Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
Madame la ministre déléguée chargée de l'autonomie, mon intervention concernant les enfants victimes d'inceste à La Réunion a déjà, de son propre aveu, perturbé votre collègue, Mme Elisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, lors de son audition par la délégation aux droits des femmes, le 28 septembre dernier, où je l'interpellais sur le « syndrome d'aliénation parentale », concept fortement contesté dans de nombreux pays, dont la France, et qui consisterait au formatage d'un enfant par un parent pour dénigrer l'autre parent. À La Réunion, il est surprenant de constater que ce principe de l'aliénation parentale persiste toujours en cas de violence conjugale et que, même dans ce contexte, la parole de l'enfant victime d'inceste n'est pas prise en compte.
Le 27 octobre, la CIIVISE, la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, a rendu son premier avis et nous conforte dans notre détermination à combattre cette hérésie juridique. Elle fait notamment trois recommandations. Premièrement, assurer la sécurité de l'enfant dès les premières révélations en prévoyant la suspension de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant. Deuxièmement, assurer la sécurité du parent protecteur en suspendant les poursuites pénales pour non-représentation d'enfant contre un parent lorsqu'une enquête est en cours contre l'autre parent pour violences sexuelles incestueuses. Troisièmement, assurer la sécurité durable du parent protecteur et de l'enfant en prévoyant dans la loi le retrait systématique de l'autorité parentale en cas de condamnation d'un parent pour violences sexuelles incestueuses contre son enfant.
Je suis heureuse de constater que votre collègue fait référence à la CIIVISE quand elle répond à mon intervention en citant la commission spéciale, conduite par Édouard Durand et Nathalie Mathieu, qui met l'accent sur la nécessité d'« observer une écoute attentive sans remettre en question la parole des victimes ».
Madame la ministre déléguée, comment comptez-vous rendre cette écoute efficace à La Réunion, quand les conditions ne sont pas réunies pour entendre la parole de l'enfant dans les conditions définies par la loi, quand, dans plusieurs commissariats, l'audition Mélanie n'est pas pratiquée et qu'il n'y a ni salle dédiée ni audition filmée, quand nous voyons encore des policiers entendre en uniforme de petites victimes ?
Le secrétaire d'État chargé de l'enfance et des familles a récemment annoncé la création d'un centre de psychotraumatisme à La Réunion, ce que nous appelions de nos vœux, mais comment cette déclaration va-t-elle se traduire dans la réalité de ces 4 000 petites victimes d'inceste, quand on sait qu'il n'y a pas suffisamment de pédopsychiatres à La Réunion et que les moyens y sont inférieurs de 50 % à la moyenne nationale ? Tous les professeurs des écoles comme moi sont-ils condamnés à jouer, bien malgré eux, les psychologues à la petite semaine en subodorant, derrière des attitudes singulières de leurs élèves, lesquels sont les deux ou trois victimes d'inceste dans leur classe ?
Madame la ministre déléguée, les témoignages de ces victimes nous perturbent tous. Ils attendent des réponses à ces nombreuses interrogations qui nous obligent tous.