vie démocratique face à la crise sanitaire.
Être responsable, alors que nous examinons le dixième texte relatif à l'état d'urgence sanitaire, c'est refuser de négliger les principes démocratiques les plus élémentaires. Être responsable, un an et sept mois après le premier texte consacré à l'état d'urgence sanitaire, c'est refuser de prolonger sans raison valable, de plusieurs mois encore, des mesures d'exception qui ne peuvent et ne doivent en aucun cas devenir la règle. Circulez, il n'y a rien à voir ! Rien à débattre, rien à limiter dans le temps, rien à encadrer, rien à contrôler !
S'habituer à gouverner sous l'empire des états d'urgence, de la menace, de la contrainte, de la facilité et de la peur, constitue une faute démocratique et politique. L'état d'urgence permanent, c'est la défiance permanente. Or la défiance est ce qui empoisonne un pays, qui le fracture, le divise et l'empêche de se redresser. Depuis le premier jour de la crise sanitaire, vous avez nourri et alimenté la défiance.