Intervention de Amélie de Montchalin

Séance en hémicycle du vendredi 26 novembre 2021 à 9h00
Discussion des articles — Présentation

Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques :

Je me réjouis, au nom du Gouvernement, de l'examen d'une proposition de loi instaurant diverses dispositions relatives aux fonctionnaires et militaires originaires d'outre-mer. Mon collègue Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, ne peut pas être présent à mes côtés mais soyez assurés, mesdames et messieurs les députés, du plein engagement de son ministère sur ces questions.

Avant de commencer, je souhaiterais saluer l'engagement des agents publics qui travaillent dans les territoires d'outre-mer ou qui en sont originaires et travaillent dans l'un de nos services publics, dans le contexte sanitaire difficile que nous connaissons

Conformément aux engagements pris par le Premier ministre à cette tribune en juillet 2020, il m'a été confié une mission essentielle au bon fonctionnement de notre pays : territorialiser le cœur de la politique publique que nous menons, afin que l'action publique ait un sens dans chaque territoire. L'enjeu pour moi est de mener la transformation en m'assurant que, dans chaque territoire, l'action publique est adaptée au terrain et aux réalités vécues par les habitants, avec des agents dont les compétences sont pertinentes pour relever partout les défis posés. La territorialisation prend évidemment un sens tout particulier dans les territoires ultramarins car on ne mène pas une politique publique nationale de la même manière à Saint-Laurent-du-Maroni, à Nouméa, à Pointe-à-Pitre ou à Papeete, et on n'y attend d'ailleurs pas les mêmes compétences.

Les spécificités justifient historiquement des particularités statutaires et indemnitaires pour les fonctions publiques outre-mer, dont l'évolution doit rester guidée par des critères d'impact et d'efficacité mais aussi par le maintien d'un principe d'égalité et d'équité. Je tiens à saluer l'important travail parlementaire, mené notamment par les députés Stéphanie Atger, Philippe Dunoyer et par vous-même, madame Sanquer, qui a débouché sur l'élaboration de plusieurs propositions dans le rapport d'information sur la réforme de l'indemnité temporaire de retraite.

Vous proposez à l'article 1er , madame la députée, de revenir sur l'extinction progressive de l'ITR. Vous entendez ainsi tirer les conséquences d'un rapport qui montre que l'extinction de ce dispositif réduit le taux de remplacement pour certains fonctionnaires. La crainte est que leur situation économique soit fragilisée, dans un contexte de vie chère. Le Gouvernement ne souhaite néanmoins pas revenir sur l'extinction de l'ITR, dont il convient de rappeler qu'elle avait été instituée en 1952 dans le but de compenser l'écart monétaire entre la métropole et l'outre-mer, où circulait alors le franc CFA ou le franc Pacifique. Depuis 2008, l'extinction de l'ITR est lisible et prévisible, ce qui permet aux agents de connaître la réalité du montant de leur pension compte tenu du plafonnement dégressif entre 2020 et 2028.

J'ajoute que le surcroît de retraite de l'ITR ne s'accompagne pas d'une surcotisation ni même d'une condition de résidence outre-mer pendant l'activité de l'agent public. Il ne concerne que les fonctionnaires de l'État, à l'exclusion des fonctions publiques territoriale et hospitalière. Il ne couvre par ailleurs qu'une partie des territoires ultramarins, puisque la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique en sont exclues. Je précise enfin qu'il est décorrélé du coût de la vie réellement observé.

Pour ces raisons, le Gouvernement ne peut pas être favorable à cet article. Jamais depuis 2009, l'interruption de cette extinction n'a été mise sur la table. Je tiens à le rappeler ici, car cette extinction est pleinement justifiée. Mais la question des retraites des fonctionnaires ultramarins mérite d'être traitée autrement, en prenant en compte la réalité de ces territoires. J'ai eu avec vous, madame la députée, et avec vos collègues Stéphanie Atger et Philippe Dunoyer des échanges à ce sujet il y a quelques semaines.

Comme le Président de la République l'a annoncé lors de son déplacement en Polynésie, Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, réunira un comité consultatif qui aura deux objectifs : partager un diagnostic objectivé des pensions de retraite des agents publics dans ces territoires ; dessiner, à moyen terme, des solutions équitables pour le régime de retraite des fonctionnaires au vu des conséquences de la réforme de l'ITR. Ce comité conduira un travail partenarial, avec des experts, des représentants des territoires et des administrations et, évidemment, des représentants syndicaux, sur la prise en compte des sur-rémunérations, elles-mêmes justifiées par le coût de la vie, dans les retraites des fonctionnaires ultramarins. Il se réunira et apportera des premières réponses au cours du premier semestre 2022.

Mesdames et messieurs les députés, ce gouvernement est le premier à s'engager dans une démarche d'évaluation de la situation, en vue d'apporter des réponses adéquates, concertées et globales à la question du coût de la vie et du pouvoir d'achat des agents publics retraités outre-mer.

Le second article de la proposition de loi porte sur les conditions d'octroi du CIMM, en prévoyant d'inscrire dans la loi une liste exhaustive de critères. Cette reconnaissance permet notamment l'octroi des congés bonifiés mais aussi d'une priorité légale d'affectation dans les mobilités, instaurée par la loi de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer du 28 février 2017. Cette nouvelle priorité légale d'affectation est bien sûr appliquée par l'ensemble des ministères. En tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques, il est de ma responsabilité d'y veiller. Les modalités de sa mise en œuvre ont été déclinées dans les lignes directrices de gestion de chaque ministère.

