Il y a deux jours, lors d'une conférence qui s'est tenue à l'École d'économie de Paris, j'ai entendu Éric Woerth rappeler que la reprise dont se félicite le Gouvernement n'effaçait pas les pertes de production de richesses dues à la crise. Comme je n'ai cessé de m'en inquiéter, je suis plutôt rassuré que ce fait soit enfin reconnu par d'autres. Ce qui m'ennuie en revanche, ce sont les conclusions qui sont tirées de ce constat et les solutions qui sont proposées.
Il faut dire que je commence à bien connaître les astuces des libéraux pour affaiblir l'État et la protection des peuples : je les vois venir ! Cette crise, ces dépenses et les deux ans de pertes de production que nous avons subis servent souvent de prétexte idéal pour justifier les saignées budgétaires et la poursuite du dépeçage de l'État. C'est à mon sens le principal objectif de la réforme dont nous discutons – j'y reviendrai.
Pourtant, il y a deux jours, lors de cette même conférence organisée par l'Institut des politiques publiques (IPP), à laquelle assistaient d'autres collègues membres de la commission des finances, j'ai aussi entendu François Lenglet admettre que, sans les dépenses exceptionnellement effectuées pendant la crise, la dette aurait pu atteindre jusqu'à 30 points de PIB de plus. C'est bien la preuve, s'il en fallait une de plus, que dépenser plus peut souvent être bénéfique et nécessaire, même du point de vue purement financier.
Le problème, c'est que les faits établis et les résultats d'études comme celle de l'IPP semblent glisser sur les plumes du Gouvernement sans jamais le faire dévier de ses objectifs absurdes. La crise n'est pas même terminée qu'il a déjà repris la même rengaine : vite, il faut rembourser la dette ! Donc, vite, il faut réduire le déficit ! Donc, vite, il faut réduire les dépenses !
Comme d'habitude, nous voici coincés par cette même solution contre-productive qu'ils apportent à tous les problèmes : pour se conformer aux règles arbitraires de Bruxelles et satisfaire les marchés financiers, il faudrait dépenser moins, beaucoup moins que ce dont a besoin la population. Et la droite, c'est-à-dire le Gouvernement et ses alliés de circonstance, franchit aujourd'hui un nouveau cap avec cette réforme de la LOLF. C'est bien en raison de l'objectif qu'elle poursuit que cette réforme est si inquiétante.
La chronologie parle d'elle-même. En mars, sortait le rapport Arthuis. En avril, les recommandations qu'il formulait figuraient dans le programme de stabilité, c'est-à-dire sous forme de promesses faites à Bruxelles. Et en mai, cette réforme arrivait devant notre assemblée pour poser les premiers jalons de ce projet visant à contraindre à un niveau historiquement bas les dépenses de l'État dans les années à venir et à réduire de manière radicale le taux d'endettement.
Pour y parvenir, le principe mis en œuvre est aussi simple que scandaleux : il s'agit d'assujettir le budget de l'État à une norme de dépense pluriannuelle instaurée à chaque début de mandat, qui serait contrôlée tous les ans par une instance extérieure non élue, probablement le Haut Conseil des finances publiques. En somme, il s'agit de saper la démocratie et le pouvoir de notre parlement en le soumettant encore plus à la logique destructrice de l'austérité.
C'est cette logique que l'on retrouve dans les textes que vous voulez nous faire voter aujourd'hui puisqu'ils posent les premiers jalons de l'application de cette norme pluriannuelle contraignante, même si, reconnaissons-le, ils favorisent une meilleure information des parlementaires.
Le problème, c'est que même pour jouer aux bons élèves de Bruxelles, le Gouvernement est encore à côté de la plaque. Cette logique de réduction à tout prix des dépenses publiques est la même que celle qui a fait sombrer la Grèce et l'Espagne, il y a déjà dix ans. À force d'être contredite par les faits, elle apparaît dépassée et ce, même aux États-Unis où la secrétaire d'État au trésor a déclaré que « la compétition économique ne porte plus sur le moins-disant fiscal mais sur la qualité des infrastructures du système de formation ».
Chers collègues, quitte à vouloir faire la course à la compétition libérale, il serait temps de se mettre à la page ! La priorité aujourd'hui, face aux besoins de notre pays, face à la crise, face à la misère et à la dette, ce n'est pas de couper les vannes. La priorité, c'est au contraire de profiter des taux très bas pour emprunter, dépenser et investir dans le sens de l'intérêt général et de la bifurcation écologique. La priorité, c'est de retrouver notre souveraineté financière, non pas en rognant sur les besoins de nos écoles et de nos hôpitaux, mais en s'émancipant des marchés financiers et des règles absurdes de Bruxelles.
Et si vous croyez que l'ampleur de la dette contractée pendant le covid-19 est un problème, ma solution à moi est simple : annulons-la ! Nous en avons les moyens, je l'explique très simplement dans le livre que je viens de publier, mais vous ne l'avez peut-être pas encore tous lu. J'explique aussi pourquoi la dette est de manière générale, un prétexte et un faux problème, comme vient de le confirmer le rapport sénatorial d'Éric Bocquet et Sophie Vermeillet.
Plutôt que de répondre à la crise et à la perte de production que nous venons d'essuyer par cinq années de misère, lâchez-nous donc la dette et laissez tranquille la souveraineté de notre parlement !