Intervention de Pierre-Yves Bournazel

Séance en hémicycle du jeudi 18 janvier 2018 à 15h00
Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Yves Bournazel :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous partageons le constat qui guide cette proposition due à l'initiative de nos collègues de la Nouvelle Gauche : l'entreprise ne constitue pas un isolat social. Il y a bien une réflexion à mener sur la place de l'entreprise au sein de notre société. J'irai même plus loin : cette réflexion doit porter sur le rôle du travail lui-même pour l'individu et sur la place du travail dans la société. C'est, je crois, l'ambition du Président de la République, du Premier ministre et du Gouvernement.

Dans la continuité de la modernisation du dialogue social, nous débattrons ainsi dans cet hémicycle de la réforme de l'assurance chômage et de la formation professionnelle, de la simplification de la vie des entreprises, du « plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises ».

À ce propos, je souscris au choix du Gouvernement d'appréhender dans un même mouvement les différents aspects qui régissent la vie des entreprises et des salariés. Il exprime une volonté réelle de changer de logiciel et de transformer structurellement notre pays. Par le passé, la réflexion sur l'entreprise et le salarié s'est trop enfermée dans des raisonnements en silos et des logiques de cloisonnement.

Cette réflexion fait d'ailleurs l'objet d'une concertation approfondie avec les partenaires sociaux. Nous aurons l'occasion de défendre nos convictions au Parlement lors du premier semestre 2018. Je pense que les préoccupations de votre proposition de loi trouveront là l'opportunité d'être largement discutées.

Nous pouvons d'ailleurs partager votre réflexion selon laquelle certaines pratiques actionnariales ou managériales sont contestables et contre-productives pour l'entreprise elle-même. Mais si nous devons garder un regard critique sur ces pratiques qui appellent en effet toute notre vigilance, gardons à l'esprit que trop se focaliser sur les difficultés rend aveugle aux évolutions positives en cours. Aujourd'hui, nombreuses sont les entreprises tricolores à s'engager pleinement dans la transition de notre modèle économique et à développer des politiques actives en matière de responsabilité sociétale et environnementale. Un travail législatif a d'ailleurs déjà été amorcé dans ce domaine sous le précédent quinquennat.

Notre groupe tient à attirer votre attention sur l'importance d'avancer avec prudence afin de ne pas fragiliser le modèle économique français. Ainsi, les relations entre les dirigeants, les actionnaires et les salariés mériteraient de ne pas être abordées sous l'angle de l'antagonisme, mais sous celui de la conjugaison des intérêts et de l'effort collectif.

Concernant la limitation du salaire, il semble nécessaire de rappeler que la détermination d'un plafond n'entraîne pas automatiquement une élévation du plancher et que cette disposition, qui là encore s'en remet à un rapport du Gouvernement, n'entend pas résoudre sur le fond un problème légitime. Nous estimons qu'il serait plus opportun d'investir les questions de la participation et de l'intéressement du salarié dans l'entreprise qui, en plus de rehausser le plancher, permettrait d'associer le salarié au succès de son entreprise et de renforcer les convergences des intérêts des différents acteurs de l'entreprise.

Je tiens également à vous mettre en garde contre la généralisation du vote double dans les conseils d'administration qui a bien souvent été perçue comme un outil au service de l'État pour peser de manière plus significative dans la direction des entreprises. Le droit de vote double n'intéresse de fait que les investisseurs cherchant à exercer un contrôle de la société. Il convient d'anticiper les effets indésirables qui pourraient accompagner la généralisation de ce dispositif et l'avènement d'un vote triple.

Une telle disposition pourrait en effet favoriser une augmentation du nombre de prises de contrôle et conduire de facto à un bouleversement des équilibres dans les comités de direction, ce qui contreviendrait à l'esprit même du texte. Par ailleurs, il est indispensable de distinguer le « court-termiste » managérial et le « court-termiste » actionnarial entre lesquels aucun lien systématique n'est avéré.

Concernant la question de la transparence financière, nous pensons que celle-ci doit être un moyen de tisser de la confiance avec les salariés et les citoyens.

Nous observons que ce texte tente de contourner la décision du Conseil constitutionnel relative à la disposition de la loi Sapin II de lutte contre la corruption et la fraude fiscale, laquelle prévoyait l'obligation pour les entreprises de rendre publiques leurs pratiques de transfert de bénéfices et de base taxable vers des États à fiscalité privilégiée. Le dispositif proposé n'échappe pas à la question de son applicabilité.

Notre groupe estime que le sujet de la transparence financière des entreprises constitue avant tout un enjeu européen si nous voulons véritablement mettre en oeuvre des mécanismes de contrôle et de sanction efficaces. L'échelle européenne s'avère pertinente et nécessaire pour que cela ne pèse pas sur la concurrence de nos entreprises.

Du point de vue de la philosophie générale, la présente proposition de loi cible les grandes entreprises, avec une certaine défiance qui ne paraît pas un postulat de départ constructif. Elle tend également à oublier les problématiques et les spécificités de nos TPE et de nos PME et des créateurs d'entreprises en général, qui évoluent dans un cadre administratif trop complexe, trop lourd et bien souvent déconnecté des réalités.

Je crois qu'il est nécessaire d'inverser cette logique. La réflexion sur la place et la responsabilité de l'entreprise dans la société doit d'abord s'articuler autour de la notion de confiance. Vous me permettrez à ce propos de citer Winston Churchill. Je ne répéterai pas ce qu'il a dit du socialisme pour ne pas paraître me livrer à une provocation déplacée, mais je reprendrai ses propos sur l'entreprise : « On considère le chef d'entreprise comme un homme à abattre ou une vache à traire. Peu voient en lui le cheval qui tire le char. » Ce dont notre pays a besoin, c'est que les entreprises aient confiance et puissent créer de la croissance et donc de l'emploi. Et le salarié sera intéressé à la dynamique ainsi créée.

Confiance des salariés envers leur patron et vice versa, telle est la clé de la vie d'une entreprise. La réussite de la concertation sur la réforme du dialogue social et des ordonnances sur le travail sont une réelle avancée collective. Il nous faut désormais travailler à l'invention d'un nouveau modèle de participation et d'intéressement des salariés comme le Président de la République s'y est engagé.

Confiance de l'État vis-à-vis des entrepreneurs, telle est la clé pour libérer les énergies créatrices et positives. Les réformes à venir du Gouvernement sont à ce titre très attendues.

Mes chers collègues, vous l'aurez compris, notre groupe ne peut soutenir cette proposition de loi. Celle-ci a certes le mérite d'ouvrir un débat nécessaire sur la place de l'entreprise dans la société du XXIe siècle, mais nous aurons l'occasion d'y revenir lors du débat parlementaire sur la croissance et la transformation des entreprises au cours duquel chacun de nos groupes pourra présenter ses propositions.

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