Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du vendredi 26 novembre 2021 à 9h00
Favoriser l'implantation locale des parlementaires — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Je me réjouis que nous soit donnée l'occasion de nous pencher sur cette question de l'implantation locale des parlementaires, que certains considéraient comme tranchée depuis 2014 et que le Sénat et le groupe UDI et indépendants de l'Assemblée nationale ont souhaité remettre sur la table. À cet égard, notre volonté n'est pas, comme je l'ai entendu, de limiter le débat sur le cumul des mandats à cette question précise : il s'avère que les niches parlementaires, que la Constitution accorde une fois par an aux groupes d'opposition ou minoritaires, ne permettent pas d'examiner des textes plus longs. Je conviens volontiers qu'une réflexion plus générale devrait avoir lieu.

Tout d'abord, permettez-moi de présenter quelques chiffres démontrant l'importance du débat qui nous occupe aujourd'hui. Seuls 39 % de nos concitoyens déclarent avoir confiance en leur député et 37 % en leur sénateur, contre 64 % en leurs élus locaux.

Vous disiez, madame la ministre déléguée, qu'une étude réalisée notamment par FONDAPOL a montré que les Français sont attachés au non-cumul des mandats. Or cette même étude, qu'il aurait convenu de citer de manière exhaustive, indique que nos concitoyens, qu'il ne faut donc pas faire parler abusivement, demandent que leurs parlementaires aient davantage de pouvoirs locaux. Il s'agit d'une contradiction ancienne.

Ainsi, à l'assertion « les responsables politiques sont déconnectés de la réalité et ne servent que leurs propres intérêts », figurant dans un sondage du Cevipof – le Centre de recherches politiques de Sciences Po – de 2021, 70 % des personnes interrogées ont déclaré être « d'accord », sauf quand elle s'applique à leurs élus locaux, particulièrement aux maires et à leurs adjoints. Voilà ce sur quoi nous cherchons à alerter avec cette proposition de loi organique. Sans grand optimisme quant à son adoption, nous voulons ouvrir une réflexion et soutenir un point de vue : je sais pertinemment que certains d'entre vous le partagent.

La loi du 14 février 2014 a strictement interdit tout cumul de mandats entre une fonction exécutive, même secondaire, et une fonction de parlementaire. Cela me paraît dommageable car, quand on y réfléchit, les seules fonctions interdites aux députés et aux sénateurs sont précisément les fonctions exécutives locales. Il est ainsi tout à fait possible d'être à la fois député et chef d'entreprise ou médecin ou de détenir des responsabilités associatives très importantes, mais pas d'être également maire adjoint ou conseiller municipal délégué. Pour la bonne inspiration du Parlement, il nous semble que ce n'est pas une bonne chose. Dans cet hémicycle, comme au Sénat, nous adoptons des textes, sources de normes et de réglementations qui s'appliquent aux associations, aux salariés, aux entreprises, ainsi qu'aux collectivités locales.

Par ailleurs, mon propos n'est pas d'accuser qui que ce soit d'être hors-sol : je vous ferai remarquer, madame la ministre déléguée, que l'avant-propos de la proposition de loi organique est celui du Sénat, pas de mon groupe, qui a souhaité l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée.

Pendant dix-sept ans, j'ai eu la chance et l'honneur d'être député et maire et j'ai vu la différence dans les informations que je recevais. En effet, vous écrivez régulièrement aux maires, madame la ministre déléguée, tout comme le font les préfets, afin de faire appliquer telle ou telle circulaire, conséquence d'une législation votée ici. Or nous n'avons plus de collègues exerçant ces fonctions locales en parallèle pour connaître les deux extrémités de la chaîne. Je ne dis pas que c'est une nécessité ni la seule façon d'être député, mais s'il est toujours possible d'aller à la rencontre des maires, ce n'est pas la même chose d'écouter que de pratiquer.

Le raisonnement qu'on nous a longtemps servi et selon lequel la société civile devait être davantage représentée dans cet hémicycle est d'ailleurs similaire. Un chef d'entreprise, qui peut d'ailleurs poursuivre son activité parallèlement à son mandat, peut évidemment apporter des éclairages, fruits de son expérience. En revanche, je répète que ce même chef d'entreprise devra abandonner ses fonctions locales s'il est, par exemple, conseiller municipal délégué chargé de la gestion des eaux dans sa commune. C'est cet excès que nous visons, en essayant de revenir à un équilibre.

Vous avez cité des chiffres, mais quelle était la situation antérieure ? En raison de la nature des circonscriptions, des maires de très grandes communes siégeaient dans cet hémicycle. Pourquoi ? Parce que leur poids politique dans leur circonscription favorisait leur présence ici. Or vous observerez que la proposition de loi organique adoptée par le Sénat vise, au contraire, à favoriser la présence de maires de petites communes, et ce, non pas, comme j'ai pu l'entendre, pour dévaloriser le rôle ou le travail de ces élus, qui peuvent de toute façon avoir des responsabilités dans les intercommunalités, mais pour éviter que le poids politique du maire ne détermine son élection en tant que député.

En effet, dans des circonscriptions d'environ 125 000 habitants comme les nôtres, le poids d'un maire d'une commune de moins de 10 000 habitants est plus relatif, la plupart du temps, qu'il ne l'était par le passé. C'est donc même une inversion de la logique que nous proposons, en évitant que les principaux élus locaux de la République ne siègent ici et en permettant aux élus de collectivités plus modestes de le faire.

