Intervention de Ugo Bernalicis

Séance en hémicycle du mardi 16 novembre 2021 à 21h45
Motion de rejet préalable (projet de loi ordinaire) — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaUgo Bernalicis :

Ceux qui me connaissent savent d'ailleurs que je l'étudie souvent et longuement : c'est là mon devoir de parlementaire de l'opposition, même si le résultat en est souvent pénible pour vous. Je l'avais dit, je le répète : il comporte des progrès, des dispositions avec lesquelles je suis d'accord. Le contrat d'emploi pénitentiaire, dont j'aurais préféré une version maximaliste, va du moins dans le bon sens et fournit un point d'appui. La restriction des critères permettant un maintien en détention provisoire, très bien : j'y suis favorable, ainsi qu'à la libération sous contrainte pour les trois derniers mois, quoique celle-ci ressemble curieusement à un mécanisme de régulation carcérale qui ne dit pas son nom – pour reprendre la formule du ministre justifiant la suppression des réductions automatiques de peines. J'y reviendrai.

D'autres avancées sont plus techniques, moins visibles, qui concernent notamment les affaires non résolues et les crimes en série. Enfin, nous saurons au terme de ce débat s'il existe réellement une avancée en matière de secret de la défense et du conseil entre l'avocat et son client. L'Assemblée nationale avait adopté une bonne rédaction : je ne sais par quel hasard la majorité et le Sénat ont fini par s'accommoder d'une version problématique et par préférer conspuer la corporation, par définition corporatiste. Bref, tout cela se trouve bien mal goupillé.

Mais ces progrès sont très vite balayés non pas par les pratiques que j'ai évoquées en introduction, mais bien par les régressions et les reculs que sanctionne ce texte. C'est la raison pour laquelle nous nous y opposons et nous y opposerons encore.

Il y a les audiences filmées : au début, j'y étais favorable, mais cela devient « Télé Dupond-Moretti » ! Le ministère de la justice pourra choisir les audiences qu'il juge les plus pédagogiques, sur des critères que l'on ne connaît pas, avec des équipes de télévision dont nul ne saura pourquoi elles auront été choisies – peut-être appartiendront-elles au service public, mais pas toujours… On ignore, en définitive, ce qu'il en sera. Ce que l'on peut lire par voie de presse, c'est que l'ex-avocat et actuel ministre Dupond-Moretti se verrait bien demain le présentateur Dupond-Moretti, sans doute d'une émission télévisuelle judiciaire, pour que l'on arrête de dire : « Votre honneur » ! Effectivement, il faut arrêter de dire : « Votre honneur » : là-dessus, nous sommes d'accord.

J'en viens à la suppression d'une partie des procès d'assises, qui seront transférés à des cours criminelles départementales. Il y a des facéties de l'histoire, que l'on finit par retrouver en cherchant bien. Je me suis renseigné : les jurés populaires sont issus de la grande Révolution de 1789 et de la volonté de remettre le peuple au cœur des institutions judiciaires, pour trancher avec la justice d'Ancien Régime. À l'époque, on parlait de cours criminelles. Napoléon Bonaparte les a transformées en cours d'assises et ses successeurs ont conservé cette appellation. Or aujourd'hui, monsieur le ministre, vous reprenez l'appellation « cour criminelle », mais en supprimant les jurés, qui sont pourtant, je le répète, issus de la grande Révolution de 1789. Là où nous devrions plutôt discuter des moyens à donner à la justice pour qu'elle associe davantage le peuple – par tirage au sort en l'occurrence, s'agissant des jurés –, vous réduisez radicalement le périmètre pour des raisons de gestion de flux : « Nous n'avons pas assez moyens. Il faut aller plus vite, vous comprenez, le justiciable en a besoin. »

Quant à l'encadrement de l'enquête préliminaire, c'est un trompe-l'œil. L'idée d'une date butoir est alléchante, évidemment : pas plus de deux ans, plus un éventuellement, pour les affaires simples, donc trois au maximum, voire cinq, pour les affaires plus complexes. Mais une fois le terme de l'enquête préliminaire arrivé, quelle perspective reste-t-il ? L'enquête peut être classée sans suite, s'il n'y a pas d'éléments, ou bien faire l'objet d'un procès et d'un jugement, ou encore donner lieu à l'ouverture d'une information judiciaire pour être poursuivie par d'autres moyens, notamment ceux d'un juge d'instruction indépendant.

Or les statistiques démontrent que la très grande majorité des enquêtes préliminaires durent moins de trois ans. Seule une petite minorité d'entre elles durent plus longtemps : certaines traînent dans les tiroirs – il faut s'en occuper et les purger –, mais les enquêtes du parquet national financier (PNF), elles, durent plus de trois ans parce qu'elles sont plus complexes : elles ont souvent des imbrications internationales qui nécessitent de demander des documents à l'étranger, ce qui prend du temps. Or il n'y aura plus d'enquêtes préliminaires, alors que l'objectif du PNF était justement d'en ouvrir pour toutes les affaires afin de gagner du temps d'enquête et d'aller plus vite au procès ! Le PNF voulait ainsi éviter que l'on puisse prétendre qu'il y a une justice qui prend son temps pour les plus puissants et une justice en comparution immédiate pour les plus faibles. En définitive, monsieur le ministre, vous signifiez aux juges du PNF qu'ils retourneront devant le juge d'instruction s'ils n'ont pas bouclé leur enquête en trois ans. Auriez-vous prévu d'augmenter, en conséquence, les moyens de la chambre de l'instruction et des cabinets d'instruction ? Que nenni ! Que va-t-il se passer ? Juste une augmentation des durées d'enquête pour les plus puissants de ce pays : voilà le seul résultat politique auquel conduira la proposition, somme toute assez alléchante, d'encadrement de l'enquête préliminaire.

S'agissant ensuite de la suppression des réductions automatiques de peine, on nage en plein délire ! On nous explique qu'on va faire « mieux de prison » avec plus de prison, avec une carotte, en demandant aux détenus de s'investir : on sait évidemment que c'est leur faute s'ils ne travaillent pas assez ! La liste d'attente pour travailler en prison est longue comme le bras mais s'il n'y a pas assez d'activités, c'est bien sûr de la faute des prisonniers.

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