Intervention de Huguette Bello

Séance en hémicycle du jeudi 18 janvier 2018 à 15h00
Indivision successorale et politique du logement outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Bello :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « foncier gelé », « fléau endémique de l'indivision », « paralysie du territoire » : les termes vont tous dans le même sens pour qualifier une situation commune aux outre-mer et qui ne cesse de s'aggraver. Les causes principales du phénomène sont connues : un contexte historique marqué par la colonisation, une tradition empreinte d'oralité, la création tardive du cadastre, le passage d'une société traditionnelle à une modernité porteuse de normes nouvelles et souvent plus contraignantes.

Selon l'AGORAH, l'agence d'urbanisme de La Réunion, plus de 5 000 hectares sont concernés par les indivisions successorales, dont 400 sont localisés au sein même des zones urbaines ou à urbaniser, les ZU et les ZAU des communes. Et il est évident que, loin d'arranger les choses, le temps aggravera les difficultés à mesure que s'accroîtra le nombre d'héritiers, donc de co-indivisaires. Entre la situation décrite en 1971 par Me Jean Mas dans la thèse de doctorat qu'il a consacrée à l'indivision à La Réunion et celle d'aujourd'hui, le problème s'est singulièrement compliqué. Ce qui laisse penser qu'en l'absence de mesures appropriées, le décalage entre notre réalité foncière et le droit commun risque d'aboutir à un point de rupture.

L'initiative de notre collègue Letchimy est donc particulièrement bienvenue. Le texte qu'il nous soumet répond à une très forte attente, puisqu'il doit permettre de débloquer des situations d'indivision devenues inextricables, voire conflictuelles, mais aussi de favoriser une nouvelle dynamique foncière.

Le dispositif proposé concilie la nécessité absolue de faciliter la sortie des indivisions et le respect fondamental du droit de propriété. D'une part, il permet aux héritiers, dès lors qu'ils représentent au moins la moitié des co-indivisaires, de recourir à un notaire pour procéder à la vente ou au partage amiable de leur bien, c'est-à-dire de déroger à la fois à la règle de l'unanimité et à celle de la majorité des deux tiers pour les procédures judiciaires. D'autre part, la loi devrait permettre aux indivisaires minoritaires de manifester leur opposition devant un notaire, l'autorisation de vente ou de partage relevant alors du juge qu'il reviendra à la majorité des indivisaires de saisir.

Ces propositions sont ambitieuses. Il y a d'ailleurs fort à parier que leur application reléguera au second plan la dérogation votée en 2014 concernant la vente des terres agricoles dans les outre-mer.

Le dispositif veille également à concilier la possibilité pour les indivisaires d'accéder à la pleine gestion de leur patrimoine et l'urgence d'offrir à nos concitoyens des lieux de vie où sont réunies les conditions de la sécurité sanitaire, publique et économique, ainsi que l'impose l'intérêt général.

Car comment mener une politique d'aménagement urbain efficiente lorsque les décisions se heurtent encore et encore à l'existence d'espaces urbains que le droit contribue à laisser de côté ? Même si elle est rarement mise en avant, l'indivision successorale est l'un des facteurs explicatifs de la crise persistante du logement dans les outre-mer et du blocage des opérations de lutte contre l'habitat indigne. De ce point de vue, il faut avoir à l'esprit le contexte de forte spéculation foncière et la nécessité d'imaginer dès à présent des garde-fous pour que l'offre de terrains supplémentaires serve bien l'intérêt général.

Ce texte aborde une question sensible à plus d'un titre. Rien ne serait pire que de prévoir des dérogations importantes, mais inapplicables à l'usage. C'est pourquoi les cas d'espèce méritent notre attention.

Ainsi, par exemple, la situation où il est devenu impossible d'attribuer à chaque co-indivisaire la part qui lui revient, ou celle où l'un d'entre eux a construit son habitation sur le terrain indivis. Dans ces deux cas, non seulement le versement de la soulte prévue par la législation est très souvent difficile, mais il est également presque impossible d'y renoncer, puisque cette décision déclenche le versement de droits de mutation à titre gratuit. Voilà pourquoi il paraît sage de ne pas attendre l'évaluation du dispositif au bout de dix ans et de prévoir d'ores et déjà dans le texte un dispositif de cantonnement légal dans les actes de partage.

Dans le même esprit, toujours pour faciliter les actes de partage, nous devrions nous inspirer de la solution corse et permettre l'exonération du droit de 2,5 % prévu à l'article 750 du code général des impôts.

Enfin, comment ne pas aborder le problème récurrent de la carence des titres de propriété, qui contribue également aux difficultés auxquelles se heurtent les politiques foncières ? Le groupement d'intérêt public dont la création a été votée en 2009 n'a jamais vu le jour et, contrairement à ce qui se passe aux Antilles, il n'existe à La Réunion ni agence des cinquante pas géométriques ni commission de validation des titres de propriété auxquelles la mission de titrement pourrait être confiée.

Parmi les multiples objectifs du texte figure assurément la volonté de créer un climat apaisé et confiant, le seul propice au règlement le plus juste des situations d'indivision. C'est pourquoi nous soutiendrons toutes les adaptations favorisant les actes de vente et de partage amiable, avant de voter naturellement pour cette proposition de loi.

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