La séance est ouverte à neuf heures trente.
Chers collègues, nous avons le plaisir, pour notre dernière audition de l'année, de recevoir le général Jean-Pascal Breton, commandant interarmées de l'espace. Ce commandement est stratégique, technologique et militaire. L'espace constituera l'un des enjeux et l'une des priorités de la future loi de programmation militaire (LPM).
Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer pour la première fois devant votre commission. Le 17 mai 2016, vous aviez entendu mon prédécesseur, le général Jean-Daniel Testé.
L'espace est aujourd'hui un facteur structurant de la puissance, mais il est aussi présent dans notre quotidien : il est statistiquement établi que nous avons recours, en moyenne, à quarante-sept satellites par jour pour naviguer sur internet, téléphoner ou nous servir d'un GPS… Paradoxalement, ce service est si massivement utilisé qu'il en devient méconnu, dans la mesure où personne ne saurait mesurer sa véritable dépendance aux satellites.
L'espace est aussi un symbole de puissance pour une nation : il atteste de son niveau scientifique, technique, industriel et financier. Nous ne pouvons que nous féliciter que la France se soit constitué une véritable puissance dans le domaine spatial. Pour donner une idée de notre place, il suffit de rappeler que, sur la douzaine de satellites de grande taille lancés chaque année dans le monde, les deux tiers ont été construits par Airbus ou Thales.
L'espace est aussi un formidable outil de coopération. La coopération internationale est en effet une nécessité pour rendre les coûts abordables, pour augmenter la résilience de nos capacités et pour assurer la capacité de nos industries dans un marché concurrentiel en évolution rapide du fait de l'arrivée de nouveaux acteurs déterminés. La coopération spatiale militaire vise aussi à appuyer les engagements opérationnels des armées. Cette coopération s'appuie sur le principe de l'échange d'informations ou de capacités, tout en préservant les ambitions de maintien de souveraineté nationale. Ce principe est partagé avec nos partenaires en Europe et outre-Atlantique, avec lesquels les coopérations sont globalement équilibrées.
Face aux enjeux croissants des questions spatiales, nous avons besoin d'une gouvernance renforcée. C'est la raison pour laquelle le commandement interarmées de l'espace (CIE) a été créé, il y a environ sept ans, au sein du ministère de la Défense, devenu, depuis, le ministère des Armées. Le CIE dont j'assure le commandement relève du chef d'état-major des armées, il est placé sous l'autorité du major général des armées, et sous la tutelle du sous-chef des opérations. Les opérations expliquent le positionnement du CIE.
Le CIE est chargé de l'élaboration de la contribution des armées à la politique spatiale nationale, en coordination avec la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) au sein du ministère des Armées. Nous participons à la coordination de l'effort d'un certain nombre d'opérateurs militaires : le commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information de la défense (DIRISI) et la direction du renseignement militaire (DRM). Nous travaillons avec tous ces organes afin d'assurer une meilleure cohérence d'ensemble. Au sein du CIE, nous traitons aussi de l'ensemble des coopérations militaires européennes, internationales et multilatérales.
Tous les officiers de programmes du domaine spatial appartiennent au CIE, ce qui lui permet de fédérer l'expression de besoins opérationnels et de participer à l'élaboration et à la mise en oeuvre des stratégies d'acquisition des capacités spatiales avec la direction générale de l'armement (DGA) en s'appuyant sur l'agence spatiale française : le Centre national d'études spatial (CNES).
Nous sommes également chargés de la coordination de l'emploi des capacités spatiales à la disposition de la défense, et nous élaborons les directives d'emploi de ces moyens.
Il nous revient aussi – et ce n'est pas la moindre de nos missions, surtout en ce moment – d'orienter l'élaboration de la situation spatiale, c'est-à-dire la connaissance de ce qui se déroule dans l'espace. Cette situation spatiale est produite par le commandement des opérations aériennes (CDAOA). Nous nous appuyons sur ces informations, ainsi que sur celles fournies par la direction du renseignement militaire, pour élaborer une situation de l'ensemble des moyens dont disposent les autres pays dans l'espace.
Quelques chiffres permettent de comprendre à quel point l'espace est primordial.
En 2016, nous avons acquis 45 883 images de toute nature, soit environ 10 % de plus que l'année précédente. Les besoins en la matière vont croissant, en particulier en raison de notre niveau d'engagement. Cent vingt images par jour en moyenne ont été prises sur toute la surface du globe.
Nous avons déployé quatre-vingt-treize stations de télécommunication par satellite dans tous les endroits du monde où les forces françaises sont en opération.
Quasiment toutes les missions durant lesquelles nous avons délivré des armements, en particulier des armements provenant des avions, ont utilisé le GPS. Seules certaines missions très spécifiques et d'un domaine réservé s'affranchissent du système GPS. C'est un point fondamental de notre doctrine. Toutes les missions réalisées l'ont été avec GPS, et deux tiers des armements tirés ont utilisé le GPS.
La défense française dispose du spectre complet des capacités spatiales : l'observation de la Terre, l'écoute électromagnétique, les télécommunications, les systèmes de positionnement et la surveillance de l'espace. Cela représente un investissement significatif. Les lois de programmation militaire, actuelle et future, consacrent du reste une part non négligeable au renouvellement et à l'amélioration de ces capacités.
