Où en sommes-nous aujourd'hui ? Force est de constater que la démocratie s'essouffle : les maires croulent sous le poids des contraintes de toute nature ; les départements se font dépouiller de leurs compétences et de leurs capacités à agir, un peu comme on effeuille la marguerite ; les régions constituent une nouvelle forme de centralisme territorial et peinent à trouver grâce aux yeux de nos concitoyens. La décentralisation a marqué le pas ; elle évolue par petites touches, au fil de l'eau, dans une forme d'improvisation. Alors oui, clarifier, simplifier, établir qui fait quoi est une nécessité absolue.
Au-delà de cette nécessité, permettez-moi de penser plus prosaïquement que les élus locaux expriment deux demandes très simples : de la liberté et des sous. Or la décentralisation ne crée pas d'argent. Si le gâteau conserve la même taille, la question est donc de savoir qui découpe les parts. Or l'État a repris le couteau, et le texte élude l'enjeu majeur du levier fiscal et des moyens financiers. Quant à la liberté, force est d'admettre que ce texte n'en accorde que trop peu.
Et, pourtant, il en dit, des choses, ce texte ! Passons sur le titre du projet de loi, qui relève plutôt du packaging législatif, si vous me permettez l'expression, c'est-à-dire de l'art d'emballer ou d'enjoliver le contenant pour faire un peu oublier le contenu. Ce texte dit tellement de choses que chacun y trouvera un peu son compte – et c'est probablement l'essentiel pour le Gouvernement.
En tête de gondole, on trouve la « différenciation territoriale » qui consacre un principe de dérogation aux règles établies en matière de compétences. Le principe de différenciation a soulevé bien des espoirs. Si le Sénat a saisi cette occasion pour tenter de détricoter des pans entiers de l'intercommunalité, il n'en demeure pas moins que la rédaction actuelle, qui est revenue sur les excès du Sénat, ne laisse guère entrevoir de traductions concrètes.
On se réjouira cependant de la clarification des compétences en matière de transition écologique et de biodiversité et de certaines avancées dans le domaine de la sécurité sanitaire, tout en notant que si les collectivités sont les bienvenues pour apporter leurs subsides aux projets d'équipements médicaux, elles le sont toujours aussi peu dans la gouvernance sanitaire. Quant aux parlementaires, j'ai cru comprendre qu'ils étaient tout simplement indésirables dans les conseils de surveillance des établissements publics de santé. Je regrette une mesure qui va conforter un peu plus le procès fait à des élus trop souvent considérés comme hors sol.
On saluera également le partage de données entre administrations au bénéfice de l'usager et surtout désormais de ses droits, de même que les avancées en matière de coopération transfrontalière. Nous voulons aussi saluer l'abaissement des seuils qui permettent à des électeurs de réclamer une consultation, tout en regrettant que cette démarche soit réduite à une signature par citoyen et par an, comme s'il fallait craindre une trop grande intrusion des citoyens dans la vie publique.
On ne peut que se réjouir de l'adoption en commission d'un certain nombre d'amendements qui ont permis de rétablir l'équilibre de la loi SRU mis à mal par le Sénat. Sur ce sujet de l'habitat, nous saluons les adaptations proposées, de même que, en ce qui concerne l'urbanisme, les dispositions qui facilitent le classement des immeubles menaçant ruine en biens sans maître pour leur intégration dans le domaine public.
On aurait aimé des avancées en matière de médecine scolaire, tant il est vrai que les départements sont bien souvent exemplaires en matière de prévention ou de nutrition. On aurait voulu plus de place pour ces mêmes départements dans le pilotage des EHPAD, dont on découvre bien souvent trop tard les difficultés financières.
Nous aurions aimé que soient jetées les bases d'un processus qui renforce la démocratie intercommunale ou bien encore l'adoption d'un cadre d'expérimentation du revenu de base.
Il y a donc dans ce texte des dispositions que nous soutiendrons – je viens d'en évoquer un certain nombre –, d'autres qui font débat – je pense à la recentralisation du RSA ou à la question récurrente du transfert de la compétence eau et assainissement – et enfin certaines qui nous surprennent.
Reconnaissez par exemple que pour un projet de loi de simplification, transférer la gestion de routes nationales aux régions est assez étonnant. C'est par ailleurs une contradiction remarquable avec l'argument avancé par le Gouvernement dans un amendement portant sur la métropole Aix-Marseille : vous affirmez à juste titre qu'il faut restituer aux communes des compétences de proximité comme la voirie, car elles seront plus efficacement mises en œuvre. Mais alors pourquoi vouloir confier de la voirie à des régions, qui incarnent tout sauf la proximité ?