Issu de la commission mixte paritaire, ce texte a été déposé pour donner suite à un évènement particulier. Or nous ne partageons pas l'idée selon laquelle l'écriture de la loi doit se faire en réaction à des évènements particuliers, aussi dramatiques soient-ils. D'une part, une telle manière de faire la loi contribue à en affaiblir la qualité, car l'efficacité des mesures proposées est bien souvent limitée, d'autre part, il en résulte souvent un renforcement de l'arsenal législatif conduisant à un recul des libertés, sur lequel il est très difficile de revenir par la suite.
Ainsi, les mesures visant à réformer l'irresponsabilité pénale ne nous ont pas entièrement convaincus. Le meurtre de Sarah Halimi est un crime odieux, qui a ému à juste titre l'opinion publique française et internationale. Mais nous voyons mal en quoi les mesures proposées pourraient permettre d'éviter qu'un tel crime se reproduise. Le rapport de MM. Houillon et Raimbourg, commandé par le Gouvernement, avait d'ailleurs explicitement recommandé de ne pas toucher à la loi.
Concernant l'article 1er , le Conseil d'État avait souligné que : « L'exception introduite par le projet de loi, qui entend répondre à l'émotion suscitée dans l'opinion par des faits divers tragiques, a une portée plus que limitée, la réunion des conditions de l'exclusion de l'irresponsabilité pénale paraissant très théorique […]. »
Concernant l'article 2, nous nous inquiétons qu'il conduise à mettre en prison des personnes ayant des troubles mentaux lourds, alors que celles-ci doivent suivre des soins. En effet, cet article prévoit dans sa version finale de condamner à des peines allant jusqu'à dix ans de prison des personnes ayant été déclarées irresponsables pénalement du crime pour lequel elles sont poursuivies. À l'inverse, le suivi des personnes atteintes de troubles psychiatriques lourds n'est pas abordé, ni la problématique des moyens humains et matériels des services psychiatriques spécialisés. Plusieurs affaires récentes ont pourtant témoigné du manque de suivi par des structures spécialisées des individus potentiellement dangereux du fait de troubles mentaux. Ainsi, une fois de plus, ce texte se concentre sur la répression a posteriori plutôt que de s'attaquer aux problèmes en amont, ce qui serait plus efficace pour éviter que de tels drames ne surgissent.
Par ailleurs, le texte réintroduit des mesures issues de la loi « sécurité globale » en matière de dispositifs de captation vidéo, censurées par le Conseil constitutionnel pour atteinte au droit à la vie privée. Ces dispositions ont été partiellement réécrites et ont bénéficié de garanties supplémentaires bienvenues, apportées par les sénateurs dans la version finale du texte, notamment la réduction des délais de conservation des images.
Toutefois, plusieurs remarques formulées par des membres de notre groupe lors de la saisine du Conseil constitutionnel demeurent d'actualité. Ainsi, l'article 8 énumère des motifs bien trop larges pour justifier le recours aux drones à des fins de surveillance. Dès lors, les drones risquent de devenir pratique courante sur l'ensemble du territoire. Nous nous opposons à cette généralisation.
Il aurait au moins fallu, comme nous le demandions, que l'interdiction de collecter des images des domiciles soit complétée par une extension aux images des immeubles et de tous les lieux privatifs afin de limiter l'atteinte au droit à la vie privée. Par ailleurs, l'intérieur des domiciles pourra en pratique être filmé puisque, bien que le texte prévoie que l'enregistrement sera interrompu en cas de visualisation de domicile, cette mesure sera le plus souvent inapplicable pour des raisons techniques.
Nous avons aussi des inquiétudes au sujet de la réserve opérationnelle de la police nationale, notamment sur le port d'armes pour les réservistes. Les conditions de recrutement et de formation ne sont pas détaillées dans la loi, mais renvoyées à un décret, alors que le port d'armes nécessite à l'évidence une formation adéquate et approfondie.
Enfin, sur la question des nouvelles infractions envers les forces de sécurité, nous reconnaissons la difficulté de la tâche et partageons la position du Conseil d'État : il y déjà dans le code pénal de très nombreuses incriminations spécifiques relatives aux violences contre les forces de sécurité, et toutes ces dispositions manquent d'articulation entre elles et de lisibilité. Dès lors, pourquoi jouer la surenchère en en ajoutant encore de nouvelles ?
En définitive, ce texte contribue, avec d'autres textes sécuritaires votés depuis le début de la législature, à restreindre la liberté des citoyens pour une efficacité qui laisse à désirer. Vous l'aurez compris, nous avons à l'égard de ce texte des réserves nombreuses et sérieuses.