Sans évoquer la prochaine LPM, je signale qu'à partir de 2018, nous renouvellerons quasiment toutes nos capacités spatiales. Les huit satellites souverains dont nous disposons seront remplacés par huit nouveaux satellites souverains dans les prochaines années. Dans le domaine de l'observation spatiale, la défense dispose de deux satellites militaires HELIOS 2, lancée en 2004 et 2009, et de deux satellites Pléiades lancé en 2011 et 2012 – Pléiades est un satellite dual construit par Airbus Defence & Space. L'ensemble de ces satellites permet d'observer de jour dans le visible, et de nuit dans l'infrarouge. Nous avons également un accès à l'imagerie radar grâce à des échanges avec nos partenaires allemands et italiens.
Certaines initiatives concernent le futur. Le programme MUSIS a été remplacé par un programme appelé CSO – pour « composante spatiale optique ». Le premier satellite de cette constellation CSO sera lancé à la fin de l'année prochaine.
Nous avons fait évoluer le schéma de gouvernance de ces satellites d'observation : nous étions copropriétaires sur HELIOS, mais nous serons seuls propriétaires sur CSO, et d'autres pays auront une forme de droit de tirage. Le système CSO compte à ce jour deux partenaires, l'Allemagne et la Suède. Pour mémoire, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, la Grèce et la France étaient copropriétaires sur HELIOS. Des discussions sont aujourd'hui en cours pour élargir le nombre de partenaires impliqués dans CSO.
Les trois satellites CSO apporteront des améliorations significatives en termes de précision, de qualité, de temps de revisite par rapport aux satellites HELIOS. Ils seront lancés entre 2018 et 2021 ; leur durée de vie théorique sera de l'ordre de dix ans.
Pour l'écoute électromagnétique, nous disposions de satellites de nature expérimentale et nous basculerons prochainement dans un cycle de satellites opérationnels. Nous avons développé non seulement le satellite, mais aussi les moyens d'exploitation et les moyens d'environnement qui vont avec. Il s'agit de satellites d'écoute électromagnétique qui nous permettent d'améliorer notre connaissance de l'ordre de bataille sur l'ensemble des théâtres sur lesquels nous opérons, mais également de protéger nos propres moyens puisqu'ils contribuent à la programmation de nos contre-mesures.
Les satellites ELISA, actuellement en activité, seront retirés du service à la mi-2020, alors que CERES – pour « capacité de renseignement électromagnétique d'origine spatiale » – sera opérationnel au mieux à la fin de l'année 2020. Les satellites seront lancés en début d'année 2020, mais il faut compter avec le temps de leur mise en orbite et en exploitation. CERES apporte évidemment des améliorations significatives par rapport à ELISA, ce qui nous positionne à un excellent niveau dans le concert mondial.
Les télécommunications satellitaires sont une capacité clé de l'autonomie de décision et d'action de nos forces armées à plusieurs titres. Un élément réside dans l'extension continue de nos théâtres d'opérations : pour pouvoir opérer et commander depuis la France ou d'autres points particuliers, il nous faut des communications par satellite. Les systèmes dont nous disposons actuellement sont des satellites SYRACUSE III, renforcés par des satellites mis en orbite en coopération avec les Italiens, SICRAL 2. Ces derniers ont été complétés par un satellite dual : ATHENA-FIDUS.
Nous allons mettre en orbite une série de satellites de la génération SYRACUSE IV qui permettront de répondre à l'explosion des besoins en matière de communication. Cette explosion est aussi liée à la numérisation de l'ensemble des capacités que nous mettons en oeuvre, que ce soit pour le champ de bataille, les avions ou les échanges entre les centres de commandement et ceux qui opèrent sur le terrain avec un accroissement significatif des volumes de données.
Au-delà de la capacité supplémentaire qu'ils apportent, ces satellites, qui constituent un système clé, sont extrêmement durcis contre les menaces.
La mise à disposition de ces moyens au profit de la défense s'accompagne d'un partage des capacités au sein de l'Union européenne, dans des initiatives qui portent le nom de GOVSATCOM, ou avec l'OTAN, dans le cadre du paquet capacitaire CP130.
La capacité de positionnement navigation-temps – que tout le monde appelle GPS, du nom du système américain – est un élément clé de notre autonomie de décision. Il faut en mesurer l'intégrité et la précision. Ces systèmes sont également vitaux dans les échanges monétaires : les bourses les utilisent beaucoup pour la synchronisation des échanges.
La défense française dispose d'un accès aux signaux civils et militaires du système GPS, grâce à des accords passés avec les États-Unis. Mais le système européen Galiléo monte en puissance. Nous avons lancé quatre satellites, le 12 décembre dernier : vingt-quatre sont donc en vol sur les trente prévus. Selon nous, le système sera totalement opérationnel à partir de 2020.
L'importance accrue de l'espace pour nos opérations et la dépendance croissante qui en découlent, conjuguées à l'accentuation des menaces sur nos capacités, exigent un renforcement de la sécurisation. Au-delà de la sécurisation, il faut aussi s'assurer de la résilience de nos propres moyens. Nous devons être certains que cette dépendance ne se retourne pas contre nous.