Je signalerai d'abord que la reconnaissance du CIMM constitue déjà une réelle accélération de mutation pour les agents qui la sollicitent puisque leurs demandes ont deux fois plus de chances d'aboutir : en effet, 28 % des demandes de mobilité effectuées au titre du CIMM aboutissent à une affectation contre 15 % des autres demandes relevant des autres priorités légales.

Aujourd'hui, les critères permettant à un agent public de justifier du CIMM sont effectivement fixés par voie réglementaire et laissent, comme vous le soulignez, une certaine marge d'appréciation à l'employeur public. Définir la réalité des liens qui attachent une personne à un territoire implique d'entrer dans la complexité et l'unicité de chaque situation personnelle, familiale, matérielle et morale. C'est une question d'humanité avant d'être une question de critères légaux.

Nous avons d'ores et déjà impulsé une simplification de l'établissement du CIMM pour que celui-ci reste valable six ans. C'est un réel progrès en termes de lisibilité et de prévisibilité. Nous avons publié un guide, destiné aux agents, qui présente les critères, ni exhaustifs ni cumulatifs. Je vous ai fait part des résultats. Nous devons assurer un traitement juste, équitable et transparent de chaque demande.

C'est pourquoi la réponse que vous proposez ne paraît pas pertinente. Cette notion de CIMM est par nature complexe et recouvre des situations trop diverses. Je crains qu'en définissant trop précisément les critères dans la loi, nous n'aboutissions à une rigidification excessive du dispositif, dont certains demanderaient très légitimement la simplification dans quelques années. Une attribution trop large du CIMM conduirait par ailleurs à vider de sa substance la notion même de priorité légale d'affectation. Les nombreux amendements déposés à cet article montrent la difficulté de définir une liste précise et complète de critères.

J'en viens aux dispositions concernant les militaires.

L'article 3 concerne l'INSMET, qui est versée aux militaires dont le centre des intérêts moraux et matériels est situé dans un département d'outre-mer, lorsqu'ils sont désignés pour servir en métropole à la suite de leur entrée au service ou d'une mutation dans l'intérêt du service. Régie par décret, elle excluait jusqu'à maintenant, vous l'avez rappelé, les militaires domiciliés en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, à Saint-Pierre-et-Miquelon ou à Mayotte, et mutés pour la première fois en métropole. Ces hommes et ces femmes qui s'engagent paient parfois un lourd tribut à la défense de notre pays.

Il s'ensuivait effectivement une différence de traitement difficilement justifiable, dans la mesure où les sujétions liées à l'installation en métropole sont globalement identiques pour tous les militaires ultramarins. Ce constat a conduit la ministre des armées, Florence Parly, à annoncer dans cet hémicycle, devant vous, une réforme inédite du dispositif indemnitaire relatif à l'installation des militaires ultramarins en métropole. Cette réforme avait été annoncée par le Président de la République, le 27 juillet dernier, à l'occasion de son discours prononcé à Papeete en clôture de son déplacement en Polynésie française – certains d'entre vous étaient présents. Le travail réglementaire sur cette question devrait aboutir avant la fin de l'année pour s'appliquer en 2022 ; cette inégalité sera ainsi corrigée. Vous pouvez compter sur ma vigilance pour sa bonne mise en œuvre.

L'article 4 prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport sur la reconversion professionnelle des militaires et anciens militaires établis en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française ou dans les îles Wallis et Futuna. Très honnêtement, les antennes de l'agence Défense mobilité, ouvertes par ma collègue ministre des armées dans nos territoires pour offrir des solutions professionnelles et un avenir à ceux qui ont servi nos armées, me semblent beaucoup plus efficaces et concrètes qu'un texte de loi et un rapport. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en trois ans, 170 militaires ont été accompagnés par les deux antennes Défense mobilité du Pacifique.

L'article 5 prévoit enfin d'étendre les congés bonifiés aux militaires. Vous le savez, les militaires bénéficient d'un dispositif adapté à leurs caractéristiques propres et aux sujétions liées à leurs missions. Ce dispositif permet aux militaires dont le CIMM est situé dans un département ou une collectivité d'outre-mer de bénéficier d'un cumul, sur trois ans, de leurs permissions non prises, dans la limite de six mois. Il donne en outre au militaire et à sa famille la possibilité de bénéficier de la prise en charge des frais de transport aller et retour dans ce cadre. Le maintien de l'article 5 ne semble donc pas pertinent à cet égard.

Pour les raisons évoquées ci-dessus, le Gouvernement est défavorable à votre proposition de loi, dans son ensemble. Madame la députée Sanquer, mesdames et messieurs les députés – tout particulièrement, madame Atger et monsieur Dunoyer, que je sais particulièrement impliqués sur tous ces sujets –, je vous remercie pour votre travail d'ampleur. Vous pouvez bien évidemment compter sur tout le Gouvernement, notamment sur la ministre de la transformation et de la fonction publiques que je suis et sur le ministre des outre-mer, pour répondre concrètement aux attentes que vous avez formulées.

Nous entendons continuer de bâtir une fonction publique qui ressemble à notre société et qui tire sa légitimité de son efficacité dans les territoires. Pour le ministre des outre-mer et moi-même, il est crucial de promouvoir le recrutement et la mobilité des agents publics originaires d'outre-mer, dans les territoires ultramarins comme dans toute la fonction publique, ainsi que de garantir l'attractivité de ces territoires pour ceux dont la valeur est reconnue et qui entendent s'engager et servir là où des défis économiques et sociaux majeurs sont à relever.

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