Intervention de Samuel-Frédéric Servière

Réunion du mercredi 13 décembre 2017 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

Samuel-Frédéric Servière, Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP) :

Ce titre était volontairement provocateur parce que nous n'avions pas encore toutes les dispositions en main.

Si l'on souhaite véritablement bâtir un droit à l'erreur opposable à l'administration, il va sans doute falloir renforcer les dispositions juridiques qui encadrent le dispositif proposé. À nos yeux, pour les deux versants du droit à l'erreur et du droit au contrôle, ce projet de loi prévoit des exceptions qui nous posent problème.

Pour le droit à l'erreur, en exclure les professionnels soumis à leur autorité sectorielle semble excessif, surtout si cela est couplé avec d'autres dispositifs figurant dans le texte, comme tout ce qui relève de la demande de prise de position formelle, par exemple.

J'ai essayé de raisonner en réseaux : dès lors que l'on crée une pluralité de droits, ils doivent pouvoir se recouper et se renforcer. Ainsi, lorsque l'on dispose d'un droit à communication des documents, de la demande de prise de position formelle, et que l'on a droit au contrôle, il serait possible d'ouvrir le droit à l'erreur de façon un peu plus large envers les autorités de tutelle lorsqu'elles sont sectorielles. J'en veux pour preuve la prise en compte de la jeunesse de l'activité du requérant. Ainsi, à partir du moment où vous souhaitez entrer dans une activité, la possibilité vous est offerte de demander à l'administration compétente un certain nombre de documents. De bonne foi, vous tâchez de vous soumettre aux obligations légales qui vous sont opposées ; cela devrait, dans un délai restant à déterminer par le législateur, ouvrir droit à l'erreur auprès des autorités de contrôle, car vous êtes jeune dans l'activité.

Cela améliorerait le texte, et renforcerait l'activité et l'attractivité d'un certain nombre de professions.

S'agissant du droit au contrôle, le texte prévoit deux limitations, lorsqu'il peut soit compromettre le fonctionnement du service, soit mettre l'administration dans l'impossibilité matérielle de mener à bien son programme de contrôle.

Nous proposons qu'il soit demandé à une autorité tierce, qui interviendrait en médiation, de s'assurer que ces motifs soulevés par l'administration pour ne pas accéder au droit au contrôle sont matériellement vérifiables. À défaut, l'application de ces nouveaux droits ne sera pas garantie, et de ce point de vue, on risque de connaître un écart important entre la théorie et la pratique. C'est pourquoi nous considérons que ces questions doivent être posées ab initio.

Il conviendrait de conduire une réflexion au sujet du déploiement du Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP), pour la partie touchant aux performances des agents publics qui auront à en connaître, de façon à vérifier qu'il n'y a pas de contradiction entre les objectifs qui leur sont assignés en matière de rendement, par exemple, dans leur activité de contrôle, et les possibilités d'y déroger.

Le Gouvernement opposera peut-être au Parlement que ce sujet ne relève pas de sa compétence, mais des amendements d'appel n'en pourraient pas moins être déposés afin de le sensibiliser à la nécessité d'évaluer les capacités des fonctionnaires concernés à ouvrir ce droit aux administrés.

S'agissant de la philosophie générale du texte, il est agréable de constater qu'elle répond à l'esprit de la stratégie nationale d'orientation qui lui est annexée. Toutefois, je déplore que les questions d'évaluation, de simplification et d'étude d'impact soient renvoyées à un projet de loi prévu au printemps prochain. Ainsi que nous l'avons dit devant de nombreuses institutions, dont le Conseil d'État, nous sommes très attachés à la démarche d'évaluation continue, promise par la stratégie nationale d'orientation. Or, cette démarche est singulièrement absente du texte ; le Conseil d'État a d'ailleurs considéré que l'étude d'impact était extrêmement lacunaire.

Il serait de bonne méthode de fournir des études d'impact consistantes, portant notamment sur des questions juridictionnelles emportant la création de demandes d'appréciation en régularité, etc., qui ne sont pas évaluées en termes de lourdeur du contentieux, de risque de conflit entre autorités de même niveau hiérarchique sur le plan juridictionnel, par exemple. C'est un domaine qui reste en friche.

Par ailleurs, vous n'êtes pas sans savoir que l'IFRAP a pris position sur la question du flux et du stock des textes réglementaires.

La circulaire du Premier ministre du mois de juin 2017, ainsi que celles de 2015 et 2016, qui l'ont précédée, traitent de la question du flux. En revanche, le problème du stock demeure, pour lequel un cabinet privé a réalisé un audit dont les conclusions ont été jointes à un rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) sur les obligations d'information, réalisé en 2006 et mis à jour en 2007.

Ce document, qui n'a pas été publié, faisait état d'un manque d'évaluation du stock, ce qui avait conduit à construire un « outil stock commun antennes et réseaux », dit OSCAR destiné à évaluer la complexité normative, dont la version émulée existe toujours au secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP).

Dans le cadre de cette stratégie nationale, qui constitue le fil conducteur de la lecture du projet de loi et des textes à venir sur la question, si l'évaluation régulière de l'action publique ainsi que de tout vecteur législatif ou réglementaire est effective, ne faudrait-il pas engager une réflexion portant sur le stock ?

Cela permettrait un positionnement raisonnablement proche de la trajectoire allemande, qui consiste à évaluer le stock, puis créer une baseline à partir de laquelle on estime le flux entrant et sortant des dispositions législatives afin de procéder à une évaluation au fil de l'eau. En Allemagne, cette évaluation est pratiquée au mois le mois et publiée annuellement par les services compétents. Une telle initiative permettrait de maintenir la cohérence entre les droits nouveaux et la production normative, qui sont les deux premiers axes de la réforme.

La question de la numérisation constitue le troisième axe. À cet égard, il conviendrait d'articuler tout ce qui est en rapport avec l'expérimentation autour des référents uniques, notamment en matière de protection sociale, avec les dispositifs existants, dont le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS). Nous attendons d'ailleurs toujours de cet organisme les développements informatiques susceptibles de permettre un certain nombre de croisements de fichiers, en prenant pour modèle la Banque carrefour de la sécurité sociale belge (BCSS).

Pour en revenir à la philosophie générale de ce projet, elle va dans la bonne direction depuis la communication de la note initiale, nous avons compris qu'il est comme un fer de lance et qu'une série de textes en déclineront par la suite les applications.

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