Intervention de Gérald Darmanin

Réunion du mercredi 20 décembre 2017 à 16h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Même si l'on met six mois à élaborer un texte on peut avoir quelques frustrations et estimer que sur tel ou tel point il faudrait peut-être plus innover, tout en sachant que nous n'aurons sans doute pas d'autre occasion, au cours du quinquennat, d'utiliser les moyens que nous offrent le Président de la République et les assemblées pour travailler sur cette très importante question.

L'expérimentation me paraît être la bonne méthode : tester avant de généraliser est en général ce qui manque à la puissance publique. Nous avons lancé un appel à candidatures aux régions, départements, administrations, leur forçant quelque peu la main parfois. Si vous en êtes à l'origine, nous ne pourrons pas nous y opposer. J'ai demandé à mon cabinet de produire, dans la perspective de l'examen du texte en séance, une carte des territoires qui vont mener ces expérimentations afin que chacun en bénéficie sur son territoire – une bonne répartition est nécessaire. Bien sûr, si l'un pratiquera l'ouverture des fonctions publiques à des horaires tardifs, un autre essaiera la simplification administrative pour les entreprises. Dans ce contexte, le rôle de suivi des préfets sera très important.

Le Président de la République a annoncé une réforme constitutionnelle et vous savez qu'il souhaite en particulier la réduction du nombre de parlementaires. Dans cette perspective de réforme, le ministre de l'action et des comptes publics souhaite, lui, qu'on passe plus de temps à l'examen de la loi de règlement qu'à l'examen du projet de loi de finances, trop long et qui de ce fait ne permet pas vraiment au Parlement de contrôler l'action du Gouvernement – nous l'avons tous déploré. Cette réforme peut être l'occasion d'expérimentations plus vastes. Le Parlement pourrait d'ailleurs suggérer au Gouvernement certains sujets d'expérimentation, étant entendu que la République doit rester indivisible et qu'on ne saurait dépasser certaines limites.

Nous avons fait le choix de légiférer par ordonnances car nous savons tous que, malgré la possibilité d'engager la procédure accélérée, il convient de mener la simplification rapidement : on ne peut prôner l'efficacité et la rapidité et mettre sept ou huit mois pour appliquer un texte, ce serait absurde. Je propose que le fameux conseil de la réforme, composé de députés et de sénateurs, examine tous les textes, qu'ils soient législatifs ou réglementaires. Une telle organisation permettrait d'être souples et efficaces. C'est en tout cas une manière d'obliger le Gouvernement à appliquer ce qu'il préconise.

J'en viens aux études d'impact. Je me punis moi-même, d'une certaine manière, en vous disant ce que je vais vous dire, et je n'entends pas désespérer les agents publics qui ont beaucoup travaillé à des études d'impact parfois très importantes – comme pour le présent texte d'ailleurs –, mais il est raisonnable de considérer qu'on leur fait dire ce qu'on souhaite. Un ministre n'en fera pas rédiger une qui n'ira pas dans le sens de son projet de loi. C'est pourquoi le travail d'évaluation ne peut être uniquement gouvernemental. En outre, il est difficile de mesurer l'impact d'une innovation qui n'existe pas.

J'ai toujours été étonné par ces parlementaires qui demandaient des rapports au Gouvernement pour lui démontrer qu'il avait tort : si vous demandez un rapport sur le dégrèvement de la taxe d'habitation, par exemple, celui que je commanderai à mon administration risque bien de ne pas être tout à fait négatif sur cette réforme gouvernementale… Au fond, ce travail d'évaluation doit être mené par les deux chambres. La Cour des comptes, pour sa part, utilise ce pouvoir d'évaluation des politiques publiques et elle le fait bien mais c'est davantage le rôle du Parlement d'évaluer ces politiques et de saisir en opportunité le Gouvernement, que le rôle du Gouvernement de se juger lui-même par le biais d'études d'impact ou de rapports que lui aura commandés le Parlement. Et si la Cour des comptes, pour en revenir à elle, tend à aller plus loin en la matière, c'est parce que le Parlement refuse d'exercer son pouvoir.

