Intervention de Jean-Philippe Nilor

Séance en hémicycle du jeudi 18 janvier 2018 à 15h00
Indivision successorale et politique du logement outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Nilor :

Je connais votre clémence et j'espère que ces trente secondes supplémentaires auront un effet multiplicateur.

La problématique de l'indivision se pose dans nos territoires insulaires, notamment en Martinique, avec une acuité extrême. C'est un enjeu crucial. Du fait de l'indivision, le blocage du foncier et du bâti pénalise toute politique visant à la résorption de l'habitat indigne, à l'amélioration ou à la revitalisation des quartiers et des centres bourgs, à l'aménagement du territoire, et même à la salubrité publique et à la protection de l'environnement. Comble d'ironie, nombre d'indivisaires se retrouvent souvent locataires, hébergés, parfois même SDF !

Cette situation, que l'on observe aussi dans nombre de régions métropolitaines est, outre-mer, la résultante spécifique d'une histoire douloureuse et prégnante. C'est l'histoire de l'accaparement du foncier par une minorité, histoire faite d'injustices et de spoliations, née de la colonisation et de l'esclavage. Il faut en avoir conscience.

Cette situation est aggravée par notre géographie. Nos territoires micro-insulaires sont par définition non extensibles : plus qu'ailleurs le foncier y est contraint. Il doit donc être optimisé et protégé.

Avec mes collègues du groupe GDR, avec l'ensemble des parlementaires d'outre-mer, avec le rapporteur, nous nous inscrivons aujourd'hui dans une démarche partenariale et solidaire, comme je l'ai rappelé à l'occasion de la visite récente du Premier ministre en Martinique. Cela démontre, premièrement, que le bon sens n'est l'exclusivité d'aucun parti politique, et deuxièmement, que l'indivision ne doit pas nous diviser !

Concrètement, quelle est la situation ? Aujourd'hui, s'ils veulent sortir de l'indivision successorale par le partage ou la vente à l'amiable, les indivisaires doivent tous être d'accord. C'est la règle de l'unanimité. Néanmoins, des dérogations à la règle de l'unanimité existent déjà au sein du code civil, mais sous condition d'obtenir l'autorisation du juge. En cas de mise en péril de l'intérêt commun, par exemple – article 815-5 – , un indivisaire peut agir seul, ou encore en cas de possibilité de vente à la majorité des deux tiers mais sur licitation, c'est-à-dire vente aux enchères – article 815-5-1. Mais de telles dispositions assouplissant l'obligation de l'unanimité pour sortir de l'indivision demeurent insuffisantes, inadaptées et insuffisamment appliquées. Il est difficile, en effet, d'ester en justice contre sa propre famille pour voir, en définitive, la maison familiale vendue aux enchères.

L'option d'une simple réécriture de l'article 815-5-1 n'a pas été retenue. D'où l'importance, si une loi spécifique est adoptée, de l'adapter afin qu'elle colle au mieux à nos réalités. C'est une condition sine qua non.

Si je partage la philosophie de cette proposition de loi – abaissement de la majorité à plus de 50 %, absence de nécessité de saisine du juge – , je n'ignore pas pour autant le risque d'inconstitutionnalité et surtout le risque d'inapplicabilité concrète. De surcroît, la dimension financière, qui est tout autant que la règle de l'unanimité un facteur de blocage, à travers le paiement de soultes, de droits d'enregistrement, etc. , n'a ici absolument pas été prise en considération, au contraire de Mayotte et de la Corse. Pourquoi ? Le risque, en l'état, est de nous évertuer à faire de la prose théorique ou rhétorique, en clair une opération de « com' », sans qu'en pratique nos territoires ne récoltent les fruits tant espérés de cette proposition de loi.

Enfin, puisqu'il s'agit d'une loi expérimentale pour une durée de dix ans, un outil d'évaluation permettant d'en faire le bilan et de faire évoluer le texte paraît indispensable. C'est pourquoi nous proposons, quant à nous, un observatoire, sur le modèle du groupement d'intérêt public pour la reconstitution des titres, sur lequel j'avais déjà interpellé le Gouvernement en 2014.

Nous sommes donc porteurs d'une série d'amendements visant, d'une part, à sécuriser la mise en oeuvre de ce texte, d'autre part, à mieux garantir son efficacité. Réduire le risque en augmentant l'efficacité de la loi : que demander de mieux ?

Pour sécuriser la mise en oeuvre de la loi, il est d'abord important de mettre en cohérence et mieux harmoniser la loi avec les autres dispositions du code civil. Je pense notamment à la question des délais – cinq ans ou dix ans – , en particulier pour l'option successorale et pour la possession d'état. Je pense aussi à l'harmonisation des règles de la majorité, notamment pour les actes simples d'administration.

Nous devons aussi nous préoccuper de mieux assurer le respect des droits des autres indivisaires. Si la présence de nombreux indivisaires géographiquement éloignés a été pointée dans l'exposé des motifs comme l'une des causes de blocage, leur prise en compte mérite d'être mieux déclinée expressément au-delà de la notification ou de la publication.

Ce respect des indivisaires passe aussi par le recours à de véritables experts immobiliers, seuls habilités à fixer la valeur du bien, question sensible qui peut être à l'origine de controverses.

Il faut aussi pallier le silence de la loi. Si le texte semble clair s'agissant du partage, il est lacunaire s'agissant de la vente : rien n'a été précisé quant au critère de répartition du prix et aux conséquences de l'opposition des indivisaires.

Par ailleurs, pour assurer l'efficacité de la loi et espérer une sortie effective de l'indivision, il convient de mieux appréhender son champ d'application. Dans sa rédaction actuelle, le texte pourrait s'avérer difficilement applicable par les professionnels dans le cas où un indivisaire détiendrait seul plus de 50 % des droits indivis, ou encore dans celui ou un majeur protégé figurerait parmi les indivisaires.

Il convient aussi d'éviter les risques de blocage en cas d'opposition. En cas d'opposition à la vente, en application du texte proposé, le processus est purement et simplement anéanti. Or, la majorité étant abaissée à 50 %, le risque d'opposition est d'autant plus grand et le texte se retrouverait alors vidé de toute substance.

Il faut aussi introduire des dispositions financières : c'est indispensable. C'est là que se trouve l'autre véritable noeud du problème de l'indivision. La Corse comme Mayotte bénéficient d'un certain nombre de mesures fiscales dont on peut s'inspirer. Certains de nos amendements vont dans ce sens.

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