Intervention de Brigitte Bourguignon

Séance en hémicycle du jeudi 2 décembre 2021 à 15h00
Plan d'accompagnement du phénomène de vieillissement accéléré de la martinique — Discussion générale

Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie :

Le besoin est là et a largement été documenté par le rapport d'information de Stéphanie Atger et Ericka Bareigts au nom de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale.

L'insularité de la majorité des départements et des collectivités d'outre-mer complexifie le recours des personnes âgées à l'offre en matière de soutien à l'autonomie. Dans le même temps, la population se transforme, la natalité diminue, l'espérance de vie augmente et la quête d'emploi pousse un grand nombre de jeunes à rejoindre l'Hexagone – c'est un fait. En somme, ces territoires entrent de manière accélérée dans la société de la longévité. Dans moins de trente ans, près de la moitié des Martiniquais auront plus de 60 ans. L'État est conscient de cette situation et répondra présent.

La proposition de résolution formule de nombreuses recommandations, qui sont, pour beaucoup, vous le savez, en passe d'être satisfaites par le Gouvernement, qui m'a fait l'honneur de me confier la mission de mettre en œuvre son ambition dans le domaine du grand âge.

Permettez-moi, madame Kéclard-Mondésir, de passer en revue les mesures que vous proposez dans cette proposition de résolution.

En matière de gouvernance, tout d'abord, le texte recommande la création d'une structure qui permettrait à la collectivité de Martinique d'exercer véritablement les compétences qui lui sont dévolues. Cette « agence de l'autonomie » serait créée sous la forme d'un groupement d'intérêt public (GIP) et favoriserait un fonctionnement plus souple et adapté aux spécificités du territoire. Or cette possibilité existe déjà en Martinique.

En revanche, l'implication de l'État comme partie prenante du GIP pourrait être perçue comme une recentralisation de la compétence du département. En outre, la collectivité n'a exprimé aucune demande en ce sens jusqu'à aujourd'hui. La politique que je mène au nom du Gouvernement en faveur du soutien à l'autonomie vise, au contraire, à faciliter le réinvestissement des collectivités afin qu'elles assument pleinement la compétence qui est la leur.

Pour l'illustrer, je veux répondre dès maintenant à l'ambition que vous exprimez dans l'article 4 de la proposition de résolution. La définition et le versement du montant de l'APA relèvent des départements, ce qui explique que des montants différents soient versés de l'un à l'autre. Afin de favoriser le développement d'une offre domiciliaire forte, j'ai engagé, au nom du Gouvernement, la refonte de la tarification des structures, avec une revalorisation-socle de l'APA, désormais fixée à 22 euros par heure minimum. Cette mesure permettra le rattrapage de l'APA dans les plus de soixante-dix collectivités dans lesquelles son montant se situait jusqu'ici en deçà de ce montant, notamment la Martinique. Son application ne se traduira par aucun surcoût pour les collectivités : la nouvelle branche de la sécurité sociale compensera intégralement et de manière pérenne le différentiel, soit un investissement de l'État de 240 millions dès l'année prochaine.

J'ajoute que les structures de soins à domicile qui entreront dans une démarche de contractualisation visant à améliorer la qualité de service, soutenir l'autonomie des personnes âgées, lutter contre leur isolement, accompagner les aidants ou améliorer les conditions de travail de leurs salariés bénéficieront d'une dotation complémentaire de 3 euros par heure. Cette mesure représentera un investissement de l'État de 500 millions d'euros d'ici à 2025 et concernera la Martinique au premier chef.

En matière d'investissement, vous suggérez au Gouvernement de créer un fonds d'expérimentation ayant vocation à réhabiliter certains EHPAD et à permettre le développement de solutions d'hébergement alternatives. Vous saluez donc sans doute la rupture opérée par le Ségur de la Santé en matière d'investissement !

Aux côtés du Premier ministre et du ministre des solidarités et de la santé, je me rends chaque semaine dans une nouvelle région pour annoncer les projets que nous financerons afin de rénover les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux. Alors que la grande majorité de ces établissements n'ont pas bénéficié de rénovation d'ampleur depuis plus de vingt ans, le Gouvernement entend répondre aux besoins partout sur le territoire national et agit. Nous présenterons prochainement un plan d'investissement important pour l'outre-mer. Il permettra de satisfaire des besoins clairement identifiés.

L'EHPAD, vous l'avez rappelé, ne saurait, par ailleurs, être l'alpha et l'oméga de la politique d'hébergement des personnes en perte d'autonomie. Nous devons identifier des solutions d'hébergement alternatives pour les personnes qui n'ont pas besoin d'un haut niveau de médicalisation pour vivre de manière autonome, mais tout de même d'une certaine sécurité. C'est la raison pour laquelle nous ouvrons la possibilité de créer des résidences autonomie en outre-mer dans le projet de loi 3DS, déjà discuté en commission et dont l'examen en séance publique débutera lundi prochain.