La sécurisation repose en premier lieu sur la consolidation de nos capacités à surveiller nos orbites d'intérêt afin d'être en mesure de contribuer aux manoeuvres anticollisions avec les débris. On entend dans la communauté de l'espace en ce moment qu'il y aurait à peu près dans l'espace 300 000 débris dont la taille dépasse le centimètre. De leur côté, les Américains commencent à avancer le chiffre de 750 000. Je vous montrerai un petit film qui vous permettra de visualiser la situation.
Nous devons aussi être en mesure de détecter et d'attribuer tout acte suspect, inamical ou hostile, ce qui est primordial pour nous : on constate quelques évolutions dans l'espace avec des manoeuvres d'approche et d'observation de satellites.
Pour la prochaine LPM, l'effort portera principalement sur la modernisation des capacités de surveillance des orbites basses, sur les systèmes d'information, ainsi que sur les études relatives à notre capacité de surveillance des orbites géostationnaires.
À la faveur de développement technologique, l'accès à l'espace qui était jusqu'à présent réservé à quelques puissances et à des acteurs étatiques s'ouvre à de nombreux acteurs privés, à des nouveaux investisseurs, comme les GAFAM – pour Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – ou les start-up. Vous avez aussi entendu parler de SpaceX et sans doute de Blue Origin.
L'accès à l'espace tend à se banaliser, ce qui entraîne une forme de dérégulation. Ce point est fondamental. Les opérateurs civils s'accordent d'ailleurs sur le fait qu'il faudra certainement mettre au point un système de régulation mondial dans l'espace, à l'instar de ce qui se fait déjà pour le trafic aérien.
Champ de compétition économique, stratégique et militaire, l'espace exo-atmosphérique devient peu à peu un champ de confrontation à part entière ainsi que le souligne la revue stratégique de 2017. Certains États pourraient être tentés d'y conduire, discrètement ou ouvertement, depuis la Terre ou l'espace, des actes inamicaux ou illicites, voire d'user de la force pour en dénier l'accès ou dégrader, temporairement ou durablement, les capacités spatiales d'autres intervenants.
Par le passé, certains pays ont déjà fait la démonstration de leur capacité à mettre en oeuvre des armes antisatellites depuis la Terre. Pour mémoire, la moitié des débris rencontrés dans l'espace proviennent d'un tir de missile des Chinois, en 2007, contre un de leurs satellites ; l'autre moitié provient d'une collision entre deux satellites. Les Américains ont également montré qu'ils possédaient cette capacité en tirant sur un de leurs satellites en phase de désorbitation, ce qui n'a pas provoqué de débris.
Les stratégies de contestation ou de déni d'accès prennent des formes nouvelles. Outre le développement d'armes à effet dirigé, capables de dégrader les performances de nos moyens, la maîtrise de la technique de rendez-vous dans l'espace permet de venir à proximité de capacités spatiales d'autres pays sur l'ensemble des orbites. Plusieurs de nos satellites ont ainsi été approchés par des objets de type satellites inspecteurs.
La France prône évidemment une utilisation pacifique de l'espace, pour autant, celui-ci ne peut être considéré comme sanctuarisé, car il pourrait constituer un lieu de confrontation comme un autre, il est donc primordial de préserver notre liberté d'accès à l'espace, et de pouvoir contrer les menaces pesant sur nos moyens dans le strict respect de la Charte des Nations unies et du droit de légitime défense.
Face à l'accroissement des risques et menaces pesant sur nos moyens spatiaux, la protection de l'ensemble des éléments constitutifs de nos capacités spatiales constitue un nouvel enjeu d'importance.
Outre le renforcement continu de la résilience des nouveaux moyens spatiaux et des systèmes les utilisant, la capacité à détecter et à attribuer un éventuel acte suspect, inamical ou agressif dans l'espace constitue donc une condition essentielle de notre protection.
Nos capacités nationales de surveillance de l'espace exo-atmosphérique seront donc progressivement consolidées afin de pouvoir, à terme, identifier et caractériser les objets dans les orbites d'intérêt de la France.
Outre les coopérations en cours au sein de l'Union européenne – il existe un programme européen de surveillance de l'espace EUSST (European Union Space Surveillance & Tracking) qui contribuera au financement de la rénovation prochaine du radar GRAVES (Grand Réseau Adapté à la VEille Spatiale) –, les opportunités de développement de coopérations plus étroites avec des partenaires stratégiques, en particulier l'Allemagne, seront prochainement explorées. Si la plupart des coopérations en matière spatiale sont engagées au sein du cercle de nos partenaires traditionnels, des thématiques particulières seront abordées avec nos partenaires américains – qui nous ouvrent déjà l'accès à certaines données issues de leurs capacités spatiales, en particulier à l'ensemble du catalogue des débris –, ainsi qu'avec l'alliance dite Five Eyes.
L'objectif sera d'articuler de manière la plus pertinente nos capacités nationales avec celles de nos partenaires tout en préservant nos éléments de souveraineté, comme l'a rappelé la ministre des Armées lors de son discours à l'usine des Mureaux d'ArianeGroup, jeudi dernier.
Au cours de la prochaine LPM, nos capacités de surveillance et d'écoute seront consolidées et modernisées avec les moyens d'analyse au sol.