Dès lors qu'elles contiennent des éléments intéressants, il est certes nécessaire que l'État fournisse des études d'impact, mais vous pourriez par exemple introduire une disposition dans le projet de loi qui prévoie un système d'évaluation parlementaire – le Gouvernement se mettant alors à votre disposition pour vous répondre. Ainsi, pendant l'examen du projet de loi de finances, le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) a fait l'objet de fantasmes. Tous les rapports d'inspection estimaient que ce dispositif était mal orienté – pour des raisons que l'on peut comprendre, il n'est pas très intuitif de penser que les portes et fenêtres, aujourd'hui, n'empêchent pas les déperditions énergétiques. J'ai proposé au président de la commission des finances, à bout d'arguments, d'auditionner des représentants de l'inspection des finances. Or si l'on persiste à fonder des politiques sans tenir compte des rapports éventuellement négatifs publiés par les corps d'inspection, évaluations pourtant sollicitées, comment lutter contre ce qui relève dès lors de la pensée magique ? Il n'est pas tout à fait faux de penser que le Gouvernement oriente, voire cache, certains rapports d'évaluation ou certaines études d'impact, mais ce n'est pas tout à fait vrai non plus. J'y insiste donc : il revient aux parlementaires de mener ce travail d'évaluation en amont, étant entendu qu'il n'est pas facile de mesurer l'impact d'un dispositif totalement innovant – et à trop vouloir innover on finit par ne pas agir.

La réforme de l'État, quant à elle, ne se confond pas avec le programme Action publique 2022 qui n'en est qu'une partie. Dans le cadre dudit programme, les directeurs d'administration et les ministres sont auditionnés. À la fin du mois de janvier ou début février, tous les ministres doivent rendre une « copie définitive » au comité Action publique, sur la manière dont ils envisagent la transformation de leur administration. Le comité rendra à son tour un rapport au Premier ministre, sans doute au début du mois de mars.

À partir de ce rapport très disruptif, une discussion politique s'engagera – au sein du Gouvernement, au sein du Parlement, puisqu'un député et un sénateur appartenant à deux camps politiques opposés appartiennent à la commission, avec les organisations syndicales, et plus largement dans toute la société. Le droit à l'erreur sera discuté en séance publique à l'Assemblée nationale au mois de janvier ; il le sera au mois de mars au Sénat. Nous espérons une promulgation rapide, au moment même où sera rendu le rapport du comité Action publique 2022, dont la mission est en outre bien plus générale.

M. Olivier Dussopt est évidemment à votre disposition ; je lui ai proposé que nous assistions ensemble aux débats parlementaires. Il répondra ainsi à vos questions, notamment sur la façon dont le droit à l'erreur peut être à l'origine de nouvelles formes de management dans la fonction publique. Il manque sans doute dans l'administration une volonté forte de management, et ce que voient les agents sur le terrain est sans doute souvent plus intéressant que ce que l'on lit dans les circulaires écrites en haut, qui participent à la rupture entre le citoyen et l'administration – rupture que le dessin animé que nous avons regardé ensemble montre de façon amusante.

J'entends ce que vous dites de la médiation et de l'URSSAF. La médiation n'est pas évidente dans les URSSAF, y compris pour les entreprises d'ailleurs ; mais cela marche, et il est donc logique de généraliser ces procédures. Faut-il expérimenter le dialogue dans telle ou telle administration qui contrôle et sanctionne, et généraliser ensuite, ou bien faut-il généraliser d'emblée le principe du dialogue ? À mon sens, la première option est préférable. L'expérimentation permet de dresser des bilans. Celui de l'expérience lancée par le Gouvernement précédent en Île-de-France est en tout cas très positif.

Nul n'est censé ignorer la loi, c'est entendu, mais il faut bien avouer que sa nature empêche de l'apprendre par coeur. Souvent, nos normes sont kafkaïennes, et l'administration elle-même ne s'y retrouve pas toujours – même la direction générale des finances publiques avoue avoir parfois du mal… Vous opinez du chef, monsieur le directeur général de la DGFiP. (Sourires.)

