Intervention de Henri Poupart-Lafarge

Réunion du jeudi 14 décembre 2017 à 11h20
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

Henri Poupart-Lafarge, président-directeur général d'Alstom :

Monsieur le rapporteur, en évoquant la concurrence, vous avez abordé deux enjeux principaux de l'alliance entre Alstom et Siemens.

Les évolutions des technologies et des marchés sont extrêmement rapides. Personne ne pouvait imaginer que le coût de l'énergie solaire allait rattraper, dans un délai si bref, celui du charbon ou du nucléaire. Vous avez cité, à juste titre, le cas de BlackBerry : on peut disparaître très rapidement, si l'on n'est pas capable d'anticiper. Il est donc essentiel de pouvoir expérimenter en même temps plusieurs technologies qui pourraient être celles de l'avenir. Nous testons, par exemple, en ce moment tout à la fois l'autoroute électrique et le train à hydrogène. Évidemment, je crois beaucoup à ces projets, mais je n'ai pas de certitude : peut-être sera-ce un pari gagnant, peut-être pas. Il est clair que dans un monde en mouvement permanent, faire les mauvais choix, comme BlackBerry, c'est disparaître.

Si l'on veut être sûr d'être encore là demain, il faut donc impérativement parier aujourd'hui sur différentes technologies, et rester extrêmement innovant. Nous faisons le pari de l'hydrogène – mardi dernier, je me suis exprimé au One Planet Summit de Paris en tant que représentant du Conseil de l'hydrogène –, mais je ne mettrais pour autant pas ma main à couper que l'économie de l'hydrogène sera une réalité dans cinq ans. Il y a une quinzaine d'années, je siégeais au conseil d'administration de Ballard, une entreprise qui fabrique des piles à combustible. À l'époque, nous pensions qu'elles équiperaient toutes les voitures dans les cinq ans. Quinze ans après, force est de constater, qu'il n'en est rien – ce qui ne signifie pas non plus que cette solution est définitivement morte. Qu'il s'agisse des aspects numériques, avec l'invention de nouveaux modèles, ou des aspects technologiques, nous sommes obligés de tester des innovations parce que personne ne sait quelle sera la solution définitive qui accompagnera la décarbonation du transport ; ce serait faire preuve d'arrogance que de prétendre le contraire.

Nous évoluons dans un secteur concurrentiel : CRRC fait quatre fois notre taille, mais CRRC n'est même pas le fer de lance de l'industrie chinois, car, derrière lui, il y a des génie-civilistes spécialisés dans le ferroviaire : CREC et CRCC, qui font chacun 90 milliards de chiffre d'affaires en portant le projet dit « One Belt One Road » que les Chinois développent à travers le monde. Sur certains marchés, de la même manière que les génie-civilistes chinois construisent des barrages, des génie-civilistes chinois spécialisés dans le ferroviaire, construisent les infrastructures et font ensuite appel à du matériel chinois.

Dans un tel contexte, les perspectives de croissance d'Alstom sans Siemens seraient bien moindres : sans cette alliance, nous ne parviendrions sans doute pas à conserver un, deux ou trois pas d'avance sur nos concurrents chinois en termes de technologies et d'innovation. À défaut d'être en mesure de nous battre sur les coûts, notre chance, notre espoir et notre stratégie, c'est de nous battre sur l'innovation, sur les coûts d'exploitation, et sur les critères environnementaux. Et sur tous ces terrains, il est évident qu'avec Siemens, nous sommes clairement bien mieux armés que sans Siemens.

Monsieur le rapporteur, il n'y avait pas de plan B en tant que tel. D'autres options étaient envisageables – on a parlé de Bombardier ou de Thales par exemple –, mais elles n'étaient pas sur la table ; elles n'étaient que théoriques. La partie « Signalisation » de Thales était d'ailleurs beaucoup moins transformante, et surtout elle n'était pas à vendre. Même théoriques, ces options ont toutes été considérées comme étant moins efficaces et moins porteuses d'avenir que l'ensemble Alstom-Siemens.

Vous avez, à juste titre, évoqué le nationalisme économique. Il faut rappeler l'histoire d'Alstom, que j'ai moi-même vécue. Si, lorsque nous avons acheté Fiat Ferroviaria, le gouvernement italien avait protesté contre l'emprise française, considérant qu'il s'agissait de l'un des fleurons du patrimoine industriel italien, nous aurions mis en place une sorte de partenariat un peu bancale. De même, si, le gouvernement allemand s'était opposé au rachat par Alstom de Linke Hofmann Busch (LHB), il nous aurait fallu monter un autre partenariat, et la même chose en Espagne et au Brésil… Vous imaginez à quoi ressembleraient les grands groupes européens s'ils étaient une sorte de patchwork de semi-partenariats au motif qu'aucun État ne voudrait prendre le risque d'alliances globales – je parle de risque, mais, en l'espèce, notre accord est extrêmement équilibré. Jamais Alstom n'aurait pu se développer dans ces conditions.

Je considère que l'opération dont nous parlons est positive. Elle se situe dans la parfaite lignée de l'histoire d'Alstom. Je l'ai rappelé : il y a vingt ans, nous étions « GEC-Alstom », une entreprise franco-anglaise, et, en 1928, Alsthom est né d'une entreprise française et d'une entreprise américaine. De tout temps, les alliances ont existé. Il serait très négatif pour l'industrie de se crisper sur des questions de nationalité, alors même que des combats sont en cours : celui de la décarbonation des transports, la concurrence avec les grands acteurs asiatiques… Ces combats méritent que l'on passe outre les questions de nationalité. Alstom ne serait jamais devenu Alstom si tous les pays avaient adopté des positions frileuses.

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