Plus jeune département de France en 1950, la Martinique sera un siècle plus tard, en 2050, le département le plus vieux de notre pays. Si le défi de l'autonomie concerne tous les territoires français et a d'ailleurs conduit notre majorité à créer une cinquième branche de la sécurité sociale, l'ampleur et la rapidité du vieillissement de la Martinique sont sans commune mesure avec la situation que nous connaissons en métropole. Les projections démographiques de l'INSEE estiment en effet que 40 % de la population martiniquaise aura plus de 60 ans à l'horizon 2030. Cette tendance n'est d'ailleurs pas propre à la Martinique puisque le même phénomène est observé en Guadeloupe, dans des proportions toutefois moindres.
Un tel renversement démographique, qui s'est opéré en seulement quelques décennies, s'explique par de multiples facteurs. Il résulte d'abord – et c'est une bonne nouvelle – de l'allongement de l'espérance de vie. Les Antilles françaises détiennent ainsi le record de longévité de la zone caribéenne, puisque la durée de vie moyenne y est estimée à plus de 81 ans, hommes et femmes confondus. Il découle aussi de la baisse très rapide de la natalité observée depuis le début des années 2000 : entre 1999 et 2015, les naissances ont reculé de 30 % en Martinique. Il trouve enfin son origine dans l'émigration massive des jeunes générations – et cela est une moins bonne nouvelle – vers l'Hexagone. Une étude de 2015 montre ainsi que 40 % des femmes et 47 % des hommes âgés de 25 à 34 ans et natifs de Martinique ou de Guadeloupe vivent en France métropolitaine. Cette émigration est d'autant plus forte chez les jeunes diplômés ; elle contribue par ailleurs, évidemment, à réduire le nombre de jeunes femmes en âge de procréer présentes sur l'île et explique pour beaucoup la baisse de la natalité.
Ces trois facteurs, en s'additionnant, conduisent au vieillissement accéléré que connaît aujourd'hui la Martinique. Le déséquilibre de la pyramide des âges s'inscrit de surcroît dans un contexte de forte précarité sociale : 30 % des plus de 75 ans vivent sous le seuil de pauvreté en Martinique, contre 8 % en moyenne dans l'Hexagone. S'agissant de ce département, les enjeux en matière de santé, de dépendance, d'emploi, de mobilité ou d'habitat sont donc considérables, d'autant qu'il fait par ailleurs face à d'immenses défis sociaux, révélés au grand jour par la crise actuelle.
Dans ce contexte, la proposition de résolution de notre collègue Manuéla Kéclard-Mondésir invite le Gouvernement à déployer un plan d'urgence exceptionnel pour accompagner le phénomène de vieillissement accéléré de la Martinique. Sur le principe et au vu des chiffres que je viens de citer, il paraît évident que la Martinique a besoin du soutien de l'État pour surmonter le bouleversement démographique qu'elle subit. Sur le fond, la présente proposition de résolution n'apporte toutefois aucune solution concrète et opérationnelle pour y répondre, la plupart des mesures qu'elle contient étant par ailleurs déjà satisfaites.
Ainsi, l'article 1er suggère par exemple la création d'une agence de l'autonomie, regroupant l'État et la collectivité territoriale de Martinique, pour prendre en charge le grand âge. Or cela correspond précisément au fonctionnement et aux missions des maisons départementales de l'autonomie (MDA), qui existent déjà.
L'article 2 prévoit la création d'un fonds exceptionnel permettant la réhabilitation de six EHPAD et le développement de nouvelles solutions d'hébergement pour les seniors. Un tel objectif est doublement satisfait. Il l'est d'une part grâce au plan d'investissement du Ségur de la santé dans le domaine du médico-social, puisque 20 millions d'euros ont déjà été fléchés vers les EHPAD ultramarins en 2021 ; et d'autre part par l'article 36 bis B du projet de loi « 3DS » – relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale –, qui vise à favoriser le développement, en outre-mer, de solutions d'habitat intermédiaire pour les personnes en situation de handicap ou en perte d'autonomie.
L'article 4 propose quant à lui d'augmenter progressivement le montant de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ; or le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022 répond à cette demande par l'instauration d'un tarif plancher fixé à 22 euros de l'heure, alors que le tarif horaire pratiqué en Martinique oscille autour de 19 euros.
L'article 5 vise à favoriser le retour des jeunes docteurs martiniquais dans leur département d'origine. C'est une démarche qui a du sens pour lutter contre la désertification médicale ultramarine, mais elle est purement incantatoire, la proposition de résolution ne précisant pas comment y parvenir.
L'article 6 propose enfin de mobiliser davantage de jeunes dans l'accompagnement des personnes âgées. Il se trouve que c'est exactement l'objectif poursuivi par l'ouverture de 10 000 missions de service civique auprès de personnes âgées, notamment en EHPAD, suite à la crise sanitaire.
Mes chers collègues, vous l'aurez compris, parce que les mesures proposées sont soit satisfaites – voire dépassées –, soit inopérantes, le groupe Agir ensemble ne votera pas la proposition de résolution.