Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du vendredi 29 octobre 2021 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Action extérieure de l'État

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

Vous ne cessez, monsieur le ministre, de répéter que vous avez mis fin à l'hémorragie que subit votre ministère. Peut-être avez-vous posé un garrot, mais on cherche en vain la transfusion. Je le répète ici après l'avoir déjà martelé en commission des affaires étrangères : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a subi la pire cure d'austérité de tous les ministères, perdant en trente ans 53 % de ses effectifs ! Sans surprise, ce sont les réseaux de la coopération culturelle, tout particulièrement en Afrique et en Asie, qui ont été laminés par cette grande découpe. Je me réjouis, évidemment, de l'abandon de la réduction de 10 % de la masse salariale des agents postés à l'étranger, tout comme du coup d'arrêt donné au bradage sans fin des biens immobiliers. Mais le problème, vous le savez, est en réalité structurel et ce n'est pas en arrêtant le bulldozer que l'on reconstruit ce qui a été détruit.

Encore faudrait-il que nous nous accordions sur ce que nous voulons bâtir. Nous plaidons pour une indépendance stratégique, vous restez dans le giron de l'OTAN. Nous appelons à mettre fin au règne du libre-échange, vous mettez ce qu'il reste de votre diplomatie au service des grands groupes. Nous voulons construire la paix, vous faites de la vente d'armes la pierre angulaire de notre politique étrangère. Sous couvert de realpolitik, vous nous mettez à la remorque du monde. En examinant attentivement le fléchage du budget, on constate que vous ne donnez aucune perspective politique ambitieuse au ministère. La diplomatie économique prend le pas sur tout le reste, dans un mélange des genres qui n'en finit pas de rétrécir notre aire d'influence, pour la faire entrer coûte que coûte dans le carré étriqué du néolibéralisme.

Un exemple en Ouganda : un rapport récent des Amis de la Terre montre comment toute la diplomatie française s'est mise en branle pour appuyer le mégaprojet pétrolier de Total dans la région des grands lacs. Tant pis si 100 000 personnes devront être expropriées : la promesse de 200 000 barils de pétrole par jour vaut bien la mise en sourdine de certains droits ! Au passage, Total devient le partenaire privilégié et le sponsor de notre ambassade sur place et recrute un ancien conseiller du ministère, tandis qu'une de ses employés rejoint la tête de notre diplomatie économique. Les exemples se succèdent partout et donnent à voir la réalité de ce qu'Emmanuel Macron appelait la « diplomatie agile » : une certaine manière de se faire partout les passeurs d'influence et les VRP de nos soi-disant fleurons nationaux.

Vous savez bien, pourtant, que lorsqu'on affaiblit les capacités diplomatiques – que ce soit en réduisant les moyens matériels de leur mise en œuvre ou en s'alignant dans des alliances contraires à nos principes et à nos intérêts –, c'est la politique qui recule. Le jeu des relations internationales s'équilibre alors par la force, qu'elle soit économique ou militaire. Alors que le péril écologique rend plus nécessaire que jamais la coopération et la coordination entre les États et que notre état-major alerte sur le risque accru de guerre de haute intensité, est-il franchement responsable de brader nos capacités diplomatiques ?

Un article du Monde révélait hier que deux corps historiques du Quai d'Orsay allaient être supprimés dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique voulue par Emmanuel Macron. La CFDT indique même que cette réforme de l'encadrement supérieur « signe la disparition programmée du ministère des affaires étrangères ». Mes chers collègues, nous sommes sur le point de nous priver des compétences dont nous avons éminemment besoin pour affronter les crises à venir. Sous couvert de chantage à la modernisation et à la flexibilité, la dénaturation du métier de diplomate vient parachever l'affaiblissement de notre politique étrangère, à l'heure où celle-ci est pourtant particulièrement précieuse. Alors, quand j'entends qu'on nous présente ici le budget de la renaissance, je me dis que certains confondent peut-être l'aurore avec le crépuscule.

Je terminerai par une remarque que j'ai formulée plusieurs fois en commission et qui porte sur le sens que nous pourrions donner à notre politique extérieure : on constate, au fond, que, face aux crises qui sévissent à travers le monde et aux guerres qui s'annoncent, notre principal échec aura été notre incapacité à soutenir la création, le maintien ou le développement d'États à même de nous proposer, dans les pays en difficulté concernés, des interlocuteurs capables de définir leurs propres politiques. Sur ce point, nous ne discutons pas et nous ne fixons pas d'orientations. Or j'estime que c'est la question d'avenir en matière de politique étrangère.

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