Sur les moyens de surveillance dans l'espace, je voudrais apporter une précision d'ordre technique : pour observer et surveiller les orbites basses, le seul moyen est un radar. Pour surveiller les orbites MEO (Medium Earth Orbit) – où se trouvent les constellations de GPS et de Galileo – et l'orbite géostationnaire, la seule solution actuellement est d'utiliser des télescopes. Space Fence est surtout un système radar, il ne surveille pas les orbites géostationnaires. Toutes nations confondues, nous sommes obligés d'utiliser en même temps des moyens optiques et radar.
S'agissant des orbites supérieures, nous utilisons actuellement des télescopes du CNRS via le CNES : il s'agit du réseau TAROT (Télescopes à Action Rapide pour les Objets Transitoires). Nous avons complété cette surveillance à titre exploratoire avec les télescopes GEOTracker d'ArianeGroup. Ces télescopes sont dispersés tout autour de la terre et permettent d'avoir une surveillance sur la presque totalité des orbites géostationnaires. Néanmoins, il est évident qu'il faudra développer ce système.
Au-delà de ces systèmes radar ou optiques, la capacité d'analyse est fondamentale. Nous avons la chance en France d'avoir le CNES, qui a une vraie compétence d'analyse en ce domaine. ArianeGroup a aussi cette compétence, mais le véritable opérateur en France est le CNES. Sans capacité d'analyse, vous aurez beau avoir des moyens d'observation, vous ne serez pas capables de surveiller de façon efficace.
La rénovation de GRAVES est déjà engagée. Elle est remboursée par des crédits de l'Union européenne sur l'initiative EUSST. Elle sera effective, en théorie, pour une livraison autour de 2021-2022.
Je confirme que GRAVES est un système essentiel, non seulement en termes de surveillance, mais aussi pour le positionnement de la France dans le concert mondial dans la mesure où, à l'exception de nos alliés américains, nous sommes pratiquement les seuls à disposer d'un système analogue. Les réseaux de nos partenaires européens ne sont pas capables d'alimenter un catalogue de surveillance du même niveau.
Au-delà, la ministre a répété aux Mureaux qu'elle était attentive au domaine de la surveillance de l'espace pour la protection de nos moyens et la souveraineté de notre action. Il est évident que nous sommes dans une phase d'études et de concertation avec nos partenaires pour développer un système en coopération, en particulier avec les Allemands, dans le domaine de la surveillance pour les orbites basses. Pour les orbites géostationnaires, la collaboration est plus facile car la technologie des télescopes est beaucoup plus accessible.
S'agissant du X-37, sa véritable mission est assez délicate à interpréter. On peut supputer beaucoup de choses, au-delà des expérimentations menées dans le cadre de ce que l'on appelle le service en orbite, qui permettra de réparer, réalimenter ou consolider des satellites dans l'espace, et donc d'améliorer leur durée de vie et leur intégrité. Je m'abstiendrai de désigner une nation en particulier ; disons que le X-37, comme d'autres, est certainement en mesure d'agir au-delà du seul domaine du service en orbite… C'est mon interprétation personnelle, assez partagée. Mais la mission première est du service, dans un premier temps.
Mon commandement n'est pas chargé du développement de l'alerte avancée. Des études sont prévues dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire pour la poursuite des travaux dans ce domaine. Ce qui ne veut pas dire que le CIE ne s'y intéresse pas : ainsi que la ministre l'a répété dans son discours, au-delà des menaces qui pèsent sur nos moyens, il est important de pouvoir détecter, identifier et caractériser, c'est-à-dire attribuer, une action contre nos propres moyens. Si d'aventure un missile antisatellite était tiré, il est évidemment important pour nous de savoir qui l'a tiré : c'est le premier intérêt pour moi de l'alerte avancée.
Néanmoins, si les nations responsables s'entendent sur le fait que tirer un missile est faisable, cela crée autant de risques pour leurs propres moyens, donc de dommages potentiels. Il est donc fort peu probable que l'on utilise des missiles antisatellites. Cela étant, en raison du risque de prolifération et d'apparition d'un certain nombre de nations non responsables, il faut se garder de toute conclusion hâtive dans ce domaine. Quand un missile est tiré par une nation proliférante et qu'il parcourt plusieurs milliers de kilomètres, il traverse forcément un certain nombre de couches de satellites ; il est donc permis de s'interroger sur l'usage qui peut en être fait.
On a l'habitude de dire qu'avec le GPS, on sait dans quelle rue on est, avec Galileo, on sait sur quel trottoir… C'est dire la différence de précision entre l'un et l'autre systèmes. Les Américains s'affichent beaucoup dans la presse pour exprimer leur dépendance vis-à-vis du GPS, dont l'utilisation n'est pas que militaire : j'ai évoqué les échanges boursiers, c'est aussi une notion fondamentale. Les Américains « robustifient » l'ensemble de leurs moyens pour éviter de se faire brouiller le signal et parer les actions de brouillage ; parallèlement, ils développent des systèmes résilients : c'est la raison pour laquelle ils sont intéressés par une coopération sur Galileo. Ils viennent pour accéder à des informations de Galileo, de la même façon que nous avons accès au réseau GPS : c'est une forme de résilience, non de mutuelle dépendance, mais de coopération pour consolider nos systèmes. La menace la plus probable étant le brouillage, la parade passe plutôt par la robustification des moyens de réception.
Pour répondre à l'interrogation de M. Chassaigne sur Ariane 6, je me retrancherai derrière le communiqué de presse de trois ministres qui ont réaffirmé leur confiance dans l'avenir de cette filière. Il est essentiel pour nous d'avoir un mode de lancement consolidé et souverain en Europe, à divers titres. Évidemment, nous sommes sensibles aux considérations de coût et nous regardons attentivement ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique ; mais si SpaceX paraît actuellement bien meilleur marché qu'Ariane, je remarque que des nations qui ont commandé des tirs et des mises en orbite attendent toujours d'avoir accès au lancement… Avec Ariane, nous sommes assurés d'avoir un accès consolidé et robuste. Il faut aussi se méfier : les vrais éléments de coût ne sont pas ceux qui sont affichés. Les coûts de développement et les prix payés par l'US Air Force pour lancer ses propres satellites sont sans commune mesure avec les tarifs proposés dans le domaine commercial.
Je suis donc attentif aux éléments de coût et à la capacité souveraine de la France pour disposer de moyens de mise en orbite ; autant dire que je m'intéresse de très près aux efforts engagés en faveur d'Ariane 6. Je me félicite en particulier des accords sur les lanceurs et les moteurs qui ont été signés lors de notre visite aux Mureaux, et je suis confiant sur l'avenir du moteur Prometheus.