Mesdames et messieurs les députés, merci de me permettre de partager avec vous ce moment important à deux titres : d'abord, parce que vous siégez dans la première commission spéciale de cette législature, ensuite parce que le sujet de ce projet de loi le mérite. Je me présente devant vous avec l'idée d'accomplir un travail collectif sur un texte qui devrait pouvoir réconcilier les points de vue de la majorité et de l'opposition, c'est en tout cas dans cet esprit qu'a travaillé le Gouvernement.
Je souhaite pour ma part que nous puissions travailler avec les deux chambres, députés et sénateurs réunis, pour parvenir à une CMP conclusive, ce qui serait un signal fort en faveur de la simplification, la bienveillance et la bonne foi.
Je voudrais remercier non seulement mon cabinet et mes services pour le travail très important qu'ils ont conduit quasiment depuis ma prise de fonctions, puisque le Président de la République avait promis, lors de sa campagne électorale, cette simplification de l'administration, à laquelle toutes les personnalités politiques aspirent, avec cette idée que le service public doit être plus efficace. En ce sens, ce projet de loi constitue l'acte I du programme Action publique 2022, qui va bien au-delà de la transformation de notre administration et entend faire évoluer la société dans son ensemble.
Je souhaite également remercier l'ensemble des députés qui ont participé à la préparation de ce texte, avant sa présentation en Conseil des ministres, au travers de différents échanges avec le ministère ou au sein du groupe de travail informel qui a apporté au projet des améliorations notoires.
Je remercie aussi le conseiller d'État Thierry Tuot qui m'a beaucoup aidé à y voir clair dans les méandres administratifs, sachant qu'innover en soi est déjà compliqué mais qu'innover au plan administratif l'est encore davantage. Merci enfin à tous les acteurs de la société civile, aux organisations syndicales, professionnelles et à tous ceux qui, par leur bon sens, ont apporté et apporteront demain leur pierre à cet édifice.
Pour ce qui regarde la méthode, il s'agit de travailler en amont de la discussion législative mais également en aval, car l'essentiel est d'agir concrètement. Le secret de l'action, disait le philosophe Alain, c'est de s'y mettre. Ainsi, une fois adopté le projet de loi et promulguée la loi, il faudra la mettre en pratique, non seulement dans les textes, en publiant les textes réglementaires et les circulaires qui s'imposent, mais également dans les têtes, car l'établissement d'un État au service d'une société de confiance passe avant tout par des changements dans le management des femmes et des hommes.
Je propose également de vous accompagner non seulement lors de l'examen du texte en commission mais aussi après la promulgation de la loi, en mettant en place, comme vous en avez exprimé le voeu, un conseil de la réforme, qui permette d'assurer le « service après-vote », c'est-à-dire de garantir que le ministre et son administration n'oublieront pas leur mission d'innovation.
Indépendamment de ce projet de loi, le Gouvernement se donne les moyens de la transformation, puisque 1,5 milliard d'euros seront affectés sur la durée du quinquennat à la formation des agents publics, notamment aux nouvelles exigences de la société numérique, tandis que 700 millions d'euros sont consacrés dans le budget pour 2018 aux actions de transformation directement rattachées au ministère de l'action et des comptes publics.
Pour en revenir au projet de loi, il doit résoudre un paradoxe qui fait que les Français aiment leur service public mais se méfient de leur administration, méfiance qui confine parfois à l'énervement, voire à la détestation quand se jouent des drames sociaux ou lorsque le système semble devenu une caricature kafkaïenne. Lorsque j'étais petit, ma vision de l'administration suivante ressemblait à ce qui va suivre : (Un court extrait du film Les Douze Travaux d'Astérix, de René Goscinny et Albert Uderzo est diffusé, montrant Astérix et Obélix dans « La maison qui rend fou », un bâtiment administratif organisé en dépit du bon sens, dans lequel ils tentent en vain de se procurer le laissez-passer A-38.)