Le calendrier de développement de la capacité de surveillance des orbites sera également consolidé. Dans son état actuel, le système de radar GRAVES ne détecte pas l'ensemble des satellites, en particulier les petits satellites. Sa rénovation accroîtra sa capacité de détection, mais elle ne lui permettra pas de détecter des nanosatellites à l'horizon 2025. Actuellement, notre niveau de détection est de l'ordre d'un mètre ; nous voulons améliorer cette capacité pour atteindre cinquante centimètres. Si nous souhaitons aller en deçà et détecter des nanosatellites, nous devrons utiliser une autre technologie et changer totalement notre système radar.
Dans leur ensemble, la LPM en cours et la suivante consentent un véritable effort en faveur du domaine spatial, en raison notamment du renouvellement de l'ensemble de nos satellites. Pour l'année 2017, les crédits de paiement des programmes militaires spatiaux inscrits au programme 146 sont quasiment au même niveau que les années précédentes pour un peu plus de 300 millions d'euros. Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit 325 millions. Ces crédits de paiement s'accroîtront avec le déploiement des satellites. Les crédits de la prochaine LPM pour la période 2019 à 2025 n'étant pas encore stabilisés, je ne saurais les détailler devant vous à ce stade.
Pour conclure mon propos liminaire, je vous propose de regarder une animation produite par l'Agence spatiale européenne. Elle montre les constellations de satellites positionnés autour de la terre au fur et à mesure que l'on s'en rapproche. En partant du niveau géostationnaire et en allant vers l'orbite basse, vous constaterez que l'on trouve un très grand nombre de satellites et de débris. Les nanosatellites et les microsatellites se trouvent très bas dans les orbites basses ; et comme ils n'ont pratiquement jamais de propulsion, ils n'y restent pas très longtemps.
Merci de cette intervention, Mon général. De très nombreux collègues souhaitant intervenir, j'invite chacun à être aussi bref que possible.
Mon général, je souhaitais appeler votre attention sur notre moyen de surveillance des satellites en orbite basse, notamment le système GRAVES, institué sur le domaine spatial, et plus particulièrement l'espace exo-atmosphérique. La France est une des seules nations capables de surveiller l'espace. Le système GRAVES est un système de surveillance unique en Europe qui permet à l'armée de suivre et de cataloguer les satellites qui évoluent en orbite basse, jusqu'à une altitude de 1 000 kilomètres. La mission principale de GRAVES est le renseignement militaire via l'élaboration de la situation spatiale. Il est développé avec l'ONERA, qui dépend du ministère des Armées.
Aujourd'hui, le milieu exo-atmosphérique revêt une importance cruciale pour l'ensemble de nos capacités de défense. Il est devenu un champ de vulnérabilités croissantes pour nos moyens de commandement et de surveillance. La surveillance des objets en orbite basse, et surtout la veille des orbites géostationnaires prévue dans le cadre du système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales (SCCOA) sont indispensables pour assurer la sécurité de nos moyens spatiaux et la conduite de nos opérations.
En outre, la multiplication des acteurs étatiques et privés entraîne une banalisation de l'accès à l'espace tandis que de plus en plus d'États ont acquis des capacités industrielles leur permettant de réaliser des lanceurs spatiaux et des satellites.
Le système GRAVES est entré en service en 2005 sous le contrôle du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes, il est convenu qu'il soit remplacé en 2025. Nous savons que le seul système capable aujourd'hui d'aller jusqu'à l'orbite géostationnaire est un système américain qui devrait entrer en service en 2019, dénommé Space Fence. Par ailleurs, la ministre des Armées a visité le site d'ArianeGroup aux Mureaux, ce qui montre la volonté du Gouvernement de se préparer à la maîtrise de l'espace.
Quel organisme sera en charge de moderniser le système GRAVES, et quels seront le coût et l'impact sur la loi de programmation militaire ? Quels sont les moyens mis en oeuvre par le Gouvernement dans cette nouvelle « guerre des étoiles » dans l'espace exo- atmosphérique ?
Mon général, avez-vous les moyens de suivre et d'observer la navette américaine X-37B ? Cette navette de neuf mètres a une orbite un peu erratique, et nous ne connaissons pas très bien sa mission. Quelle est votre interprétation ? Dans l'espace, nous n'avons pas d'ennemis, mais nous n'avons pas non plus forcément beaucoup d'amis…
Mon général, merci de nous avoir emmenés dans l'espace, c'était passionnant ! La prochaine loi de programmation militaire sera le moment de se positionner sur les problématiques critiques en matière de stabilité politique internationale, et potentiellement sur le sujet de la défense antibalistique française. Le programme de satellites SPIRALE (Système Préparatoire Infrarouge pour l'ALErte), développé par Airbus, a permis à la France de fabriquer un démonstrateur d'alerte avancée par satellite, capable de détecter des tirs de missile, d'identifier leurs cibles et leurs auteurs.
Pourtant, un tel système n'est utile et efficace que s'il est complet, c'est-à-dire capable de détecter, de cibler et de détruire un missile. Au-delà du coût, ce programme pose la question du choix stratégique d'un système antibalistique. Est-il responsable de déployer un bouclier antibalistique tout en sachant que la prolifération de ces systèmes peut éventuellement favoriser des stratégies nucléaires d'usage en premier ? En d'autres termes, un tel système n'induit-il pas le risque de frapper plus facilement, considérant qu'une réplique serait potentiellement neutralisée avant même d'atteindre le sol national ?