Pour développer de tels projets, vous l'avez souligné à juste titre, il est cependant nécessaire de prendre en compte les frais d'ingénierie. Nous avons pris ce sujet à bras-le-corps et nous lui avons apporté deux réponses. La première, conjoncturelle, vise à permettre aux établissements candidats au volet investissement du Ségur de la santé d'être accompagnés dans le développement de leur projet. La seconde est structurelle : le projet de loi 3DS est le véhicule législatif qui permettra le financement de ces frais par la conférence des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie.

En revanche, plusieurs de vos propositions ne me semblent pas opportunes, madame Kéclard-Mondésir. Certaines sont même inopérantes. Ainsi, la création de dispositifs d'exonération fiscale spécifiques pour une catégorie d'établissements et une zone géographique données, comme vous le proposez pour la TVA des petites unités de vie de la Martinique, créerait un précédent difficilement justifiable. Pour faire valoir ces exonérations, vous vous appuyez sur l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM), mais vous créeriez là aussi un précédent, d'autant plus délicat que ces exonérations relèvent des autorités fiscales et que LADOM n'a pas de compétence en la matière.

En ce qui concerne le retour en Martinique de soignants martiniquais, vous proposez de recourir au centre des intérêts matériels et moraux, le CIMM. Je comprends votre objectif, mais le moyen ne me semble pas adapté. En effet, la Martinique fait partie des collectivités dans lesquelles l'installation permet de prétendre au contrat d'engagement de service public (CESP), auquel les jeunes médecins peuvent souscrire pendant leurs études – nous l'avons rappelé ce matin lors de l'examen du texte précédent. En contrepartie de leur installation dans une zone sous-dotée, les jeunes médecins bénéficient d'un financement relativement confortable de leurs études. Ce dispositif est plus ambitieux que le recours au CIMM : non content de faciliter le retour en Martinique des jeunes médecins martiniquais, il permettrait en effet de financer leurs études.

En matière d'emplois francs, lors du dépôt de la proposition de résolution, nous entamions une expérimentation à La Réunion, laquelle suit son cours et sera évaluée l'an prochain. La question de sa généralisation sera examinée lorsqu'elle sera achevée.

Vous souhaitiez mobiliser le dispositif du service militaire adapté et ouvrir plus de places au sein du régiment de service militaire adapté de la Martinique (RSMA-M) pour attirer des jeunes vers les emplois du « prendre soin ». Dans le contexte martiniquais, et au-delà, c'est une ambition que je partage. Face à la crise sanitaire, nous en avons pris la pleine mesure : nous avons ouvert près de 10 000 places de service civique sur l'ensemble du territoire national pour lutter contre l'isolement et répondre à l'envie d'engagement des jeunes et au besoin de lien social de nos aînés. Pour la Martinique, plus de 150 missions de service civique sont ouvertes.

Je crois que chaque jeune doit trouver la solution d'engagement qui lui correspond, mais force est de constater qu'à ce jour, l'ensemble des places prévues pour le dispositif en RSMA ne trouvent malheureusement pas preneur. C'est dommage, car ce dispositif est de nature à renforcer le lien entre notre armée et nos jeunes tout en assurant une insertion professionnelle plus stable à des publics parfois éloignés de l'emploi. Ce constat doit nous conduire à diversifier nos outils pour répondre aux besoins d'engagement. Je sais que Sarah El Haïry, secrétaire d'État en charge de la jeunesse, y est particulièrement sensible et nous travaillons ensemble sur ce sujet. C'est un enjeu d'émancipation et de développement personnel, mais aussi de réaffirmation de la place de chacun dans la société. Ce sujet est pleinement en phase avec la politique que je mène en matière de soutien à l'autonomie des personnes âgées, en ce qu'il est nécessairement intergénérationnel.

Je crois que les motivations de cette proposition de résolution sont en accord avec la politique gouvernementale. Son examen permet de prendre la mesure du chemin parcouru. En soulevant les différentes avancées, je ne cherche pas un satisfecit, ce n'est pas mon genre. La situation que vivent nos concitoyens martiniquais est particulièrement marquée par l'accélération du vieillissement, dont nous devons prendre toute la mesure. Je suis néanmoins convaincue que nous avons dépassé l'ambition de cette résolution.

En raison de ces avancées majeures, qui répondent à une partie des motivations de cette proposition de résolution, et des objections que j'ai formulées à quelques autres, vous comprendrez que je ne rendrai pas un avis favorable à l'adoption de cette résolution. Mais le Gouvernement s'engage résolument à poursuivre son action pour accompagner l'ensemble des collectivités qui font face à un vieillissement accéléré de la société, au premier rang desquels la Martinique. Nous continuerons ainsi à protéger nos personnes âgées, comme nous le faisons aujourd'hui dans la crise sanitaire, pour qu'ils puissent bénéficier demain du meilleur accompagnement possible.

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