Les caricatures de l'administration affectent en premier lieu les agents, qui sont les premiers à subir le carcan d'une loi dont ils admettent volontiers qu'elle est parfois absurde, et pas toujours adaptée à la situation des particuliers, des entreprises ou des collectivités locales.
J'aimerais résumer l'esprit de bon sens, de bienveillance et de simplicité qui devra désormais présider aux rapports entre administration et administrés, en quinze brefs aphorismes, qui me semblent être les quinze commandements que doit faire siens ce projet de loi destiné à refonder une administration au service d'une société de confiance.
Aphorisme n° 1 : « L'erreur est humaine, mais persévérer est diabolique. » C'est le principe même de la philosophie du droit à l'erreur, qui n'est pas la licence à l'erreur, mais privilégie la bonne foi sur la mauvaise foi, laquelle n'est rien d'autre que la réitération d'un mauvais procédé, dont on sait pertinemment qu'il est mauvais.
La bonne foi est déjà juridiquement reconnue en matière fiscale à l'article L.62 du livre des procédures fiscales. Elle doit être désormais un principe général, en vertu duquel seront par nature réputés de bonne foi le particulier, le contribuable, l'administration locale vis-à-vis de l'administration d'État ou encore l'entreprise, sans qu'ils aient à apporter la preuve de cette bonne foi. Selon l'idée du Président de la République, ce principe général devrait induire un changement très profond dans les rapports entre les citoyens et l'administration.
Aphorisme n° 2 : « Le contrôle n'exclut pas la confiance », inversant ainsi la formule usuelle. Dans une logique d'inversion des rôles, le projet de loi crée, au profit notamment des entreprises, un droit au contrôle, lequel contrôle sera effectué en conséquence avec une bienveillance particulière par l'administration contrôleuse. Toute la philosophie du texte consiste d'ailleurs à passer d'une administration de contrôle – dont l'importance demeure pour des raisons évidentes de sécurité, qu'il s'agisse de la police de l'environnement, de la sécurité des biens et des personnes – à une administration de conseil. Je regrette en l'occurrence que l'idée que les corps d'inspection deviennent de manière générale des « corps de conseil » n'ait pas été retenue, mais j'imagine que les parlementaires sauront se saisir de cette question sémantique, sachant que, bien souvent, la parole précède l'action. J'ajoute que le droit à l'erreur vaut également pour les procédures de contrôle et que, si, par exemple, une entreprise est contrôlée par l'Urssaf, il lui sera désormais possible de faire valoir son droit à l'erreur en cours même de contrôle afin de limiter la sanction éventuelle.
Aphorisme n° 3 : « Le temps, c'est de l'argent. » Chacun admet la nécessité des contrôles, notamment dans les entreprises. Restent que, lorsque ceux-ci se multiplient, notamment dans les TPE-PME, ils aboutissent à réduire le temps que le chef d'entreprise et les salariés peuvent consacrer à la production de valeur. D'où l'idée d'instaurer des limites en posant qu'il ne pourra y avoir plus de neuf mois de contrôle sur une période de trois ans, ce qui est déjà beaucoup. Pour évaluer la pertinence de cette limite, une expérimentation sera mise en place dans les deux régions qui concentrent le plus de TPE-PME, à savoir Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts-de-France. Je vous citerai ici le cas d'une entreprise du Nord, qui emploie cent quarante-cinq salariés dans le secteur de la logistique et a connu sept contrôles en trois ans : deux contrôles Urssaf, un contrôle environnement et un contrôle transport par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), une inspection du travail, un contrôle de la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) et un contrôle fiscal. Une telle répétition, vous en conviendrez, n'est pas très motivante pour un chef d'entreprise.