Pensez-vous que la prochaine loi de programmation militaire doit s'attacher à financer ce nouveau programme ?
L'armée américaine a annoncé ces derniers jours se préparer à d'éventuelles perturbations et défaillances des signaux GPS suite à des actes de malveillance sur ses satellites. Peut-on imaginer les mêmes menaces et les mêmes défaillances avec le système Galileo, et comment trouver la parade ?
Sur le système d'alerte avancée, comment, avec les moyens spatiaux, peut-on avoir la signature d'une attaque par missile, ou savoir le plus tôt possible par qui un missile est lancé ?
Il ne s'agit pas d'une question technique sur le domaine spatial de la défense à proprement parler ; vous avez bien expliqué l'intérêt des satellites et du programme Galileo, mais il ne faut pas oublier qu'avant d'avoir des satellites, encore faut-il un lanceur. Or chacun sait qu'aujourd'hui, de véritables questions se posent sur le devenir d'Ariane 6. Le rapport rendu par Geneviève Fioraso en juillet 2016 insistait beaucoup sur le risque de déclassement de la France dans le domaine des satellites, et des menaces sérieuses à moyen terme dans le domaine des lanceurs.
Les interrogations sur l'avenir d'Ariane 6 ne risquent-elles pas de poser la question de l'indépendance de la France ? Il y a un réel risque de monopole des États-Unis pour l'accès à l'espace au sein du bloc occidental. Quel est votre point de vue ?
Sur les moyens de surveillance dans l'espace, je voudrais apporter une précision d'ordre technique : pour observer et surveiller les orbites basses, le seul moyen est un radar. Pour surveiller les orbites MEO (Medium Earth Orbit) – où se trouvent les constellations de GPS et de Galileo – et l'orbite géostationnaire, la seule solution actuellement est d'utiliser des télescopes. Space Fence est surtout un système radar, il ne surveille pas les orbites géostationnaires. Toutes nations confondues, nous sommes obligés d'utiliser en même temps des moyens optiques et radar.
S'agissant des orbites supérieures, nous utilisons actuellement des télescopes du CNRS via le CNES : il s'agit du réseau TAROT (Télescopes à Action Rapide pour les Objets Transitoires). Nous avons complété cette surveillance à titre exploratoire avec les télescopes GEOTracker d'ArianeGroup. Ces télescopes sont dispersés tout autour de la terre et permettent d'avoir une surveillance sur la presque totalité des orbites géostationnaires. Néanmoins, il est évident qu'il faudra développer ce système.
Au-delà de ces systèmes radar ou optiques, la capacité d'analyse est fondamentale. Nous avons la chance en France d'avoir le CNES, qui a une vraie compétence d'analyse en ce domaine. ArianeGroup a aussi cette compétence, mais le véritable opérateur en France est le CNES. Sans capacité d'analyse, vous aurez beau avoir des moyens d'observation, vous ne serez pas capables de surveiller de façon efficace.
La rénovation de GRAVES est déjà engagée. Elle est remboursée par des crédits de l'Union européenne sur l'initiative EUSST. Elle sera effective, en théorie, pour une livraison autour de 2021-2022.
Je confirme que GRAVES est un système essentiel, non seulement en termes de surveillance, mais aussi pour le positionnement de la France dans le concert mondial dans la mesure où, à l'exception de nos alliés américains, nous sommes pratiquement les seuls à disposer d'un système analogue. Les réseaux de nos partenaires européens ne sont pas capables d'alimenter un catalogue de surveillance du même niveau.
Au-delà, la ministre a répété aux Mureaux qu'elle était attentive au domaine de la surveillance de l'espace pour la protection de nos moyens et la souveraineté de notre action. Il est évident que nous sommes dans une phase d'études et de concertation avec nos partenaires pour développer un système en coopération, en particulier avec les Allemands, dans le domaine de la surveillance pour les orbites basses. Pour les orbites géostationnaires, la collaboration est plus facile car la technologie des télescopes est beaucoup plus accessible.
S'agissant du X-37, sa véritable mission est assez délicate à interpréter. On peut supputer beaucoup de choses, au-delà des expérimentations menées dans le cadre de ce que l'on appelle le service en orbite, qui permettra de réparer, réalimenter ou consolider des satellites dans l'espace, et donc d'améliorer leur durée de vie et leur intégrité. Je m'abstiendrai de désigner une nation en particulier ; disons que le X-37, comme d'autres, est certainement en mesure d'agir au-delà du seul domaine du service en orbite… C'est mon interprétation personnelle, assez partagée. Mais la mission première est du service, dans un premier temps.
Mon commandement n'est pas chargé du développement de l'alerte avancée. Des études sont prévues dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire pour la poursuite des travaux dans ce domaine. Ce qui ne veut pas dire que le CIE ne s'y intéresse pas : ainsi que la ministre l'a répété dans son discours, au-delà des menaces qui pèsent sur nos moyens, il est important de pouvoir détecter, identifier et caractériser, c'est-à-dire attribuer, une action contre nos propres moyens. Si d'aventure un missile antisatellite était tiré, il est évidemment important pour nous de savoir qui l'a tiré : c'est le premier intérêt pour moi de l'alerte avancée.
