Intervention de Jean-Paul Dufrègne

Séance en hémicycle du jeudi 2 décembre 2021 à 21h30
Libre choix des communes en matière d'eau et d'assainissement — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Dufrègne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Je pense cependant qu'elle révèle à quel point le texte que nous allons examiner transcende les clivages partisans.

L'objet de la proposition de loi que j'ai déposée avec mes collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine est simple : supprimer le caractère obligatoire du transfert par les communes aux communautés de communes des compétences « eau » et « assainissement » prévu au plus tard le 1er janvier 2026.

Créée par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRE, du 7 août 2015, sans concertation avec les élus locaux, cette obligation de transfert suscite, depuis plus de six ans, de fortes et légitimes oppositions. Nous avons déjà eu l'occasion d'en débattre longuement dans cet hémicycle au cours de la législature – j'ai même entendu dire qu'il s'agissait d'un « marronnier ». Si, effectivement, ce sujet revient régulièrement dans nos débats depuis 2017, c'est précisément parce qu'il soulève sur l'ensemble de nos territoires des enjeux bien réels, dont l'importance ne saurait être mésestimée. L'eau est en effet un bien précieux, qu'il nous faut défendre comme la prunelle de nos yeux contre les appétits mercantiles qu'il suscite. De nombreuses initiatives législatives ont ainsi été engagées par différents groupes politiques, afin de revenir sur le caractère obligatoire de ce transfert de compétences à l'échelon intercommunal.

Dans le cadre du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, dit 3DS, le Sénat a même adopté un article en ce sens. Je regrette que la commission des lois, à l'initiative du groupe La République en marche, ait décidé, la semaine dernière, de le supprimer, témoignant ainsi de son refus de voir la réalité et de comprendre les raisons pour lesquelles cette obligation de transfert demeure totalement inopportune, voire particulièrement dangereuse.

Certes, je sais que le Gouvernement et sa majorité objecteront que des assouplissements ont progressivement été consentis à l'épreuve des difficultés que provoquent ces transferts obligatoires. Ces reculades étaient les bienvenues mais elles restent toujours insuffisantes.

En effet, la loi du 3 août 2018 a repoussé pour les communautés de communes la date butoir du transfert au 1er janvier 2026, alors qu'elle était initialement fixée au 1er janvier 2020, grâce à l'activation d'un dispositif de minorité de blocage – je précise que 61 % des communautés de communes ont déjà décidé d'activer ce mécanisme. Ensuite, la loi du 27 décembre 2019, relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique a ouvert la possibilité aux intercommunalités exerçant déjà les compétences « eau » et « assainissement » de les déléguer aux communes par convention.

Ces évolutions ne traitent pas le fond du problème, c'est-à-dire la rigidité, la brutalité et l'inopportunité profonde que représente l'obligation faite aux communes d'abandonner leurs compétences à la communauté de communes à laquelle elles appartiennent.

Les auditions que j'ai conduites en tant que rapporteur de cette proposition de loi et les chiffres qui m'ont été communiqués par les services de la direction générale des collectivités locales (DGCL) montrent bien qu'une large majorité des communes membres d'une communauté de communes ne souhaite toujours pas, à ce jour, procéder à ce transfert de compétences.

Six ans après l'entrée en vigueur de la loi NOTRE, seules 33 % des communautés de communes exercent la compétence « eau », et 41 % la compétence « assainissement collectif ». Ces chiffres soulignent que le transfert obligatoire ne satisfait aucun besoin général. Cela n'a aucune raison de changer au cours des quatre prochaines années, alors même que l'obligation de transfert sera effective le 1er janvier 2026.

Une question taraude ceux qui, comme moi, rejettent cette obligation de transfert : comment prétendre savoir à la place des communes ce qui serait le mieux pour elles ? Pourquoi ne pas leur faire confiance, alors que leurs connaissances et leurs savoir-faire ont été éprouvés depuis plusieurs décennies, grâce à une gestion autonome ou à l'action de syndicats qui s'acquittent parfaitement de leurs missions, au plus près de nos concitoyens en tenant compte des spécificités propres à chaque territoire ? Bref, pourquoi détruire un modèle qui a fait ses preuves de longue date, s'agissant aussi bien de la qualité du service que du prix facturé à l'usager ?

