Si nous avons déposé une motion de rejet préalable, c'est que nous nous opposons résolument au projet de loi – c'était déjà le cas en première lecture, et ça l'est encore pour le texte de la CMP conclusive. Plusieurs raisons motivent notre rejet de ce projet de loi « fourre-tout » qui mêle des sujets disparates, voire contradictoires.
La première a trait à la responsabilité pénale.
La démonstration en a été faite : le texte assemble des articles de circonstance répondant à un cas particulier, et fait suite à une décision de la Cour de cassation largement commentée. Chacun sait pourtant qu'il n'est jamais bon de faire des lois de circonstance, y compris à la suite d'un fait divers particulièrement atroce – en l'occurrence, le meurtre de Mme Halimi. Je l'avais souligné en première lecture : soit les articles en question seront inapplicables, tant les conditions à réunir pour caractériser les faits sont nombreuses, soit ils constituent une entorse au principe d'irresponsabilité pénale pour abolition totale du discernement – vous vous vantez en effet de créer une infraction autonome pour pouvoir condamner, malgré tout, une personne qui aurait été déclarée irresponsable pénalement. Vous êtes sur une pente dangereuse.
Malheureusement, vous n'avez tenu aucun compte du rapport que Nicole Belloubet, alors garde des sceaux, avait commandé à Philippe Houillon et Dominique Raimbourg ; il comportait pourtant de nombreuses propositions intéressantes, y compris d'ordre réglementaire ou organisationnel. Nombre de magistrats et d'organisations professionnelles ont le sentiment que l'altération ou l'abolition totale du discernement est rarement prononcée, y compris quand elle mériterait de l'être. L'idée de dangerosité irrigue à ce point notre droit pénal que, même lorsqu'une personne présente des troubles mentaux – qui n'ont peut-être pas été suffisamment caractérisés pour qu'une altération du discernement soit prononcée –, elle est condamnée à une peine de prison, au motif qu'elle est dangereuse ; au moins sera-t-elle sous surveillance, se dit-on, et éventuellement prise en charge d'un point de vue sanitaire.
Le sujet de la santé mentale et des auteurs d'infractions souffrant des troubles mentaux méritait que l'on étudie plus avant des propositions alternatives, car il renvoie à un problème crucial : le manque de moyens de l'hôpital psychiatrique. Songez que 60 % des lits de psychiatrie ont été fermés ces quarante dernières années, sans que le suivi en ambulatoire ait été renforcé en conséquence. Les services de psychiatrie sont soumis à une tension extrême, et leur personnel ressent comme une profonde souffrance de ne pas avoir les moyens de faire son travail – les amis que je compte dans ce secteur en témoignent fréquemment.
Concernant la psychiatrie en prison, je vous renvoie à l'avis que la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a rendu il y a à peine deux ans, dénonçant une situation éminemment problématique et un manque de soignants.
Voilà pour ce qui concerne la responsabilité pénale.
J'en viens à la question des drones, qui nous occupe de longue date : vous nous l'aviez « vendue » dans la loi de 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés, mais vous vous étiez pris un soufflet de la part du Conseil constitutionnel, qui avait largement censuré toutes vos dispositions. Voilà que vous revenez à la charge avec de nouvelles garanties censées prendre en considération les remarques du Conseil constitutionnel. Mieux que moi, l'association La Quadrature du Net a démontré, dans une longue publication, combien ces nouvelles dispositions étaient une fois encore inconstitutionnelles. Dans la loi « sécurité globale », vous proposiez que l'usage de drones fasse l'objet d'une information sur le site du ministère de l'intérieur, hormis lorsqu'une telle information n'était pas appropriée – dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, entre autres nombreux exemples. Le problème est réglé, puisqu'il n'est même plus prévu d'information sur le site du ministère ! On nous propose de nous communiquer le contingent de drones mis en circulation, mais sans préciser ni où, ni quand, ni comment, et sans fixer de limite. L'utilisation de ce type de moyens technologiques n'est ainsi soumise à aucune limitation de durée, pas plus qu'il n'est prévu d'appliquer un principe de subsidiarité – c'est-à-dire de se demander si les mêmes objectifs peuvent être atteints par d'autres moyens moins intrusifs que les drones. Dans bien des cas, pourtant, ces moyens existent.