Nous devons donc mener soit un travail de codification, ce qui se fait souvent par ordonnances, soit un travail de concentration, de résumé, des normes applicables, ce que nous permettent les nouvelles technologies. Le rescrit est à mon sens un très bon outil, et le projet de loi propose l'instauration d'un rescrit douanier – ce qui est une nouveauté pour les Douanes, qui sont en lien avec beaucoup d'entreprises. J'ai souvent été interpellé sur des difficultés rencontrées avec cette administration, et j'ai même souvent réformé des décisions dont les notes qui arrivent sur mon bureau me disent qu'elles sont parfois absurdes. C'est un pouvoir ministériel, que j'utilise avec parcimonie, mais il est vrai qu'il y a des aberrations. Quant au certificat d'information, il doit permettre de résumer les textes en vigueur.

Les technologies nouvelles doivent permettre une information quasiment en temps réel sur un sujet. Sous cet aspect, l'administration est en retard, sauf avec Légifrance – mais il faut tout de même quelques cours de droit pour apprendre à bien se servir de cet outil. Je doute que qui que ce soit lise tous les matins le Bulletin quotidien et les actualités de Legifrance, sinon il ne doit pas lui rester beaucoup plus de deux heures de travail dans la journée… Sur ce point, le texte ne va pas assez loin. Il faut réfléchir à un nouveau carrefour de l'information, fondé sur les nouvelles technologies.

Enfin, je conserve une petite frustration. L'agent public doit être le premier acteur de cette transformation ; c'est lui qui répond, au guichet, au téléphone, à un particulier ou à une entreprise, et qui trouve une solution. La quasi-totalité des agents publics s'efforcent, parce que c'est leur métier, et parce qu'ils aiment servir le public, de démêler les fils de l'administration. Mais ils sont parfois pris au piège de normes, ou de leurs propres responsabilités, et ils sont alors obligés d'appliquer une règle qui leur paraît absurde. Nous avons tous des exemples de règles inadaptées que l'administration se sent néanmoins obligée d'appliquer.

En proposant que la responsabilité personnelle du signataire de la transaction ne puisse être mise en cause, en instaurant la médiation, nous ouvrons des pistes. Mais, quel que soit le nombre d'exceptions que nous introduisons, la loi ne répondra jamais parfaitement à la complexité de la vie. C'est pour cela que les élus tiennent des permanences : nous essayons de régler humainement des situations que les textes n'ont pas prévues.

Le Gouvernement n'a pas trouvé – mais j'aimerais vraiment que nous y parvenions collectivement – de définition satisfaisante du bon sens. Un agent qui a du bon sens pourrait, sans aller contre la loi et peut-être dans des domaines limités, là où les conséquences d'une décision sont importantes pour la personne concernée mais très faibles pour la société, se retourner vers son supérieur hiérarchique pour lui demander l'autorisation d'innover. Ne pas donner à l'agent public l'autorisation d'adapter la loi ou le règlement à la vie des personnes me paraît regrettable. La loi est générale, certes, mais en réalité elle descend tellement dans le détail qu'elle devient parfois kafkaïenne.

En trouvant cette définition, nous ferions oeuvre utile. Il faudrait bien encadrer une telle disposition, et prévoir que l'agent soit responsable si ce qu'il fait ne répond pas aux principes de confiance, de bienveillance et de bon sens.

Mais la volonté de régler toutes les exceptions par la loi nous mène dans le mur. Nous sommes les premiers à demander de la simplicité. Il faut donner aux agents publics la confiance qu'ils méritent. Leur rôle s'en trouverait revalorisé.

Je reviens enfin sur le Conseil de la simplification. La simplification, ce n'est pas simple, et créer des institutions pour régler des problèmes institutionnels ne me paraît pas constituer la meilleure solution possible. Je ne suis pas favorable, à titre personnel, aux conseils censés proposer des simplifications. Là encore, c'est un travail qui devrait à mon sens plutôt revenir au Parlement.

Les conseils de simplification n'ont pas toujours produit beaucoup de simplification. Cela s'est produit, certes, mais il faut que la volonté d'agir soit très forte – j'ai cité M. Lambert. Il arrive aussi que des intérêts se cachent derrière des propositions. Derrière chaque norme, il y a un intérêt : c'est parfois l'intérêt général, mais parfois aussi un intérêt particulier.

Cela pourrait donc être le rôle des parlementaires que de suivre ce travail de simplification, dans l'esprit de bienveillance et de bon sens de ce projet de loi.

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