Les scientifiques du GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, l'ont rappelé le 9 août dernier en rendant la première partie de leur sixième rapport : l'ampleur des changements récents est « sans précédent », notamment pour l'augmentation du niveau de la mer, de nombreux changements sont irréversibles et le seuil de + 1,5 degré Celsius sera atteint avant 2040.
Malgré ces constats anciens, nombreux et répétés, les engagements des États lors de la COP26, la conférence de l'ONU sur le climat qui s'est tenue à Glasgow le mois dernier, sont insuffisants. Ils nous mènent vers un monde à + 2,4 degrés Celsius, à condition que ces engagements soient respectés : on est bien loin du chiffre de + 1,5 degré prévu par l'accord de Paris. Or, pour chaque demi-degré supplémentaire, il y aura, d'après le rapport, des augmentations rapidement perceptibles de l'intensité et de la fréquence des vagues de chaleur, des fortes précipitations et des sécheresses dans certaines régions.
Il est donc urgent de prendre des mesures fortes et contraignantes pour limiter le réchauffement climatique, et cela concerne aussi le numérique. En 2019, ce secteur représentait 2 % des émissions de gaz à effet de serre en France. En 2040, il pourrait atteindre 6,7 %, soit, à politique constante, une croissance de 60 %. Rappelons-le : la dématérialisation opérée par le numérique est un leurre, car il nécessite de grandes quantités de matériaux pour fabriquer les terminaux, dont la tendance n'est pas à la réduction puisque les mises sur le marché ont augmenté de 48,5 % entre 2017 et 2020. Or, 70 % de l'empreinte carbone est due à la production des terminaux.
Par ailleurs, l'extraction de ces métaux génère des émissions de gaz à effet de serre et nécessite une grande quantité d'énergie. Elle contribue également à la pollution des ressources en eau à cause des produits utilisés et elle se déroule dans des conditions sociales désastreuses, voire inhumaines. C'est le cas de l'extraction du coltan, ce minerai dont on retrouve le métal dans tous les appareils numériques. Selon Amnesty International, 40 000 enfants esclaves travaillent ainsi dans des mines illégales en République démocratique du Congo, généralement gérées par des milices armées qui financent leurs actions militaires en vendant ce minerai.
C'est pourquoi, en permettant de renforcer la possibilité, pour l'ARCEP, de collecter des données sur l'empreinte environnementale du numérique, la proposition de loi va plutôt dans le bon sens. Elle complète une première proposition législative qui visait à réduire l'empreinte environnementale du numérique, discutée en juin 2021 et promulguée depuis lors.
Si le groupe FI soutient ces deux textes, nous regrettons néanmoins leur manque d'ambition – à l'image du reste de la politique du Gouvernement. De fait, ils ne permettront pas de réduire significativement l'empreinte environnementale de ce secteur, qui est pourtant élevée. C'est d'autant plus vrai que le Gouvernement a amoindri la portée de la première proposition de loi en décidant d'assujettir les appareils reconditionnés à la redevance sur la copie privée. Cette mesure n'était pas prévue dans la version initiale et des organisations non gouvernementales, dont Rcube.org, Commown, Les Amis de la Terre ou Halte à l'obsolescence programmée, se sont d'ailleurs mobilisées devant le Sénat, le 20 octobre 2021, pour « dénoncer le désastre qu'est devenue la loi numérique après son passage dans les mains de LREM », d'après les mots d'Alma Dufour, de l'association Les Amis de la Terre.
Appliquer cette redevance au reconditionné pénalise le secteur, alors qu'il contribue précisément à réduire l'impact environnemental du numérique. De plus, le coût de cette redevance supportée par les consommateurs et consommatrices pourrait les conduire à préférer le neuf au reconditionné, puisque le prix des produits reconditionnés augmentera. Enfin, le secteur du reconditionné crée également des emplois non-délocalisables, dont nous avons grandement besoin.
Il est nécessaire de mettre en place des mesures contraignantes pour développer la réparation et le réemploi des terminaux, et lutter contre l'obsolescence programmée. Il faut abolir l'obsolescence programmée, allonger les durées de garantie légale des produits et généraliser au plus vite leur indice de durabilité, la possibilité de les réparer et l'allongement de leur durée de vie. Il faut aussi créer un service public de la réparation et du réemploi, avec la mise en place de formations pour certains métiers, comme l'électricité, l'électronique, le bâtiment et le textile. Il faut également rendre obligatoire l'écoconception des produits afin de limiter l'utilisation de ressources non renouvelables. Il faut encore rendre obligatoire la disponibilité des pièces de rechange et empêcher la mise sur le marché de celles qui auraient un score de durabilité insuffisant. Il faut, enfin, instaurer un protectionnisme écologique et solidaire incluant la mise en place de droits de douane sur des critères écologiques et sociaux. Voilà quelques-unes des conditions qu'il est, selon nous, nécessaire de mettre en œuvre pour engager l'urgente bifurcation écologiste et solidaire de l'ensemble de notre système de production, d'échanges et de consommation qui permettra de faire face au changement climatique et de rendre nos sociétés plus résilientes. Tel est le programme que nous appliquerons en 2022.