Quant à l'encadrement des enquêtes préliminaires, vous proposez une durée de deux ans pouvant être prolongée un an, ou de trois ans pouvant être prolongée deux ans. Pour notre part, nous avons proposé que le juge des libertés et de la détention vérifie tous les ans l'état d'avancement de l'enquête, et discute avec le procureur de l'opportunité de la prolonger. Stop ou encore ? Passe-t-on à la phase de jugement ou classe-t-on l'affaire sans suite ? A-t-on encore légitimement le droit et la volonté de poursuivre l'enquête préliminaire, ou faut-il passer à l'instruction ? Un magistrat indépendant en serait chargé ; il serait une sorte de juge de l'enquête – certains le veulent, mais pas le ministre. Or ce n'est pas ce qui a été fait.
Plutôt que de supprimer les réductions de peine automatiques, nous aurions pu assumer le fait d'appliquer un mécanisme de régulation carcérale, ambitionner d'en finir définitivement avec la surpopulation carcérale et tenter de faire en sorte que la peine retrouve un minimum de sens, y compris pour ceux qui sont en prison, mais ce n'est pas ce que nous faisons.
Nous aurions pu estimer qu'il importe d'éviter l'inflation pénale, qui consiste à augmenter systématiquement l'échelle des peines – trois ans de prison contre deux auparavant, 30 000 euros d'amende au lieu de 15 000 euros, etc. – et envisager d'amorcer une réflexion et de formuler des propositions en vue d'aboutir à la déflation carcérale que nous appelons de nos vœux. Je rappelle en effet que les personnes placées sous main de justice sont toujours plus nombreuses en France, alors que les chiffres de la délinquance, eux, continuent de baisser.
Nous aurions pu affirmer la nécessité d'une justice véritablement indépendante et aligner les règles de nomination du parquet sur celles du siège, mais ce n'est pas ce qui est proposé.
Nous aurions pu juger qu'il fallait accorder des moyens suffisants à la justice – ah non, j'oubliais ! Vous avez réparé la justice, monsieur le ministre : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ! On se demande d'ailleurs qui sont ces rebelles, ces individus un peu suspects qui osent remettre en cause ce récit : ce sont les magistrats du tribunal judiciaire de Rennes, dont l'assemblée, réunie le 10 novembre 2021, a voté une motion dans laquelle elle « constate le décalage grandissant entre les effectifs théoriques des magistrats du siège du tribunal judiciaire de Rennes et ses besoins réels ». On dirait du Bernalicis dans le texte ! C'est étonnant : je pensais que tout allait mieux !
Qu'aurions-nous pu faire d'autre ? Par exemple, plutôt que de généraliser les cours criminelles départementales, nous aurions pu imaginer – tout en maintenant les cours d'assises et les jurys existants et en leur donnant davantage de moyens afin d'augmenter le nombre d'audiences programmées chaque année et de raccourcir les délais d'attente – réfléchir à ouvrir la possibilité, pour certaines infractions, de désigner des jurys populaires en matière correctionnelle, afin d'associer davantage les citoyens à l'œuvre de justice. Ce n'est pas ce que vous faites : finalement, la justice civile, dans l'affaire, passe bien malheureusement à la trappe, alors qu'elle représente les trois quarts de l'activité du monde judiciaire. Mais nous redresserons la situation pas plus tard qu'en avril prochain.