Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du lundi 13 décembre 2021 à 21h30
Régulation environnementale du numérique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Les internautes oublient souvent que, derrière leurs échanges numériques, que nous pensons tous dématérialisés, se cache un monde fait de terminaux, de serveurs, de bâtiments climatisés, de câbles et autres relais, à l'impact environnemental bien réel. Le secteur du numérique est, d'ailleurs, déjà responsable de 2 % des émissions de gaz à effet de serre en France, et de 3 % à 4 % dans le monde, soit, semble-t-il, une fois et demie de plus que le transport aérien. Dans ce secteur, les premiers responsables de la pollution du secteur sont les téléphones portables, les ordinateurs, les téléviseurs, les consoles de jeux et autres enceintes connectées, dont la fabrication représente, à elle seule, 81 % de ses émissions. Quoique moins importante, la pollution des centres informatiques d'hébergement des données, les fameux data centers, pèse néanmoins à hauteur de 14 % des émissions en France.

Ces externalités environnementales déjà importantes sont amenées à croître dans les années à venir avec le développement de nouveaux usages, car la 5G, les objets connectés ou la block chain sont certes porteurs d'innovations techniques, mais également vecteurs de surconsommation énergétique : c'est le fameux effet rebond, qui inquiète de nombreux scientifiques et acteurs engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Ainsi, à l'heure où de nombreuses personnes font rimer numérique avec lutte contre le dérèglement climatique, il convient d'appeler à la prudence. Certaines innovations recèlent, il est vrai, un potentiel de gain environnemental, mais d'autres n'en ont structurellement pas la capacité. Dans ce contexte, il n'est justifié ni d'avoir une attitude de rejet généralisé ni de faire montre d'une foi aveugle à l'égard de la technologie. Nous devons être en mesure d'identifier les conditions dans lesquelles il est pertinent de déployer une solution numérique, afin de construire un système résilient et soutenable. Pour cela, il est nécessaire de mesurer l'impact environnemental du numérique à l'aide d'outils pertinents.

C'est tout l'objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, qui reprend des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel de la loi « climat et résilience ». L'article 16 confiait ainsi à l'ARCEP, d'une part, la faculté de recueillir certains documents ou informations relatifs à l'empreinte environnementale du numérique et, d'autre part, le pouvoir de préciser les règles relatives aux contenus et aux modalités de mise à disposition d'informations relatives à cette empreinte. Il va sans dire que ce sont là des dispositions de bon sens, qui ambitionnent d'armer pleinement l'ARCEP dans la mise en place d'une régulation environnementale du numérique, et de poser les bases d'un meilleur encadrement de ses effets pervers. Cela est, en outre, indispensable pour rendre effectives les dispositions de la loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique, adoptée définitivement le 15 novembre dernier.

Un bémol cependant : espérons que l'ARCEP s'acquitte mieux de sa mission de régulation environnementale qu'elle ne le fait de la régulation, notamment territoriale, du numérique.

Pour utile qu'elle soit, reconnaissons que la proposition de loi a une ambition restreinte. N'oublions pas non plus les insuffisances de notre politique en matière de lutte contre la pollution du secteur numérique : les fréquences de la 5G ont été attribuées sans étude d'impact environnemental préalable ; la loi « climat et résilience » ne fait qu'évoquer la transition du numérique ; quant à la feuille de route présentée par le Gouvernement, elle n'apporte pas de garanties suffisantes en matière de réduction de l'impact climatique du secteur, comme l'a d'ailleurs relevé le Haut Conseil pour le climat. En fait, il a fallu attendre que le Sénat se saisisse de la question par l'intermédiaire d'une proposition de loi pour que cet enjeu soit inscrit à l'ordre du jour et que certaines mesures soient prises.

À nos yeux, la loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique et la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, qui est son nécessaire corollaire, ne sont qu'une première étape. Nous sommes convaincus qu'il nous faut pousser la logique beaucoup plus loin, pour lutter plus efficacement contre l'obsolescence programmée, limiter la production et la fabrication de nouveaux terminaux, et repenser globalement notre rapport à l'innovation sous le prisme de son impact environnemental.

En attendant mieux, notre groupe Libertés et territoires soutiendra la proposition de loi.

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