Intervention de Geneviève Levy

Séance en hémicycle du lundi 29 novembre 2021 à 21h30
Renforcement du droit à l'avortement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeneviève Levy :

La question de l'allongement du délai de recours à l'interruption volontaire de grossesse est trop importante pour être le prétexte à des caricatures et à des polémiques. Il n'y a pas d'un côté ceux qui servent l'émancipation des femmes et de l'autre ceux qui limitent leurs droits. La caricature n'a jamais été utilisée par les figures tutélaires que sont Simone Veil, Gisèle Halimi, ou encore Yvette Roudy pour convaincre de la justesse de leur combat. Elles n'en avaient pas besoin, car les réformes qu'elles proposaient s'imposaient par les faits et par les chiffres.

Une IVG n'est pas un acte anodin pour une femme. C'est un événement marquant, qui touchera une Française sur trois au cours de sa vie. Promouvoir l'allongement du délai de recours à l'IVG de deux semaines pour le porter à quatorze semaines de grossesse me semble constituer une solution inappropriée aux faits et aux chiffres.

Donne-t-on aux femmes les moyens de choisir librement leur grossesse lorsqu'il est établi que la probabilité d'avoir recours à une IVG décroît avec l'augmentation du niveau de vie ? C'est en effet un constat indéniable : les cadres supérieures sont deux fois moins confrontées que les ouvrières à la décision d'avorter.

Aide-t-on les femmes par cette réforme alors que, année après année, le nombre d'établissements de santé pratiquant l'IVG diminue et que de véritables déserts médicaux se créent, notamment dans les campagnes ? En vingt ans, 50 % des maternités ont fermé. L'accès effectif à l'IVG dépend principalement de la carte hospitalière – les hôpitaux pratiquent, je le rappelle, 79 % des IVG. Quarante départements subissent une pénurie de gynécologues et treize ne comptent plus aucun gynécologue médical, ce qui contraint les femmes à parcourir de longues distances pour consulter – quand elles ne renoncent pas tout simplement à un suivi gynécologique. Je le demande donc : cette proposition de loi remédie-t-elle aux inégalités territoriales ?

Aide-t-on nos filles et nos fils lorsque 25 % des établissements scolaires ne dispensent pas de cours d'éducation à la sexualité et que la majorité des établissements ne respectent pas les trois séances annuelles prévues par la loi ? Il faut offrir un socle de connaissances et d'information minimum à l'ensemble des jeunes. Les cours d'éducation à la sexualité sont un moment privilégié pour parler de contraception mais également de consentement. C'est par l'éducation et la prévention que nous contribuerons en partie à limiter le nombre d'IVG. Là non plus, je le regrette, cette proposition de loi n'apporte pas de réponse.

Deux semaines de délai supplémentaires constituent-elles la solution qui évitera à 2 000 femmes de partir chaque année à l'étranger pour avorter ? Pour 70 % d'entre elles, la cause de l'avortement tardif est la méconnaissance de leur état de grossesse. Le Comité consultatif national d'éthique, compilant les données du Royaume-Uni, des Pays-Bas et de l'Espagne, qui accueillent ces Françaises, établit que la prise en charge médiane de ces femmes intervient à dix-neuf semaines de grossesse. Le CCNE souligne aussi que les femmes concernées prennent contact avec ces pays en moyenne trois semaines avant l'IVG, soit autour de seize semaines de grossesse. Ce sont là des faits : ce délai est nettement supérieur aux quatorze semaines prévues par la proposition de loi. La grande majorité des Françaises qui ont recours à un avortement tardif continueront donc de se rendre à l'étranger.

Enfin, nous ne pouvons ignorer la dimension éthique d'un tel allongement. Si l'avortement n'est jamais un acte médical anodin, sa pratique est sensible et les techniques employées peuvent différer entre douze et quatorze semaines : à quatorze semaines, la grossesse a pleinement entamé son deuxième trimestre et l'avortement chirurgical s'impose majoritairement. Seuls 37 % des professionnels interrogés par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) en octobre 2020 déclarent qu'ils réaliseraient des IVG au stade de quatorze semaines. Ce constat pose indéniablement question : deux tiers des médecins ayant pour vocation professionnelle l'accompagnement de la santé des femmes sont défavorables à cette réforme. La solution prévue par le texte, qui consiste à élargir aux sages-femmes l'exercice de la pratique de l'avortement chirurgical, me paraît inappropriée. Contourner un obstacle ne l'a jamais supprimé.

Contrairement au CCNE, je n'ai pas changé d'avis : ma conviction n'a fait que se renforcer entre les deux lectures du texte. Cette proposition de loi n'offre ni solutions, ni garanties d'amélioration des droits des femmes.

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