Quarante-six ans après l'adoption de la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, la loi Veil, l'IVG reste un droit fondamental, qui n'est toujours pas effectif en tout point du territoire.
Chaque année, 3 000 à 5 000 femmes françaises sont contraintes de se rendre à l'étranger pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse. Elles y sont obligées en raison du nombre insuffisant, dans de nombreux territoires, de professionnels de santé ou de services adaptés pratiquant cet acte. Elles vont à l'étranger car le délai légal de recours à l'IVG chez nos voisins est plus long qu'en France. Les difficultés d'accès à l'IVG touchent majoritairement les plus fragiles : jeunes filles mineures, femmes isolées en zone rurale, femmes enceintes à la suite d'un viol ou ne disposant que de faibles ressources.
Certes, l'amélioration de l'accès à l'IVG ne se limite pas aux mesures contenues dans la proposition de loi et nécessite également des réponses d'ordre structurel, qu'il s'agisse du pilotage et de l'organisation de notre offre en orthogénie ou de l'amélioration de la fluidité du parcours de l'IVG. Toutefois, la proposition de loi permet de soulever trois questions majeures : l'allongement de deux semaines du délai légal d'accès à l'IVG, la suppression de la clause de conscience spécifique et l'extension de la compétence des sages-femmes.
Tout d'abord, l'article 1er allonge de deux semaines le délai légal de l'IVG pour l'étendre à quatorze semaines de grossesse. Il s'appliquera à des situations certes limitées dans leur nombre, mais auxquelles notre système de soins n'offre aucune réponse satisfaisante.
Certains nous opposeront que seulement 5 % des IVG sont réalisées entre la dixième et la douzième semaine. Eh bien, tant mieux ! Il est heureux que cette proportion reste limitée : c'est notre souhait à tous que la prise en charge des IVG soit la plus précoce possible.
Bien souvent, il s'agit de femmes qui n'ont découvert leur grossesse que tardivement, en raison de cycles menstruels irréguliers, de l'absence de signes cliniques de grossesse ou de l'utilisation d'un moyen de contraception. À ces situations s'ajoutent les changements qui peuvent intervenir dans la situation matérielle, sociale et affective d'une femme et qui peuvent légitimement l'amener à ne pas souhaiter poursuivre sa grossesse.
Si une femme formule sa demande d'IVG juste avant la douzième semaine, elle peut se voir proposer un rendez-vous trop tardif pour respecter le délai légal. Une fois passé le délai de douze semaines, quelles solutions se présentent-elles alors à elle ? En réalité, aucune en France. Elle devra aller à l'étranger, prendre en charge l'ensemble des frais ou sera contrainte de poursuivre une grossesse qu'elle ne voulait pas.
Je terminerai sur les conclusions du Comité consultatif national d'éthique, après avoir rappelé qu'il n'existe que peu, voire pas de différence entre douze et quatorze semaines de grossesse du point de vue des complications. Le CCNE a estimé qu'il n'y avait pas d'objection éthique à allonger le délai d'accès à l'IVG de deux semaines.
L'autre sujet essentiel abordé par la proposition de loi est la suppression de la clause de conscience spécifique, que l'on appelle également la double clause de conscience. Il s'agissait de l'un des éléments de compromis ayant permis l'adoption de la loi Veil en 1975 face à une majorité hostile à la dépénalisation de l'IVG. À l'heure où nous devons œuvrer pour une revalorisation de l'activité d'IVG, cette double clause de conscience maintient l'IVG dans un cadre médical distinct de tous les autres actes liés à la santé reproductive de la femme et n'apporte, en réalité, aucune protection supplémentaire aux professionnels de santé par rapport à leur clause de conscience générale, laquelle, inscrite dans le code de déontologie, permet à tout soignant de refuser de pratiquer tout acte qu'il estime contraire à son éthique, à sa morale ou à un choix médical qui n'est pas le sien – ce qui est heureux. Le maintien de la double clause de conscience ne sert donc qu'à stigmatiser l'IVG.
Nous notons également les autres avancées du texte : la compétence des sages-femmes en matière d'IVG, la suppression du délai de réflexion de deux jours, l'allongement de l'IVG médicamenteuse en ville de cinq à sept semaines et l'obligation de la pratique du tiers payant.
Pour toutes les femmes que j'ai évoquées, un espoir est né il y a un an, le 8 octobre 2020, lors de l'adoption de la proposition de loi défendue par notre collègue Albane Gaillot, qui reprenait le rapport d'information sur l'accès à l'IVG que j'ai rédigé avec Cécile Muschotti.
Parce que le combat des socialistes s'est toujours fondu avec le féminisme, nous avions décidé de faire avancer cette proposition de loi en l'inscrivant à l'ordre du jour de notre niche parlementaire au Sénat, puis à l'Assemblée nationale, le 18 février dernier. Malheureusement, du fait de l'obstruction de certains députés du groupe LR, nous n'avons pu examiner ce texte en séance publique. Nous avions alors déclaré que nous serions solidaires de toutes celles et ceux qui assumeraient les étapes suivantes afin de garantir le plus rapidement possible l'effectivité du droit à l'avortement.
Toutefois, il aura fallu attendre dix mois pour que cette proposition de loi puisse enfin poursuivre son parcours, à l'initiative du groupe majoritaire. Nous avons perdu du temps, mais la fin est imminente. La fin prochaine de la législature réduit aussi les chances de voir cette loi promulguée avant ce terme. Monsieur le ministre, ce texte doit être examiné au Sénat avant de revenir à l'Assemblée nationale. La balle est donc dans votre camp, nous vous appelons à soutenir ce texte et à tout faire pour qu'il soit promulgué sous cette législature. Nous comptons sur votre volontarisme.