Intervention de Olivier Marleix

Réunion du jeudi 14 décembre 2017 à 11h20
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Marleix, président :

Nous recevons M. Henri Poupart-Lafarge, président-directeur général d'Alstom. M. Poupart-Lafarge. Il a rejoint en 1998 le groupe Alstom, dont il a notamment été le directeur financier ; c'est dire s'il en a connu son évolution dans la durée. Il a ainsi été associé aux grandes décisions, aux côtés de l'ancien président Patrick Kron, dont la présidence a duré treize ans, d'abord avec le sauvetage de l'entreprise, en 2003-2004, époque à laquelle l'État s'est massivement engagé, sous le contrôle de la Commission européenne, pour redonner à Alstom son statut de champion de l'énergie et du ferroviaire. À défaut, le groupe, alors en très mauvaise situation, aurait pu être démantelé, sans doute au bénéfice de Siemens, déjà intéressé par certaines de ses activités.

Monsieur Poupart-Lafarge, vous avez été entendu par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale le 11 octobre dernier, et la même semaine par la commission homologue du Sénat. Depuis lors, Alstom a connu de nouveaux événements. Nous reviendrons, au cours de cette audition, sur la cession de la branche « Énergie » du groupe à General Electric (GE) à la suite de l'accord conclu en novembre 2014.

Pourquoi ce qui n'a pas été possible en 2014, c'est-à-dire un rachat croisé – les activités Transport étant regroupées chez Alstom, les activités Énergie chez Siemens – l'est aujourd'hui ? M. Kron déclarait à l'époque que ce rapprochement « serait néfaste aux salariés, aux clients et aux actionnaires ! ». Avait-il tort à ce point ?

Cette audition devrait aussi nous permettre de connaître le résultat financier net réel de cette opération. Alors que l'accord avait été conclu pour 12,35 milliards d'euros, il semble que GE n'ait pas eu à décaisser cette somme : Alstom n'aurait reçu en tout et pour tout qu'un peu plus de 7 milliards d'euros. Pourriez-vous préciser ces chiffres ? Il faut rappeler qu'Alstom a dû contribuer au capital des trois joint-ventures à hauteur de 2,6 milliards d'euros, qu'en outre un peu plus de 1,9 milliard d'euros de trésorerie a été affecté aux nouvelles activités de GE en France, et que l'amende d'un peu plus de 700 millions de dollars à payer au Trésor américain a finalement été réglée par Alstom. Il nous intéresse donc de connaître précisément le montant effectivement encaissé par Alstom.

Nous souhaitons également vous entendre nous parler du management depuis lors et des perspectives des trois joint-ventures résultant de cet accord. En 2014, l'opération envisagée était un partenariat à 50-50, moins une action. Trois ans plus tard, on n'a pas le sentiment de la même implication d'Alstom dans ces co-entreprises : c'est le groupe GE qui prend les décisions de gouvernance et les décisions opérationnelles, et l'on prête à Alstom des intentions de revente ; Paris bruit de rumeurs sur de potentiels acquéreurs chinois. Nous aimerions connaître précisément vos intentions à ce sujet.

Vous nous direz aussi ce qu'Alstom a payé à GE pour acquérir son activité de signalisation ferroviaire. Les sommes évoquées varient de 500 à 800 millions d'euros ; c'est d'autant moins un détail que les représentants des organisations syndicales d'Alstom ont été devant nous plutôt dubitatifs, sinon réservés, sur l'apport de cette acquisition pour l'entreprise. Ils ne croient pas davantage à la coopération commerciale durable annoncée entre GE et Alstom sur certains marchés ferroviaires.

Cette question nous amène évidemment à parler de l'opération en cours avec Siemens sur la base du protocole d'accord signé le 26 septembre 2017. Ce protocole a été l'élément déclencheur du dépôt, par plusieurs groupes de l'Assemblée nationale, de la proposition de résolution visant à la création de cette commission d'enquête, tant le point d'atterrissage semblait éloigné du point de départ, à savoir l'annonce faite par l'État, au moment de donner l'autorisation d'investissement par GE dans Alstom « Énergie », que cela permettait la création d'un champion français dans le domaine du transport. Finalement, l'accord du 26 septembre ouvre des perspectives certes européennes, mais moins françaises.

Comment qualifier cet accord ? S'agit-il d'un énième Airbus, du rail cette fois, et donc d'une fusion entre égaux ? S'agit-il plus précisément d'un adossement à Siemens de ce qui reste d'Alstom, c'est-à-dire des activités ferroviaires ? S'agit-il, comme le pensent certains, d'une fusion-absorption ? Ce qui importe à notre commission, c'est de savoir quel projet industriel naîtra de ce rapprochement. Vous avez déjà eu l'occasion de vous exprimer à ce sujet, mais rien ne semble vraiment précisément dessiné. Les gammes respectives des deux constructeurs sont très voisines ; ne risque-t-on pas des doublons pour certaines offres ? Les usines et la R&D d'Alstom et de Siemens ne feront-ils pas, nécessairement, l'objet d'arbitrages douloureux ? L'objectif principal des opérations de ce type est toujours de faire naître des synergies ; c'est probablement louable, surtout du point de vue de l'actionnaire, mais lorsque vous serez directeur général de la nouvelle entité « Siemens-Alstom », pensez-vous pouvoir toujours combiner, sans dégâts sociaux, des savoir-faire distincts sur des plateformes industrielles communes ? La direction d'Alstom se plaint d'un retard sur le marché du TGV du futur ; mais en réalité, sera-t-il conçu et fabriqué par Alstom ? Les nouvelles versions de l'ICE allemand ne seront-elles pas au moins aussi compétitives ?

Au cours des négociations en cours, avez-vous déjà obtenu des garanties sur la poursuite du développement de certains produits phares d'Alstom, notamment pour ce qui concerne la grande vitesse ? GE et Siemens, conglomérats internationaux, procèdent tous deux à des révisions stratégiques majeures qui les conduisent à se recentrer sur leurs points forts et ils annoncent l'un comme l'autre des suppressions d'emplois massives au niveau mondial. Pensez-vous que dans ce contexte l'intérêt d'Alstom pèse beaucoup à leurs yeux ? Nous savons que les garanties données par un partenaire de ce type dans des lettres d'engagement sont fréquemment sujettes à de rapides rectifications…

Mon propos vous paraîtra sans doute pessimiste, mais le fait est que, en 2014, Alstom était un champion mondial et dans le secteur de l'énergie et dans celui du transport, et que, trois ans plus tard, sa branche « Énergie » semble bel et bien passée sous contrôle américain, et le ferroviaire va passer sous contrôle majoritairement allemand. Du point de vue de l'intérêt national, un terme qui, dans l'enceinte du Parlement, n'est pas encore un gros mot, on peut difficilement affirmer que tout cela est un franc succès. Aussi le rapporteur et moi-même avons-nous souhaité vous entendre rapidement après les organisations syndicales.

Mais nous ne sommes qu'au début de nos travaux, et nous n'excluons pas de vous auditionner une nouvelle fois lorsque nous aurons progressé.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d'enquête, je vais auparavant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

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