Aphorisme n° 4 : « Un homme – ou une entreprise – averti en vaut deux. ». Lorsque l'inspection du travail opère dans une entreprise, elle ne connaît pas de position intermédiaire entre la validation et la sanction, alors que la complexité du code du travail le rend parfois d'une application très complexe. C'est pourquoi, sur le modèle du carton jaune qui précède le carton rouge sur un terrain de football, nous créons une procédure d'avertissement, préalable à toute sanction, qui réorientera l'inspection du travail vers ses missions de conseil.
Le texte comporte à cet égard des dispositions spécifiques pour les agriculteurs, qui se plaignent de ne pas disposer de la teneur des procès-verbaux dont ils font l'objet en cas de contrôle ayant trait au respect du code de l'environnement ou du code forestier. Cette transmission sera désormais obligatoire, tandis que les chambres d'agriculture se verront confier une mission d'information des exploitants ayant pour objet de limiter l'impact des contrôles.
Aphorisme n° 5 : « Faute avouée est à moitié pardonnée. » En vertu de cet adage, nous diviserons par deux les intérêts moratoires lorsque la rectification viendra du contribuable ou de l'entreprise.
Aphorisme n° 6 : « Mieux vaut tard que jamais. » Plusieurs expérimentations vont être menées dans diverses administrations ainsi que dans deux juridictions d'importance, afin d'adapter les horaires d'ouverture – jusqu'à vingt heures ou le samedi matin – aux contraintes du public, afin qu'on ne soit plus obligé de poser une demi-journée de congé pour accomplir une démarche administrative.
Aphorisme n° 7 : « Tous les chemins mènent à Rome ». Un référent unique sera mis en place, notamment dans les CAF, pour la gestion des droits sociaux, domaine dans lequel il est particulièrement difficile d'identifier le bon interlocuteur.
Aphorisme n° 8 : « Dites-le-nous, une fois pour toutes. » Il s'agit de ne plus avoir à fournir à l'administration le même document à plusieurs reprises, alors même que votre situation administrative n'a pas changé, à charge pour l'administration de le conserver dans un coffre-fort numérique afin de pouvoir l'utiliser pour établir l'ensemble des actes qui vous concernent.
Aphorisme n° 9 : « Un bon accord vaut mieux qu'un mauvais procès. » En vertu de ce principe, nous allons généraliser la médiation, qui a fait ses preuves sous le gouvernement précédent, notamment pour les Urssaf d'Île-de-France, puisque plus de deux tiers des médiations ont été favorables aux entreprises. Nous faciliterons également la conclusion de transactions pour lesquelles la responsabilité personnelle de l'agent public signataire ne pourra être mise en cause, et ce afin d'éviter des procédures trop complexes et l'embouteillage des tribunaux.
Aphorisme n° 10 : « Le mieux est l'ennemi du bien. » Il s'agit ici de lutter contre notre propension à surtransposer les directives européennes dans notre droit, manière de mettre sur le dos de l'Europe des règles dont nous sommes les seuls responsables et qui sont parfois autant de freins à la compétitivité de nos entreprises. Dans cette optique, nous proposons, par exemple, de supprimer le rapport de gestion, cet acte administratif qui fait une dizaine de pages et que 1,5 million de TPE françaises doivent produire chaque année, ce qui leur prend entre une et deux journées de travail.
Je vous suggère à cet égard de lire l'excellent rapport que viennent de remettre vos collègues Jean-Luc Warsmann et Alice Thourot sur les moyens de lutter contre la surtransposition des directives européennes dans le droit français, et de faire vôtre la proposition n° 10, qui prévoit la possibilité pour les citoyens d'interpeller les pouvoirs publics dans le but de démontrer qu'il n'y a pas lieu de procéder à telle ou telle transposition. Le Gouvernement saura pour sa part s'y intéresser.
