Intervention de Loïc Prud'homme

Séance en hémicycle du lundi 8 novembre 2021 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Agriculture alimentation forêt et affaires rurales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLoïc Prud'homme :

Notre modèle de production alimentaire est à bout de souffle : ses limites sont atteintes pour les consommateurs et pour les producteurs. Malgré cette situation, votre budget est à l'image de votre politique : sclérosée, suivant de vieilles recettes libérales qui ne cessent de démontrer leur incapacité à produire une alimentation saine et locale en quantité, à assurer un revenu décent aux agriculteurs et aux agricultrices, et, de fait, à enrayer la disparition continue de dizaines de milliers de paysans.

Ni les agriculteurs ni nos concitoyens ne s'y retrouvent, et chaque année qui passe est une année perdue pour nos écosystèmes qui se meurent, pour la santé publique qui se dégrade, pour notre agriculture qui agonise.

La question du revenu de nos agriculteurs est centrale, dans ce secteur où le fossé se creuse, entre les mégaexploitations qui se portent bien en produisant de manière industrielle et en captant l'argent public, et les petits producteurs qui peinent à dégager un salaire, quand ils ne creusent pas, année après année, leur déficit, à force de produire à perte.

Le débat budgétaire est le moment où nous pouvons réorienter et renforcer notre soutien à un secteur ô combien stratégique. Mais vous ne faites rien. Rien, hormis distribuer cette année plus de 500 millions d'euros aux assureurs privés, pour essayer de compenser les dégâts du changement climatique, que vous provoquez. Rien pour protéger nos agriculteurs en sortant de vos traités de libre-échange, sinon nous chanter la ritournelle des avantages comparatifs de votre petit manuel obsolète d'économie libérale. Rien non plus sur l'incroyable régime fiscal d'exception dont bénéficient les coopératives agricoles.

Ce régime fiscal, créé alors que les coopératives étaient des outils de solidarité entre paysans, ne colle plus à la réalité – des multinationales, dont 3 % s'approprient désormais plus de 85 % de la production agricole. Elles sont dirigées par des cadres sortant des plus grandes écoles de commerce, et elles essorent les agriculteurs, leur dictant ce qu'ils doivent produire, comment et à quel prix ils seront – mal – payés. Ce sont des rouages à part entière de l'économie libérale, cherchant la performance à n'importe quel prix, et les producteurs ne sont alors plus que leurs esclaves, enchaînés à des monopoles de filière. Que faites-vous contre cela ? Où est votre amendement visant à revenir sur cet avantage fiscal indu ? Je le cherche encore.

Rien non plus pour sortir de la situation financière intenable où, quand ce ne sont pas ces mégacoopératives, ce sont les banquiers qui décident de la stratégie de nos paysans, aliénés à leur dette, dans une fuite en avant trop souvent fatale – je le dis avec gravité – au sens propre comme au sens figuré.

Je cherche toujours les actions que vous avez menées pour sortir de la spirale dette, emprunt, agrandissement, intérêts ou de la spirale dette, emprunt, spécialisation, intérêts, etc. En n'aidant à aucun moment le monde agricole à sortir de cette spirale infernale, vous êtes finalement le ministre d'une agriculture du passé : celle qui continue à épandre massivement des pesticides qui tuent les agriculteurs et la biodiversité – glyphosate et néonicotinoïdes en tête ; celle qui négocie avec la multinationale des engrais chimiques Yara les approvisionnements d'engrais de synthèse dont la fabrication et l'usage sont terriblement climaticides et dont le stockage est particulièrement dangereux ; celle qui pompe dans les nappes phréatiques ou construit en douce des barrages pour accaparer l'eau, notre bien commun, et la stocker dans des mégaretenues au service de quelques-uns et surtout au mépris de tous ; celle qui laisse disparaître les agriculteurs – dans dix ans, 50 % d'entre eux auront disparu si on vous laisse faire – et nos collègues l'ont rappelé, rien n'est planifié en matière de formation ou même de soutien à l'enseignement public agricole ; celle qui plonge dans le mirage de la fuite en avant technobéate avec la robotique ou encore les NBT, nouveaux organismes génétiquement modifiés (OGM) tout droit sortis des laboratoires ; celle qui est incapable de décider de prix plancher rémunérateurs pour nos agriculteurs ; en somme, une stratégie agricole qui nous condamne, celle qui a déjà perdu et dont il est prouvé qu'elle ne permettra pas de nourrir sainement le pays.

Vos orientations politiques pour l'agriculture sont les mêmes que celles des années 1960, les mêmes qui nous ont menés dans l'impasse dans laquelle nous sommes aujourd'hui et que, pourtant, vous continuez d'appliquer. Alors que la situation impose d'opérer une bifurcation complète, vous foncez allègrement vers le précipice. Ainsi, vivement 2022, que les Français vous retirent le volant, mais aussi le permis de conduire de notre agriculture.

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