La proposition de résolution que nous examinons porte sur des faits d'une terrible gravité, les années n'ayant rien retiré de leur caractère abominable. Comment ne pas y songer avec angoisse et recueillement à la vue de ces femmes et de ces hommes qui, chaque année, se réunissent le 16 mars dans les rues de Halabja ? Elles et ils incarnent le souvenir de l'horreur qui a frappé leurs familles et leurs proches en 1988, lorsque les forces armées irakiennes employèrent leur arsenal chimique dans l'unique but de provoquer la mort des habitants de cette ville kurde située au nord de l'Irak.
Aujourd'hui encore, les stigmates physiques et psychologiques de ces atrocités persistent dans les esprits et les chairs d'une population traumatisée et souffrant souvent de graves problèmes de santé. Halabja n'est malheureusement qu'un exemple parmi d'autres des exactions commises par le régime de Saddam Hussein dans son combat contre les Kurdes, conduisant au massacre de milliers de personnes.
Si elles n'étaient pas le seul instrument de mort des forces irakiennes, les armes chimiques ont joué un rôle tout particulier dans cette tragédie. Au-delà de l'émotion provoquée par le recours à ce type d'arsenal, la France était consciente de l'affront manifeste qu'il constituait et constitue encore aujourd'hui à l'endroit des principes les plus fondamentaux du droit des conflits armés ; elle n'avait donc pas manqué, à l'époque, de réitérer ses initiatives en faveur de l'interdiction de l'utilisation des armes chimiques. Cet engagement s'est traduit, en 1997, par la création de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), qui compte aujourd'hui quelque 193 membres engagés avec constance en faveur de la lutte contre l'utilisation de ces arsenaux.
Lors de son déplacement à Erbil, le 17 juillet 2020, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a évoqué la nécessité pour la France de continuer à apporter son soutien aux victimes des attaques chimiques perpétrées au Kurdistan. J'associe pleinement notre groupe parlementaire à ces déclarations, de même qu'à la ferme condamnation réitérée par le Quai d'Orsay à l'occasion du trente-troisième anniversaire du massacre de Halabja, en mars dernier.
Néanmoins, malgré la solidarité avec les victimes de ces actes, que nous partageons tous, le groupe La République en marche n'apportera pas son soutien à cette proposition de résolution, pour plusieurs raisons.
La première tient à la formulation des engagements de l'Assemblée nationale et des invitations adressées au Gouvernement. En effet, en employant les expressions « crime contre l'humanité » et « génocide », la proposition de résolution du président Lagarde ne se contente pas de dénoncer le caractère innommable des actes commis à l'encontre de la population kurde. Parce que nous sommes dans l'enceinte du Parlement, il convient de nous souvenir que ces termes n'ont pas seulement une valeur sémantique, mais également une portée juridique, dont il n'appartient ni au Parlement français ni au Gouvernement d'être le juge, cette faculté appartenant aux organisations judiciaires, au premier rang desquelles la Cour pénale internationale, en concertation avec les universitaires et les historiens.
Par ailleurs, à l'heure où les accusations d'ingérence résonnent d'une manière toute particulière sur la scène internationale, nous considérons qu'il n'appartient pas à un État étranger, fût-il un ami de l'Irak comme l'est la France, d'exiger, ainsi que le propose cette résolution, des réparations de la part de Bagdad envers les populations kurdes. Bien plus, les implications d'une telle exigence peuvent être sérieuses et contre-productives pour le travail d'entente entrepris depuis 2003 entre le gouvernement central irakien et le gouvernement régional du Kurdistan, ravivant les tensions entre ces derniers.
Enfin, l'adoption de cette proposition de résolution sonnerait nécessairement comme un abandon, voire comme un déni, pour l'ensemble des victimes non kurdes du régime de Saddam Hussein. Je pense notamment aux populations chiites, elles aussi massacrées de manière méthodique par les forces armées irakiennes parce qu'opposées au tyran.
Compte tenu de ces observations, je le répète, le groupe La République en marche votera contre l'adoption de cette proposition de résolution.