Néanmoins, si les nations responsables s'entendent sur le fait que tirer un missile est faisable, cela crée autant de risques pour leurs propres moyens, donc de dommages potentiels. Il est donc fort peu probable que l'on utilise des missiles antisatellites. Cela étant, en raison du risque de prolifération et d'apparition d'un certain nombre de nations non responsables, il faut se garder de toute conclusion hâtive dans ce domaine. Quand un missile est tiré par une nation proliférante et qu'il parcourt plusieurs milliers de kilomètres, il traverse forcément un certain nombre de couches de satellites ; il est donc permis de s'interroger sur l'usage qui peut en être fait.
On a l'habitude de dire qu'avec le GPS, on sait dans quelle rue on est, avec Galileo, on sait sur quel trottoir… C'est dire la différence de précision entre l'un et l'autre systèmes. Les Américains s'affichent beaucoup dans la presse pour exprimer leur dépendance vis-à-vis du GPS, dont l'utilisation n'est pas que militaire : j'ai évoqué les échanges boursiers, c'est aussi une notion fondamentale. Les Américains « robustifient » l'ensemble de leurs moyens pour éviter de se faire brouiller le signal et parer les actions de brouillage ; parallèlement, ils développent des systèmes résilients : c'est la raison pour laquelle ils sont intéressés par une coopération sur Galileo. Ils viennent pour accéder à des informations de Galileo, de la même façon que nous avons accès au réseau GPS : c'est une forme de résilience, non de mutuelle dépendance, mais de coopération pour consolider nos systèmes. La menace la plus probable étant le brouillage, la parade passe plutôt par la robustification des moyens de réception.
Pour répondre à l'interrogation de M. Chassaigne sur Ariane 6, je me retrancherai derrière le communiqué de presse de trois ministres qui ont réaffirmé leur confiance dans l'avenir de cette filière. Il est essentiel pour nous d'avoir un mode de lancement consolidé et souverain en Europe, à divers titres. Évidemment, nous sommes sensibles aux considérations de coût et nous regardons attentivement ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique ; mais si SpaceX paraît actuellement bien meilleur marché qu'Ariane, je remarque que des nations qui ont commandé des tirs et des mises en orbite attendent toujours d'avoir accès au lancement… Avec Ariane, nous sommes assurés d'avoir un accès consolidé et robuste. Il faut aussi se méfier : les vrais éléments de coût ne sont pas ceux qui sont affichés. Les coûts de développement et les prix payés par l'US Air Force pour lancer ses propres satellites sont sans commune mesure avec les tarifs proposés dans le domaine commercial.
Je suis donc attentif aux éléments de coût et à la capacité souveraine de la France pour disposer de moyens de mise en orbite ; autant dire que je m'intéresse de très près aux efforts engagés en faveur d'Ariane 6. Je me félicite en particulier des accords sur les lanceurs et les moteurs qui ont été signés lors de notre visite aux Mureaux, et je suis confiant sur l'avenir du moteur Prometheus.
Général, il y a quelques jours, la ministre des Armées a signé un partenariat avec le groupe Safran portant sur la transmission de données d'observation optique par l'intermédiaire de son système d'observation GEOTracker. C'est un premier pas important qui va permettre de diminuer le retard technologique pris par rapport aux États-Unis et la Russie en la matière, pour des raisons historiques que nous connaissons.
Les moyens développés par ces deux nations sont tels qu'il paraît impossible de rattraper ce retard. Face à l'ampleur de la tâche à accomplir et aux enjeux nouveaux de la défense dans le domaine spatial, comment organiser une coopération européenne dans le domaine de l'espace ?
Publiée le 11 octobre dernier, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale qui fixe le cap pour les six prochaines années définit le ciel comme un domaine à renforcer sans plus tarder. En particulier, elle indique que le milieu exo-atmosphérique est devenu un champ de vulnérabilité pour la France en ce qui concerne précisément ses moyens de commandement et de surveillance.
Étant donné que de nombreuses données sensibles transitent par l'espace, l'enjeu est bel et bien de renforcer la lutte contre les minisatellites espions et autres menaces spatiales. Le déploiement du réseau GEOTracker, développé et exploité par ArianeGroup, représente une étape significative en matière de protection de nos satellites et de protection des objets spatiaux. La mise en oeuvre du réseau GEOTracker vous semble-t-elle suffisante pour lutter contre les menaces spatiales ? Quelles seront les prochaines évolutions dans ce domaine dans les années à venir ?
Pour assurer l'indépendance de la France dans le domaine spatial, nous avons développé des satellites de type HELIOS pour l'imagerie optique, mais nous travaillons avec d'autres partenaires européens sur d'autres types de satellites. Or, en contradiction avec cet accord, l'Allemagne a décidé de développer ses propres satellites optiques. Comment devons-nous comprendre cette décision, d'autant qu'elle envisage de les faire lancer par SpaceX et non par Ariane 6 ? Nos partenaires européens sont-ils bien fiables dans le domaine ? Nous n'avons pas d'ennemis dans l'espace, mais nous n'y avons pas non plus d'amis…
La Revue stratégique que nous a présentée Arnaud Danjean insiste aussi sur cette coopération européenne. Vous avez parlé d'Ariane 6 ; comme vous, je suis optimiste. Les travaux ont commencé à Kourou il y a plus d'un an et demi – j'ai rédigé un rapport avec Bernard Deflesselles à ce sujet –, ce qui était indispensable si nous voulions être compétitifs par rapport à SpaceX. Ariane 5 est un très gros porteur, Ariane 6 permettra de transporter des satellites à moindre coût. Je crois beaucoup en Ariane 6, qui doit être opérationnelle en 2020.
