C'est d'abord une histoire de soldats, de soldats français dont les aïeuls ont défendu notre pays en 1870, en 1914 et en 1940 : des soldats vaillants et courageux. Les fils de ces glorieux aïeuls ont, eux aussi, porté l'uniforme de l'armée française entre 1954 et 1962, lors de ce qu'on a appelé pudiquement les événements d'Algérie. Ils étaient 200 000 éclaireurs, pisteurs, guetteurs, qui bénéficiaient d'une parfaite connaissance du terrain et qui combattaient sur tous les théâtres d'opérations : dans les Aurès, en Kabylie ou dans l'Atlas ; des soldats dont la France a même réussi à oublier qu'ils ont été des soldats français, puisqu'il fallut attendre 1974 pour que le statut d'ancien combattant leur soit enfin reconnu.
C'est aussi une histoire de citoyens français, qui ont été abandonnés par leur pays, un pays pour lequel ils ont versé leur sang et se sont battus ; des citoyens français qu'on a laissés à la merci de ceux-là mêmes qu'ils ont affrontés huit années durant, abandonnés avec leurs femmes et leurs enfants ; des citoyens français qu'on a désarmés ; des citoyens français qui auraient pu avoir le choix entre l'exil ou la mort et à qui, pour beaucoup, on a laissé qu'un seul choix : la mort – une mort au travers de représailles dont la cruauté est indicible encore aujourd'hui, un calvaire qui a marqué pour toujours les mémoires et les chairs.
C'est enfin l'histoire de réfugiés français, accueillis – pour certains, après moult tergiversations des pouvoirs de l'époque – comme des chiens galeux, parqués dans des camps, des hameaux de forestage et même, comme l'a rappelé le Président de la République, Emmanuel Macron, des prisons. C'est l'histoire de réfugiés français sur lesquels on a craché ; des réfugiés qui après avoir servi notre pays, après avoir perdu leur maison, leurs biens, leur terre et celle de leurs ancêtres, ont subi l'hostilité et la haine de ceux qu'ils avaient défendus au péril de leur vie. C'est l'histoire de réfugiés français entourés de barbelés dans des camps, frappés par le froid, la faim et la maladie, et dont – ultime humiliation – les enfants n'ont pas été autorisés à accéder à l'école de la République.
Certains officiers ont toutefois été présents et ont décidé de ne pas abandonner les harkis placés sous leurs ordres. Ils avaient le choix entre la dégradation militaire et le déshonneur : ils ont choisi de défendre les intéressés, de les sauver et de les accompagner dans des conditions invraisemblables. Il faut le rappeler : quelques petits rayons de soleil ont brillé dans l'obscurité de la France des années 1960, dans l'obscurité de la République.
Cette histoire, c'est la nôtre. C'est l'histoire des harkis ; c'est l'histoire d'une honte – une honte française. Ce n'est pas un manquement de la République, comme j'ai pu l'entendre – formule totalement inadaptée ! C'est une tache indélébile sur la République.
Depuis, notre pays a réagi et engagé un travail de mémoire et de réparation, mais trop peu et trop tard. Comme l'a observé Yannick Favennec-Bécot en commission, rien ne peut plus effacer les souffrances de ces Français victimes du cynisme des pouvoirs et d'un abandon d'État. Aucune dotation, aucune indemnisation, aucune revalorisation ne peut réparer les préjudices qu'ils ont subis.
Telle est l'histoire dont nous sommes les héritiers. Je remercie le Gouvernement et le Président de la République de l'assumer, dans la limite de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons. Après les actions menées par d'autres présidents de la République – Jacques Chirac, mais aussi François Hollande et Nicolas Sarkozy –, ce projet de loi contribue à exprimer la vérité telle qu'elle fut et à reconnaître la lourde responsabilité de la nation dans cette histoire, qui est une histoire française.
Toutefois, le groupe UDI et indépendants regrette que la responsabilité de la France dans le refus de rapatrier les harkis et dans leur abandon en Algérie ne soit pas inscrite dans le marbre de la loi – un amendement sera défendu à ce sujet. Nous déplorons aussi que les harkis arrivés en France par leurs propres moyens, et qui n'ont pas séjourné dans des structures d'accueil, ne puissent pas bénéficier du dispositif de réparation.
C'est la parole d'un rapatrié d'Algérie qui résonne aujourd'hui dans l'hémicycle. En mémoire des harkis, en mémoire de ces combattants français, l'ensemble du groupe UDI et indépendants votera en faveur du projet de loi.