De la même façon, il me paraît étrange qu'on ne puisse pas être maire adjoint chargé de l'environnement ou du logement, tout en siégeant dans cet hémicycle : nous avons vu, lors des débats sur la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, la loi ELAN, à quel point notre Parlement avait eu du mal à résister à ce que voulait l'administration – et, pour bien connaître l'administration chargée du logement, je dis bien qu'il s'agit d'elle avant que du Gouvernement, le ministre Mézard, ancien élu local, connaissant parfaitement le sujet.

Il nous faut donc parvenir à un équilibre, tout comme, je ne le nie pas, nous devons parvenir à un équilibre pour ce qui concerne les fonctions exécutives locales. Il ne me paraît pas sain en effet qu'on puisse assumer deux fonctions exécutives locales. Parce que, lorsqu'on parle de conflit d'intérêts entre les fonctions exécutives locales et les fonctions parlementaires, on se moque du monde : chacun, ici, ne représente que 1/577 de cette assemblée et il ne fera pas basculer le vote en fonction de son intérêt local ! En revanche, lorsque vous êtes à la fois vice-président d'une région ou d'un département et maire, le conflit d'intérêts peut rapidement se faire jour. Cela exige qu'on y réfléchisse.

Prenons un autre exemple : il n'est pas possible aujourd'hui pour un parlementaire d'être président d'un office HLM. Or le président d'un office HLM n'a aucun pouvoir : celui qui dirige l'office, c'est son directeur général : il en assume la responsabilité, y compris pénale. Pourtant, un parlementaire peut parfaitement être directeur général d'un office HLM : où est donc la logique, lorsqu'on sait que le président du conseil d'administration d'un office HLM ne fait que présider le conseil d'administration, entre trois et huit fois par an, ainsi, éventuellement, que les commissions d'appel d'offres, s'il le souhaite, cependant qu'in fine c'est le directeur général qui décide ?

C'est cette incohérence que nous dénonçons, en plaidant pour une assemblée dont la composition soit plus diverse. Il faut une plus grande diversité socioprofessionnelle, en matière d'âges aussi et, évidemment, plus de parité, mais nous avons aussi besoin d'élus locaux : il s'agit non pas de retomber dans les excès du passé, mais d'amender les règles d'interdiction du non-cumul, qui sont excessives. Dans cette optique, nous devons nous interroger sur les limites fixées en matière de taille des exécutifs ou de nature des mandats.

Vous disiez, madame la ministre déléguée, qu'il n'était pas encore temps de dresser un bilan. Mais, outre qu'il ne reste que six mois avant la fin de la législature, la question n'a cessé de se poser. Je vous rappelle que les gilets jaunes – les vrais gilets jaunes, pas les abrutis de casseurs – réclamaient le retour des parlementaires sur le terrain et que le Président de la République, lui-même, s'est interrogé au cours du grand débat sur la possibilité pour un parlementaire d'être maire adjoint. Quant au Premier ministre, il affirmait il y a peu qu'un ancrage territorial pouvait être utile.

Il n'est donc pas interdit d'ouvrir le débat même si je n'ai aucune illusion sur la volonté de la majorité d'adopter ce texte, à quelques mois des élections. Je sais malheureusement qu'en France une idée a besoin de temps pour infuser.

L'interdiction quasi idéologique qui nous a été faite en 2014 d'exercer toute fonction exécutive locale nous empêche de mettre les mains dans le cambouis. Certes nous passons beaucoup de temps, dans nos circonscriptions, à écouter nos concitoyens et les représentants des collectivités locales, des entreprises, des syndicats ou des associations, mais écouter n'est pas la même chose que faire : nous fabriquons la norme, mais nous n'avons jamais à l'appliquer, ce qui enrichirait pourtant les travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Il y a en tout cas un procès que je n'entends pas, c'est celui dans lequel on nous accuse de vouloir revenir en arrière. Je considère simplement que nous sommes allés trop loin et que nous devons procéder à des ajustements – ce que nous faisons en permanence dans cet hémicycle pour toutes sortes de lois.

On nous oppose que le parlementaire doit pouvoir se consacrer exclusivement à son mandat, mais je viens d'expliquer que nous avons parfaitement le droit d'exercer d'autres activités y compris professionnelles, y compris lorsqu'elles sont très prenantes. Que ce soit dit une bonne fois pour toutes : je ne connais aucun collègue, qu'il soit dans la majorité ou dans l'opposition, dont la semaine se limite à trente-cinq heures, et la vérité est que, bien souvent, les trente-cinq heures, nous les avons déjà effectuées le mardi ou le mercredi soir. Il est donc tout à fait possible d'être parlementaire tout en exerçant par ailleurs des fonctions exécutives locales modestes – j'en veux pour preuve le grand nombre d'entre nous qui exercent d'autres fonctions hors de cette assemblée.

Enfin, lors des dernières élections municipales, nombre de députés et de sénateurs ont choisi de quitter leurs bancs pour redevenir maires. Reprendre une fonction exécutive locale est un choix parfaitement honorable, mais il se trouve que le cursus honorum inversé que nous avons en quelque sorte instauré ne leur permet plus de se faire les porte-parole des difficultés de leurs territoires au niveau national.

Cela ne me paraît pas sain, car cela revient à donner licence à l'administration. En effet les maires des petites villes n'ont pas accès au Gouvernement, ni même, parfois, au préfet. Sous ce quinquennat, l'administration a considérablement accru son pouvoir sur les collectivités locales – et la majorité n'y est pour rien. Jamais je n'ai vu un tel mépris pour la fonction parlementaire ni un tel autoritarisme, de la part de l'administration préfectorale et des autres administrations de l'État, vis-à-vis des élus locaux. C'est aussi cela, la fin du cumul des mandats, tel qu'elle a été votée, dans des termes excessifs, en 2014.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.