Ils étaient arabes ou berbères, leurs prénoms étaient bien souvent musulmans, mais la France faisait battre leur cœur. Ils aimaient plus que tout le drapeau tricolore. Ils aimaient le pays qui était devenu leur patrie, le pays de la liberté, la nation généreuse dont le monde entier parlait avec respect.
Hiver 1962 : il faisait froid, très froid. Les survivants harkis avaient été parqués dans des baraquements en préfabriqué, dans des camps de douleur et de honte. On sait le destin innommable, inacceptable, immoral des harkis. On sait qu'à Paris, la décision avait été prise depuis longtemps d'abandonner à son sort l'Algérie, ce « boulet » comme l'appelait le chef de l'État de l'époque.
Les harkis payèrent le prix fort de cette trahison. Quelques dizaines de milliers d'entre eux purent quitter le navire Algérie française avant que des flots de sang ne l'emportent dans les profondeurs de l'histoire. Pour les autres, l'atroce, l'horreur, l'enfer commençaient. Torturés, suppliciés, martyrisés, certains égorgés, empalés, éviscérés, pendus, brûlés vifs, dépecés, enterrés vivants, énucléés, ébouillantés, contraints d'avaler leurs médailles, crucifiés, les yeux crevés, le nez et les oreilles coupés, la langue arrachée, leur chair jetée aux chiens, des femmes violées puis éventrées, des nourrissons la tête écrasée, la mort était alors une délivrance.
Pour tenter de réparer sa faute, la France doit honorer comme il se doit les harkis, leur donner enfin toute leur place dans le récit national, réhabiliter leur courage et leur rêve. Oui, leur rêve d'être à la fois arabes et français. J'en profite pour saluer tous ceux qui sont présents dans les tribunes ou à l'extérieur de l'Assemblée pour suivre nos débats, avec une pensée particulière pour ceux qui sont venus, nombreux, de Béziers et alentour et une pensée émue pour mon ami Nourredine Abid, qui nous a malheureusement quittés trop tôt. Que ce texte de loi puisse leur apporter un peu de la paix et de la dignité auxquelles ils aspirent depuis presque soixante ans.
Je lisais ce matin le témoignage d'un fils de harki : « On sent que quelque chose n'est pas réglé, qui brouille notre histoire et notre identité. Les harkis ont besoin de renouer avec leur dignité. » Pour cela, il nous faut élargir la reconnaissance et la réparation aux harkis restés en Algérie, souvent emprisonnés et torturés, puis rentrés en France après 1975. Pour ceux-là également, il faut travailler sur les demandes de réparation en fonction des préjudices subis et non forfaitaires, et rendre leur dignité aux harkis en accédant aux demandes des familles qui ont vu trop des leurs mourir dans les camps indignes dans lesquels le Gouvernement français les avait parqués. Trop souvent, les corps de ces défunts n'ont jamais eu le droit à une sépulture digne de ce nom. Dignité, encore.
Et puis, enfin, la vérité. Madame la ministre déléguée, je vous ai entendue mentionner le 19 mars comme date de cessation des combats en Algérie : il faut arrêter avec cette fiction. Si nous voulons réparer efficacement, il faut d'abord rétablir la vérité. Cette vérité, nous la devons aux Français d'Algérie, aux pieds-noirs, mais aussi aux harkis, nos frères d'armes qui se sont dressés à nos côtés face aux terroristes du Front de libération nationale (FLN) et qui ont tout perdu du fait de leur engagement pour notre pays, notre beau pays, la France.
Si la France demande enfin pardon pour ce qu'elle a fait à ses enfants harkis, alors nous pourrons, enfin, tourner ensemble cette page de douleur, de honte et de trahison.