La course irréfléchie vers l'intercommunalité fournit peut-être, hélas, une explication. Pourtant, nous savons que l'intercommunalisation à marche forcée ne constitue pas une solution d'avenir. La montée en puissance des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre est positive dès lors qu'elle est librement consentie et non subie par les communes. En aucun cas elle ne doit leur être imposée, à l'image de ce qu'a prévu la loi NOTRE, afin de les déposséder de l'exercice des compétences « eau » et « assainissement ».

Je souhaite désormais insister sur plusieurs points qui me semblent essentiels.

Premièrement, le périmètre géographique des communautés de communes n'est pas forcément adapté au périmètre naturel des services d'eau et d'assainissement, lesquels doivent être organisés autour des zones de prélèvements et dimensionnés selon la ressource disponible, ce qui dépend de la localisation des bassins versants. Cette dimension topographique est liée à chaque territoire, ce qui, en toute logique, ne plaide pas en faveur d'une grille de lecture uniformément intercommunale.

Deuxièmement, le transfert obligatoire aux communautés de communes ne va pas automatiquement provoquer des économies d'échelle ni une amélioration de la qualité du service ou une diminution du prix. Au contraire, la gestion administrative n'en sera que plus éloignée, au risque de provoquer une perte de compétence et de connaissance fine des réseaux d'eau et d'assainissement. Cette évolution peut alors ouvrir la voie à la tentation de confier à des entreprises privées la gestion de ces missions, par le biais de délégations de service public, dont on a déjà vu les défaillances en la matière au cours de la dernière décennie.

Ces risques sont d'autant plus avérés que le périmètre géographique des services d'eau et d'assainissement présentera une taille relativement importante, susceptible d'attirer naturellement des entreprises désireuses de réaliser d'importants profits. La recherche de la rentabilité pourra ainsi conduire à différer des investissements de long terme, au détriment du renouvellement des réseaux. Simultanément, la rémunération des actionnaires de ces sociétés pourra également avoir un effet négatif sur le prix des prestations facturées à l'usager. Dans tous les cas, je ne pense donc pas que cela soit in fine dans l'intérêt de nos concitoyens, alors même que la gestion en régie a déjà fait ses preuves. Sur cette question comme sur beaucoup d'autres, les bienfaits de la gestion publique locale doivent être rappelés avec insistance, à l'heure où les services publics sont régulièrement fragilisés.

Enfin, je souhaite répondre à un argument entendu au cours de nos débats en commission, selon lequel l'exercice intercommunal des compétences « eau » et « assainissement » serait indispensable, afin de réduire le taux de fuite et de garantir la sécurité de nos approvisionnements. Autant dire que toutes les communautés de communes ont la volonté et les moyens d'assumer pleinement ces compétences ! Si tel avait été le cas, comment expliquer que la très grande majorité d'entre elles n'exerce pas ces missions à ce jour, six ans après l'entrée en vigueur de la loi NOTRE ?

Pour l'ensemble de ces raisons, la proposition de loi que j'ai l'honneur de défendre devant vous aujourd'hui, a pour objet de supprimer le caractère obligatoire du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes, en réinsérant ces compétences parmi celles pouvant être exercées par les communautés de communes à titre optionnel.

Si les communes membres de ces intercommunalités souhaitent malgré tout transférer ces compétences à l'EPCI, elles conserveront bien sûr la possibilité de le faire, mais en aucun cas elles ne doivent y être contraintes de façon brutale et rigide, au mépris des réalités territoriales auxquelles elles sont confrontées de longue date.

Madame la ministre, voilà une occasion concrète de faire la preuve de votre attachement au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales et de différenciation territoriale que vous prétendez défendre. Ce transfert obligatoire ne répond à aucune véritable justification économique, administrative ou écologique : il est massivement rejeté par les élus locaux, et nous avons été nombreux, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, à relayer leur opposition. Je ne peux pas croire que vous occultiez délibérément cette réalité, alors même que vous n'êtes pas politiquement contrainte d'assumer les erreurs commises avec la loi NOTRE, adoptée sous la précédente législature.

Permettez-moi, pour conclure, de citer un autre écrivain, dont les engagements politiques successifs peuvent être partagés par bon nombre d'entre nous sur les bancs de cet hémicycle. Charles Péguy écrivait : « Il faut toujours dire ce que l'on voit : surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit. »

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