Concernant la coopération européenne, pensez-vous que l'on puisse l'améliorer, notamment en qui concerne la sécurisation, même si nous touchons à des domaines très précis d'indépendance de chaque pays ?
Compte tenu de l'importance que revêt l'espace dans tous les domaines, pensez que le traité de l'espace, qui date de 1967, devrait évoluer ?
Mon général, certains pays imaginent d'ores et déjà l'avion de combat du futur, qui pourrait aller dans l'espace. Commençons-nous à y réfléchir ? Il faudra une technologie très avancée. Nous avons vu les Américains envoyer un mélange d'avion et de fusée dans l'espace ; imaginons-nous la même chose, y a-t-il un début de réflexion dans ce domaine ?
Le réseau de télescopes TAROT, que nous utilisions, couvre à peu près 270 degrés d'arc autour du globe. GEOTracker améliore cette couverture puisqu'il la porte à 340 degrés ; les télescopes sont un peu plus dispersés mais, pour ce qui est de la détection, ils sont à peu près de même nature. En fait, la question n'est pas tant celle du GEOTracker que de l'initiative européenne EUSST. Comme j'ai eu l'occasion de le dire au président, le domaine de l'espace est éminemment dual. Dès lors, il est essentiel que nous ayons les moyens d'en permettre un libre accès et de nous protéger des collisions avec les débris et d'autres types d'agression. L'initiative EUSST est donc fondamentale : elle est portée tout autant au niveau civil qu'au niveau militaire, même si in fine, les moyens militaires serviront des finalités duales en alimentant en informations toute la communauté. Il m'apparaît donc primordial de la soutenir et de nous mettre en situation de répondre aux attentes de cette proposition de la Commission européenne : non seulement il y va de la protection de nos moyens, mais si nous ne faisons pas cet effort en Europe, nous serons totalement dépendants des informations données par d'autres. Or il est essentiel, à défaut d'être totalement souverain dans ce domaine – ce qui est l'objectif –, d'être à tout le moins en capacité de discuter et de dialoguer au plus haut niveau pour disposer des informations indispensables. L'EUSST est primordial pour nous car c'est là que se trouvent les financements pour la rénovation de nos systèmes de surveillance.
S'agissant de la décision allemande de développer ses propres satellites optiques, je signale en préalable que les accords de Schwerin, qui prévoient un partage du développement des capacités dans le domaine spatial en Europe – l'optique en France, le radar en Allemagne et en Italie –, valaient seulement pour la défense… Les deux satellites dont il est question ont été demandés par les services spéciaux allemands. Il ne m'appartient pas de juger une décision souveraine de la chancellerie allemande ; mais des discussions sont menées à haut niveau pour bien en comprendre l'impact. Cela témoigne en tout cas d'un intérêt croissant pour l'accès à l'information et aux images venant de l'espace. Je comprends aussi que des services spéciaux aient besoin de disposer de données fiables.
Pour ce qui est de leur lancement par SpaceX, il appartient, là encore, aux Allemands de s'en expliquer… M. Stéphane Israël, le président d'Arianespace, a récemment fait part de sa volonté de faire accepter par l'ensemble des nations européennes le principe que les satellites européens étatiques soient lancés par des lanceurs européens. Il nous appartient d'y rester vigilants ; pour autant, cela ne remet pas en cause le partage initial. Il répond bien à un besoin croissant d'accès aux images.
Sécurisation versus indépendance, c'est un sujet majeur. Nous sommes très dépendants de l'espace. Mais nous nous mettons en posture de ne pas en dépendre à 100 %, surtout pour des missions très particulières. Il faut nous assurer de cette sécurisation, de cette autonomie et de cette souveraineté.
Dans la situation actuelle, au vu des efforts déployés par les États-Unis, nous nous trouvons évidemment en décalage. Nous nous appuyons sur des informations d'origine américaine ; mais la mise à disposition de nos données GRAVES nous permet d'avoir un dialogue relativement équilibré avec les Américains. Évidemment, je ne pourrai qu'être satisfait le jour où nous serons totalement indépendants ; mais cela implique des efforts de plusieurs milliards… à mesurer à l'aune de l'engagement et au degré d'indépendance souhaité.
Faut-il faire évoluer le traité de l'espace ? En fait, la question ne concerne pas tant le traité de l'espace – qui n'est d'ailleurs pas engageant pour les nations – que sa déclinaison au niveau des pays et de leurs législations. Pour la France, il s'agit de la loi relative aux opérations spatiales du 3 juin 2008, dont l'objet était surtout de repréciser le rôle du CNES et les responsabilités des opérateurs – surtout des opérateurs civils. Mais les événements récents pourraient nous conduire à nous demander si cette loi constitue une réponse adaptée aux menaces que nous devons contrer.
S'agissant du X-37 et du « X-37 à la française », nous sommes évidemment en pleine réflexion.
