Intervention de Jérôme Nury

Séance en hémicycle du lundi 13 décembre 2021 à 21h30
Accès au foncier agricole — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Nury :

Voici l'aboutissement d'une proposition de loi qui, tant par le fond que par la forme, constitue l'exemple même de ce que nous aurions dû faire durant cinq ans. Conçu, négocié, amendé et voté de manière transpartisane, ce texte est le produit d'une synthèse entre les courants politiques de l'hémicycle, entre l'Assemblée et le Sénat, entre le Parlement et les organisations professionnelles agricoles, bref d'une coconstruction de la loi dans un esprit de coopération qui aurait dû guider notre action et celle de la majorité, lors de l'examen de chacun des textes inscrits à l'ordre du jour depuis 2017. Ce fut loin d'être le cas.

Si, cette fois, nous sommes parvenus à une telle réussite, c'est avant tout grâce à la volonté des principaux acteurs. À force de patience, d'humilité, d'opiniâtreté, le rapporteur a su convaincre un certain nombre d'entre nous de travailler avec lui, sans sectarisme, jusqu'au consensus. Le ministre a laissé au Parlement le soin de légiférer, s'attachant à le conseiller et à aborder avec tact les mesures disruptives. J'ajoute que, pour tous ceux qui s'intéressent à l'agriculture, ce texte répond à une nécessité de plus en plus prégnante : il était temps de réguler et d'encadrer l'un des trois modes d'accession au foncier agricole, mode dont l'utilisation, jusque-là marginale, s'est développée en quelques années.

Le phénomène déviant du marché sociétaire n'est pas nouveau ; en revanche, sa comptabilisation depuis 2016 a permis d'en étudier les pratiques. C'est ainsi que 20 % des cessions notifiées aux SAFER du nord de la France – ce qui, par exemple, en Normandie et pour l'année 2019, représente plus de 6 700 hectares – ont profité en toute opacité à quelques bénéficiaires dont au moins la moitié exploitent plus de 240 hectares, alors que, dans le même temps, des agriculteurs tentent en vain de s'installer, ou de développer des exploitations de taille bien inférieure. La liberté d'entreprendre, oui, mais à armes égales : ce n'était pas le cas jusqu'à présent en raison de ces cessions de parts, que certains étaient prêts à acquérir pour des sommes exorbitantes.

Il faut donc saluer les avancées de ce texte plutôt que de se lamenter qu'il ne soit pas le Grand Soir du foncier agricole, comme le font ceux qui n'ont jamais eu le courage de le mettre en route. La rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire a d'abord le mérite de déterminer les objectifs du dispositif, que nous ne pouvons tous que partager : favoriser l'installation d'agriculteurs, notamment de jeunes, la consolidation des exploitations, ainsi que le renouvellement des générations, en luttant contre la concentration excessive par des sociétés. Le déclenchement du processus d'autorisation paraît également clair et précis : il s'appuie sur le préfet de région qui fixe le seuil, en nombre d'hectares, à partir duquel le préfet de département autorise ou non la prise de contrôle de la société. En s'appuyant pour le calcul sur le préfet de région et pour l'autorisation sur le préfet de département, dont le rôle est renforcé, le texte permet une approche territorialisée, gage de pragmatisme et de prise en compte des spécificités et des réalités du terrain.

Il convient également de souligner l'exemption d'autorisation pour les cessions intrafamiliales jusqu'au quatrième degré inclus, que nous avions demandée avec insistance. Elle permettra de préserver le modèle familial à la française, dans lequel les générations en campagne se transmettent techniques, passions et terres.

Le texte est également équilibré s'agissant du rôle des SAFER, qui pourront se voir confier la recherche et la réalisation de mesures compensatoires si les parties y consentent, mais qui ne pourront intervenir, pendant une année, sur les biens des sociétés dont elles auront instruit la demande d'autorisation.

On l'a bien vu tout au long de l'examen du texte et lors des auditions, qui ont suscité interpellations et contradictions de la part de la profession : la question du foncier agricole anime toujours la passion des agriculteurs. À l'heure où le recensement agricole de 2020 nous apprend que la France a perdu 100 000 exploitations agricoles en dix ans, tout en conservant une surface agricole nationale cultivée identique – ce qui traduit un agrandissement de 25 % de la surface moyenne des exploitations –, il faut plus que jamais préserver l'accès au foncier, notamment pour les jeunes. Le foncier constitue en effet l'outil de travail primaire des exploitants. Alors que le renouvellement des générations suscite de grandes inquiétudes – selon le dernier recensement agricole, deux tiers des exploitants ont plus de 50 ans –, il devient l'élément majeur d'une transmission réussie. Dans un contexte où l'attractivité du métier d'agriculteur est minée par des problématiques de rémunération et de charges, l'accès au foncier à des prix adaptés devient également un paramètre capital pour ceux qui aspirent à s'installer.

La présente proposition de loi est donc une avancée modeste mais intéressante au regard des défis immenses qui nous attendent et attendent les paysans.

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