S'agissant de l'atteinte à la vie privée dans le cadre des intrusions dans le domicile, la loi « sécurité globale » prévoyait que les images ne puissent pas être utilisées. Cette fois-ci, c'est possible si une infraction a été commise, mais seulement dans un délai de 48 heures et seulement pour transmettre les images au procureur. Vous me répondrez que c'est peut-être moins hypocrite que ce que racontait la loi « sécurité globale », mais cela ne fait toujours pas la maille d'un point de vue constitutionnel, la Constitution consacrant le droit à la vie privée.
S'agissant de la reconnaissance faciale, moi-même je me suis fait avoir. J'ai lu, en effet, dans le texte que les dispositifs de reconnaissance faciale étaient interdits sur les drones ; l'astuce, c'est que rien ne les interdit sur les ordinateurs, dans le centre de commandement qui reçoit les images des drones en question. Vous me répondrez que j'aurais dû y regarder de plus près. Voilà comment tout cela est pernicieux : on se donne bonne conscience en interdisant la reconnaissance faciale sur les drones mais pas sur les ordinateurs qui vont recevoir les images. Je trouve cela assez cocasse – je ne trouve pas un autre terme plus adéquat.
Notre opposition à l'utilisation des drones reste pleine et entière. En réalité, elle l'est s'agissant des dispositifs de captation d'images en général. AEF info vient de publier une interview de M. Guillaume Gormand, qui a fait une enquête scientifique à la suite d'une commande de la gendarmerie nationale et dont le rapport vient de paraître. Sur les 1 939 cas qu'il a étudiés, dans la métropole grenobloise, en lien avec les gendarmes, seuls 22 ont été élucidés grâce à la vidéosurveillance, soit 1,1 %. Ceux qui s'intéressent à cette question connaissaient ce chiffre qui avait déjà été donné dans de précédentes publications scientifiques. Celles-ci indiquent toutes, les unes après les autres, que l'efficacité concrète et objective de la vidéosurveillance est extrêmement faible au regard de ce que sont en mesure de faire des êtres humains, des enquêteurs en chair et en os qui font des enquêtes de voisinage, c'est-à-dire leur travail d'enquêteurs de la police judiciaire. Oui, en la matière, il vaut mieux préférer les êtres humains, car ils sont plus efficaces et plus compétents.
Nous sommes pareillement opposés à la vidéosurveillance dans les locaux de garde à vue. Déjà en première lecture, nous avions décortiqué les raisons pour lesquelles ce dispositif ne servait à rien : il est décidé par l'établissement et non déployé à la demande du gardé à vue, pour une durée assez limitée, reconductible uniquement avec l'autorisation du procureur, et sans qu'on puisse utiliser le son. Bref, on se demande bien à quoi sert tout cela, surtout quand on voit les dégradations qui sont faites dans les locaux en question. Serait-ce uniquement pour se rassurer, sachant que le fait de prévenir les éventuelles violences policières sur les gardés à vue ne fait même pas partie des objectifs du dispositif ?
J'en viens maintenant à l'histoire de l'amende forfaitaire pour vol à l'étalage. On nous dit que si un vol à l'étalage est commis pour un préjudice de moins de 300 euros, on peut dresser une amende forfaitaire de 300 euros. Or qui sont ces gens qui commettent des vols à l'étalage d'une valeur de moins de 300 euros ? C'est une délinquance de misère, de survie. Jusqu'à présent, ils étaient présentés à un magistrat, un juge qui pouvait faire la part des choses et éviter de décider des peines qui seraient venues aggraver la situation de ces individus. En effet, s'ils volent à l'étalage, je doute qu'ils aient les moyens de payer ces 300 euros – si ce n'est en commettant d'autres infractions. Encore une fois, vous présentez de fausses bonnes idées qui visent à pénaliser davantage de personnes.
Finalement, la seule chose que vous avez su faire pendant le quinquennat et que vous continuez à faire, c'est l'augmentation de l'échelle des peines, alors même qu'on n'en a jamais démontré l'utilité pour faire diminuer les infractions. C'est même le contraire, puisqu'il a été démontré à de multiples reprises que cela n'avait pas d'impact. Vous promettez par exemple d'augmenter l'échelle des peines sur le refus d'obtempérer, en disant « nous protégeons ceux qui nous protègent ». Mais vous ne les protégez de rien du tout…