Aphorisme n° 11 : « Aujourd'hui, le numérique, c'est automatique. » La dématérialisation fera gagner non seulement du temps mais aussi de l'énergie, de l'efficacité et, nous l'espérons, quelques économies budgétaires. On sait les Français soucieux de secret et de sécurité. Or chacun considère, désormais, que le paiement de l'impôt en ligne a montré son efficacité et la rapidité avec laquelle les agents de la DGFiP répondent aux contribuables et aux entreprises démontre que l'administration est tout à fait capable de simplifier les démarches, de les rendre plus accessibles tout en garantissant le secret fiscal.
Aphorisme n° 12 : « La fin justifie parfois les moyens. » Nous devons désormais concevoir des lois d'objectifs et non plus de moyens. Le texte que nous allons soumettre à votre examen prévoit d'ailleurs que, dans la construction, si les objectifs de santé, d'environnement, de normes d'accès pour les handicapés… doivent être respectés – il ne s'agit pas de baisser la garde –, on ne sera plus obligé de démontrer par A plus B de quelle manière les atteindre. En effet, il ne faut pas empêcher la libération des énergies nécessaires à l'innovation. Le « permis de faire » que nous entendons instaurer laisse au particulier ou à l'entreprise imaginer les moyens d'atteindre une fin – que seule, donc, définira la loi. Il s'agit en somme d'une simplification au carré.
Aphorisme n° 13 : « Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? » On pourrait certes transformer le dispositif du droit à l'erreur en un dispositif de simplification. Certaines simplifications illustrent le droit à l'erreur mais le texte n'a pas vocation à recueillir les simplifications que chacun voudrait y intégrer ; le Gouvernement s'y opposera et j'espère que le rapporteur ne cédera pas à cette tentation. En revanche, le Gouvernement souhaite que chaque texte, au lendemain de l'entrée en vigueur du droit à l'erreur, prévoie un volet de simplification. Ainsi le Premier ministre a pris une circulaire, au coeur de l'été –qui n'a pas fait grand bruit mais qui se révèle très efficace –, consistant à ne pas ajouter une norme, dans le droit en vigueur, tant qu'on n'en a pas supprimé deux, si bien qu'en dehors des décrets d'application, depuis le mois de juillet, le Gouvernement n'a pas pris de nouveaux décrets créant de nouvelles normes.
Aphorisme n° 14 : « Les exceptions confirment la règle. » De précédents gouvernements ont tenté de procéder à une simplification administrative, et parfois avec succès, comme avec l'un de mes prédécesseurs, Alain Lambert, selon une conception alors moins verticale, tandis qu'aujourd'hui la volonté du Président de la République est très forte. Il faut en effet éviter qu'un trop grand nombre d'exceptions ne dénature le principe général de simplification. C'est pourquoi nous proposons qu'il n'y ait que trois types d'exceptions : celles concernant la sécurité des biens et des personnes, celles qui touchent aux règles environnementales – même si nous pouvons travailler autour des questions agricoles dont l'insuffisante simplification est peut-être une faiblesse du texte, même s'il se trouve toujours quelqu'un pour expliquer qu'il est important de garder telle norme que nous voudrions supprimer –, enfin les exceptions relatives aux normes européennes et internationales que nous devons respecter. En ce qui concerne les règles européennes, nous gagnerions à « détransposer » plutôt qu'à « surtransposer ».
Aphorisme n° 15 : « Tourcoing ne s'est pas fait en un jour. » Ce n'est pas par ce seul texte que nous parviendrons à régler toutes les difficultés administratives, à changer les comportements, à enrayer la volonté des parlementaires et des membres du Gouvernement de trop légiférer – et il est souvent difficile de rappeler à un parlementaire qui a une bonne idée qu'elle ne relève pas du domaine de la loi, difficile parce qu'il n'a pas confiance en l'action du Gouvernement pour mettre en oeuvre cette idée ; on a de la même manière l'impression qu'un ministre qui ne dépense pas n'est pas un bon ministre.
Pour me résumer, les Français attendent de leur administration : bienveillance, simplicité et efficacité.