Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du lundi 13 décembre 2021 à 21h30
Accès au foncier agricole — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Un vieux paysan, militant socialiste du territoire dont je suis aujourd'hui député, disait que lorsqu'il n'y aurait plus que deux concurrents en Europe pour posséder le foncier, pour les libéraux il y en aurait encore un de trop. C'est face à cet appât du gain et à cette tentation de l'accaparement que, depuis des décennies – ou depuis la nuit des temps –, ceux qui ont choisi le partage de la terre et des ressources s'organisent et instaurent des mesures de contrôle dont nous observons partout sur la planète qu'elles contribuent in fine à la prospérité – celle des sols, mais aussi celle des sociétés. Le partage est la clé de la prospérité et, comme dans une parabole, on peut voir la terre comme l'ensemble des ressources dont nous disposons encore.

Sur la question du foncier, je me suis engagé en 2013 à partir des réalités observées sur le terrain. En 2014, j'ai pris part à l'élaboration de la première proposition de loi sur le sujet : la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt ; en 2016, ce fut la loi Sapin 2 ; en 2018, une mission d'information. Enfin, en 2019, j'ai moi-même déposé une proposition de loi et organisé de nombreux colloques et réunions rassemblant des centaines de personnes et dix-huit organisations. Je me suis ainsi efforcé, non seulement de sensibiliser de l'Assemblée nationale à une question encore assez étrangère à ses débats, mais aussi de rassembler, sur un arc politique très large, tous ceux qui pouvaient partager nos idées et nos objectifs.

Vous imaginez donc quelle amertume j'ai pu ressentir lorsque ce travail de proposition, de construction et de coalition s'est heurté d'abord au silence des différents ministres de l'agriculture, puis quand j'ai constaté que la proposition de loi se construisait en échappant au débat collectif que je m'étais employé à instaurer. Aujourd'hui, il nous faut dépasser ce sentiment de désolation – que je ne suis pas le seul à éprouver – et regarder les choses très simplement en nous demandant si ce texte relève les défis qui requièrent toute notre attention depuis huit ans.

Non, cette proposition de loi ne répond pas à la question des investissements étrangers en France, ni à celle de la part des sociétés françaises dans l'accaparement des terres dans le monde, qui contribue à répandre la violence et la misère dénoncées par l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

Répond-elle à l'accaparement par l'usage résultant de l'agriculture déléguée dans des formes totalement démesurées ? Non, parce qu'elle a laissé de côté, ou abordé en des termes trop timorés, la définition de ce qu'est un actif agricole – autrement dit, de ce qu'est un paysan.

Enfin, répond-elle à l'enjeu du phénomène sociétaire que nous avons dénoncé ici même durant des années en livrant une véritable bataille culturelle et en formulant plusieurs propositions législatives ? Malheureusement non. C'était la seule ambition de ce texte mais, au-delà des postures, des fictions et des affirmations autoréalisatrices, nos analyses juridiques, partagées par de nombreux experts, montrent qu'elle est loin de répondre à cette attente. J'ai déjà eu l'occasion de le dire : si le contournement de la loi par le phénomène sociétaire était un chemin de traverse, nous sommes en train d'en faire une autoroute !

En effet, le mécanisme de compensations et de négociations, fondé sur un système qui passe du critère à l'arbitraire, comme l'ont dit de grands juristes, mettrait l'ensemble des requérants au même niveau, faisant fi de toutes les règles républicaines et ouvrant la voie à toutes les affaires, tous les contentieux. On risque donc de voir s'accélérer le phénomène que nous entendions dénoncer, c'est en tout cas ce que disent tous les experts et les observateurs sur le terrain.

Je terminerai en dénonçant une forme d'hypocrisie. Lorsque j'ai interrogé les membres de la profession – je pense notamment aux plus militants d'entre eux quant à la régulation du marché foncier et aux politiques d'installation –, ils m'ont dit que le Gouvernement répugnait à aller plus loin ; mais lorsque j'ai interrogé le Gouvernement – vous-même, monsieur le ministre –, il m'a été répondu, chaque fois, que la profession ne voulait pas aller plus loin. S'il est impossible de démêler le vrai du faux, je sais en tout cas que nous avons raté quelque chose en termes de démocratie, de transparence et de vérité dans nos débats au sein de cette assemblée.

Pour ma part, je resterai fidèle à nos valeurs, fidèle à un territoire, fidèle à une histoire – toutes ces choses sans lesquelles ceux qui m'entourent, ceux qui ont pris leur part dans la grande histoire de l'agriculture ne seraient pas paysans aujourd'hui. Avec le groupe SOC, je reste du côté des partageux, dans l'attente d'une grande loi foncière, et je dénonce l'hypocrisie du présent texte. Il y a pire que de ne pas faire, c'est de faire semblant de faire.

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