L'ironie du destin veut que je vous parle aujourd'hui d'IVG avec un gros ventre puisque je suis enceinte de huit mois. Mais cette grossesse a été choisie, voulue. Et si je suis aujourd'hui devant vous, c'est parce que j'ai pu avoir recours par deux fois à l'IVG dans ma jeunesse – nous sommes plusieurs à avoir témoigné d'une telle expérience ces derniers jours.
En ce temps-là, les conditions matérielles, physiques et émotionnelles n'étaient pas réunies pour que je puisse poursuivre un projet de maternité heureux, et je ne serais certainement pas devant vous en tant que députée ce soir si je n'avais pas eu, à l'époque, la maîtrise de mon corps et de mon destin. Chaque jour, énormément de femmes ont comme moi recours à l'IVG en France, mais d'autres ne peuvent malheureusement pas y accéder par manque de temps. Comme le montrent les travaux préparatoires à l'établissement de cette proposition de loi, cela arrive trop souvent à cause de défaillances de l'État et des services publics.
En effet, une fois le délai de douze semaines passé, aucune solution n'est offerte aux femmes souhaitant recourir à l'IVG. Manque de praticiens, déserts médicaux, entraves ou encore manque d'information sont autant de difficultés rencontrées par les femmes faisant face à une grossesse non désirée. La crise sanitaire a accentué les difficultés rencontrées par les femmes sur le terrain. L'asphyxie des services de santé, ces derniers mois, a mis au second plan les autres interventions médicales. Un rapport sénatorial présenté au mois d'octobre a également pointé très clairement le manque de gynécologues dans certaines zones rurales françaises – plus de treize départements n'ont plus de gynécologues médicaux. Ce manque flagrant de moyens pourrait être comblé par l'extension de la compétence des sages-femmes à la méthode chirurgicale d'IVG jusqu'à la dixième semaine de grossesse. Triste résultat : chaque année, entre 3 000 et 5 000 femmes quittent la France pour se faire avorter à l'étranger.
Au-delà d'un allongement des délais légaux d'IVG, cette proposition de loi tend également à rendre l'ensemble des professionnels de santé acteurs du parcours des femmes, en obligeant ceux qui refusent de pratiquer une IVG à orienter la patiente vers une structure ou un professionnel pratiquant l'avortement. Ces propositions d'amélioration jouissent d'un large écho : le texte est soutenu par des associations, des professionnels de terrain et, je m'en réjouis, des élus de presque tous les bords politiques.
Je regrette cependant le comportement obstructif du groupe Les Républicains. Rappelons-le, ce texte n'a pas pu être étudié en deuxième lecture en février. Après avoir simplement refusé de débattre en première lecture au Sénat, les députés du groupe Les Républicains ont à nouveau déposé quelque 400 amendements volontairement inopérants, empêchant de fait la tenue d'un débat intelligible et productif.
J'évoquerai ma circonscription : l'Amérique latine et les Caraïbes. Là-bas, le droit à l'avortement est loin d'être acquis. En Argentine, par exemple, grâce aux militantes féministes et à leurs fameux foulards verts, le droit généralisé au recours à l'IVG jusqu'à quatorze semaines de grossesse a été voté en décembre dernier. Alors que les pays qui font leurs premiers pas en matière de droits sexuels et reproductifs fixent un nouveau standard – un délai de quatorze semaines –, n'en faisons pas moins en France ! Protégeons les acquis de la loi Veil et d'un droit qui, après cinquante ans, semble aussi pratiqué que fragilisé.
D'autres combats devront suivre celui-ci, notamment pour instaurer un accompagnement des femmes pendant la grossesse, une fois que celle-ci a été choisie. Avec notre collègue Albane Gaillot, nous avons commencé à détailler des propositions, dans le cadre d'un budget genré, pour reconnaître et soigner les maux des trois premiers mois de grossesse, pour investir dans la recherche concernant les femmes enceintes, pour améliorer l'aménagement des conditions de travail pour les femmes enceintes ou encore pour améliorer la prise en charge de la grossesse par la sécurité sociale.
Il est temps de faire éclater tous ces tabous. La première génération des féministes a dû cacher et faire oublier le corps des femmes pour que celles-ci deviennent sujets de droit et non de possession. Aujourd'hui, notre nouveau combat doit être celui de la réappropriation et de la célébration du féminin, celui de la visibilisation du corps des femmes et des difficultés ou injustices qui peuvent encore lui être associées.
Un dernier mot pour remercier ma collègue et amie Albane Gaillot pour son travail, l'ensemble de nos collègues qui constituaient le groupe Écologie démocratie solidarité, pour avoir lancé ce débat, ainsi que les nombreuses femmes – malheureusement, pour l'instant, presque uniquement des femmes, comme le montre cette discussion générale – et associations mobilisées sur ce sujet. Ce soir, faisons honneur aux femmes partout en France !