Je retiens de ma formation de juriste et de mon expérience politique qu'aucun droit n'est jamais définitivement acquis. C'est particulièrement vrai des droits des femmes : ils sont le fruit de longs combats, de sacrifices et de courage. L'histoire nous a appris qu'il ne fallait jamais baisser la garde et ne jamais sous-estimer les menaces qui pèsent sur les avancées en faveur de l'émancipation des femmes et sur leur droit à disposer librement de leur corps.
Aujourd'hui, le droit à l'avortement est remis en cause dans nombre de pays où il passait pourtant pour acquis. En Pologne, la récente législation ultrarestrictive sur l'avortement a déjà conduit à un drame : la mort d'une jeune femme de 30 ans qui n'a pu bénéficier d'une IVG alors que les malformations de son fœtus mettaient sa vie en danger.
En France, fort heureusement, la situation est évidemment différente. Mais si l'IVG est un droit instauré par la loi Veil de 1975, il n'est pas toujours pleinement et effectivement garanti, comme les confinements nous l'ont brutalement rappelé. L'initiative de la rapporteure Albane Gaillot aura été semée d'embûches, preuve, une fois de plus, que lorsqu'il est question des droits des femmes, les obstacles sont toujours nombreux.
Dès lors, un an après l'adoption de cette proposition de loi en première lecture, je me réjouis que nous puissions continuer le travail, malgré le rejet des sénateurs et l'obstruction d'une poignée de députés qui n'auront finalement pas réussi à empêcher le débat. Je salue le président Christophe Castaner qui a tenu son engagement en l'inscrivant à notre ordre du jour.
Je me tourne immédiatement vers vous, monsieur le ministre : comment comptez-vous garantir l'aboutissement de ce texte, à quelques mois de la fin du quinquennat, alors que le Gouvernement ne donne qu'un avis de sagesse – malgré votre position personnelle que j'ai bien notée – et ne semble pas déterminé à faire voter définitivement cette proposition de loi ?
Comme notre collègue Jeanine Dubié en première lecture, je tiens à souligner le travail remarquable effectué par la délégation aux droits des femmes, notamment par nos collègues rapporteures, Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti. C'est d'ailleurs grâce à elles que le texte initial a été enrichi au fil des lectures.
Lever les freins qui existent pour rendre pleinement effectif le droit à l'avortement est un combat auquel je m'associe totalement. Cela signifie d'abord mettre fin aux inégalités sociales et territoriales d'accès aux soins, lesquelles ont des conséquences sur les délais d'obtention des rendez-vous mais aussi sur la liberté du choix de la méthode par les femmes. Ce sont souvent les plus jeunes, les victimes de violences conjugales, les plus précaires, les plus éloignées de l'information qui sont les plus concernées et arrivent tardivement dans les parcours d'IVG.
Voilà pourquoi il est nécessaire de permettre une extension du délai d'accès à l'IVG afin de répondre à ces femmes qui arrivent hors délai pour des raisons très différentes : prise de conscience tardive, déni de grossesse ou prise en charge compliquée.
Ces difficultés résultent aussi d'un sous-investissement chronique dans la santé sexuelle des femmes, voire d'un désengagement. Entre 2007 et 2017, le nombre de gynécologues a chuté de 41 % et soixante-dix centres IVG ont fermé. Chaque fois qu'une maternité ferme dans nos territoires, c'est un centre d'orthogénie qui disparaît.
L'acte médical d'IVG est peu valorisé, y compris sur le plan économique. Les praticiens qui le réalisent sont peu nombreux. Il était donc nécessaire d'ouvrir les conditions d'exercice par les sages-femmes, qu'il s'agisse de l'IVG médicamenteuse ou chirurgicale. Mais l'amélioration de l'accès à l'avortement, bien au-delà de ce texte, suppose une prise de conscience forte et des choix politiques et budgétaires à la hauteur des enjeux.
Enfin, au-delà des moyens, il ne faut pas sous-estimer les autres freins, exercés directement par ceux qui s'opposent délibérément à ce droit, au nom de convictions personnelles ou politiques, par ceux qui diffusent des contre-vérités ou des discours culpabilisants.
C'est dans cette perspective que la suppression de la double clause de conscience spécifique à l'IVG doit être envisagée. Symbolique, celle-ci invite surtout à investir plus massivement le champ de l'orthogénie et plus largement celui de la santé sexuelle des femmes. Cela implique de rendre les informations plus visibles, d'améliorer la formation des professionnels et de développer les campagnes de prévention.
L'avortement est toujours un acte douloureux et une décision difficile à prendre pour les femmes. Ce texte nous permettra d'avancer et de lutter contre un tabou encore bien présent dans notre société.
Comme en première lecture, les membres du groupe Libertés et territoires se prononceront en conscience. Pour ma part, et comme une majorité d'entre eux, je voterai résolument en faveur de cette proposition de loi. .