Général, je souhaiterais avoir quelques informations sur nos capacités spatiales mises à la disposition de nos alliés, tant dans le cadre de l'OTAN qu'en dehors. Les capacités fournies par SYRACUSE à l'OTAN dans le cadre du programme NATO SATCOM V seront-elles renouvelées à l'entrée en service des satellites SYRACUSE IV ?
Mon général, l'Hexagone est une puissance spatiale de premier plan et souhaite le rester. Cet intérêt pour l'espace extra-atmosphérique, de plus en plus peuplé et militarisé, s'inscrit dans une volonté d'améliorer la conduite des opérations militaires, ainsi que les actions de renseignement. Malgré une suprématie états-unienne, d'un point de vue scientifique et militaire, la concurrence étrangère se renforce. Nous pouvons donc nous interroger sur la manière dont les armées françaises se déploieront au cours du XXIe siècle dans ce nouvel environnement, aujourd'hui stratégique.
Allons-nous nous concentrer uniquement sur des dispositifs extra-atmosphériques passifs ? J'entends par là des équipements qui permettraient à nos armées d'améliorer leurs capacités, de disposer de meilleurs renseignements, pour renforcer nos aptitudes d'anticipation et nos conduites d'OPEX. Envisagez-vous de vous équiper de systèmes destinés à neutraliser, voire à détruire d'autres satellites ? Dans cette hypothèse, devrions-nous privilégier des systèmes sol-espace ou des dispositifs espace-espace ?
Enfin, comment intégrez-vous la notion de pollution et, concurremment, de dépollution de l'espace dans vos anticipations équipementières et stratégiques ?
Depuis la guerre froide, Russes et Américains ont appris à endommager et à détruire mutuellement leurs satellites. Aujourd'hui, les technologies ont évolué – je remarque à ce propos que vous n'avez parlé des lasers dans votre propos liminaire. Mais de notre côté, sommes-nous les « gentils » de l'espace ? Est-ce que nous espionnons aussi des satellites d'autres nations ? Avons-nous la capacité de les détruire ?
Mon général, nous savons que le système GRAVES, unique en Europe, permet à la France de garder un oeil sur les objets dont l'existence n'est pas forcément reconnue par leurs utilisateurs. C'est grâce au réseau GRAVES que les satellites espions américains, par exemple, ont été découverts. Cette capacité de surveillance nous permet de négocier la non-diffusion d'informations sur les satellites français, en échange de la confidentialité sur les satellites américains. Mais un partage de données GRAVES avec les pays européens ne minore-t-il pas la capacité de négociation de la France avec notre partenaire américain ?
Je voudrais vous interroger sur votre coopération avec le CNES. Avez-vous un droit de regard sur le CNES ? Êtes-vous représenté dans ses instances ? Partagez-vous un certain nombre d'informations et de structures ?
Par ailleurs, suivez-vous les activités du Groupe d'études et d'informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (GEIPAN) ? Il se trouve en effet qu'un membre de ce service est de ma circonscription.
J'ai évoqué, lors de mon propos introductif, la question du partage des capacités. C'est ainsi que nous mettons à disposition de l'OTAN –contre rémunération – certains moyens au titre de SYRACUSE III, sous l'appellation NSPK20. Au titre de SYRACUSE IV, on le fera sous l'appellation CP 130. Mais le principe restera le même. Quand les satellites arrivent en service, ils sont en surcapacité, c'est-à-dire qu'ils répondent au-delà du besoin ; au fur et à mesure de l'explosion des besoins, la courbe naturellement s'inverse. On vend cette surcapacité, on la met à disposition. Cette capacité est essentielle par le fait qu'elle est sécurisée : elle a donc vocation à être échangée au niveau militaire, mais pas au niveau civil.
Vous m'avez ensuite interrogé sur la militarisation et le traité de l'espace. Je tiens à préciser que ce traité – tout comme la loi – interdit seulement d'envoyer dans l'espace des armes de destruction massive. Il n'y a donc pas, contrairement à ce que j'entends assez régulièrement, d'interdiction d'« arsenalisation ». Cela étant, le terme de « militarisation » désigne l'utilisation de l'espace à des fins militaires : sitôt que j'envoie un satellite de communication dans l'espace, je suis dans une forme de militarisation…
M. Cubertafon a évoqué les dispositifs extra-atmosphériques passifs et actifs, et sur la question de la « pollution-dépollution ».
La « pollution-dépollution » est une problématique généralisée et duale. De très nombreuses réflexions ont été engagées pour traiter et essayer de récupérer les débris. Le service en orbite, dont j'ai parlé tout à l'heure, pourrait être un moyen de traiter ces questions de pollution.
Par ailleurs, Monsieur le député, concernant nos dispositifs passifs et actifs, je vous renverrai à ce que j'ai dit précédemment : il est primordial de préserver notre liberté d'accès à l'espace et de pouvoir contrer les menaces pesant sur nos moyens, dans le strict respect de la loi.
Monsieur Furst, vous vous demandez si nous sommes les « gentils » de l'espace. Pour ma part, je m'exprimerai différemment en disant que la France prône une utilisation pacifique de l'espace, comme je l'ai indiqué à l'instant. Pour autant, nous ne sommes pas naïfs.
La notion de destruction est fondamentale. Évidemment, nous ne sommes pas sur un tel registre, parce que nous mesurons bien les risques qu'elle entraîne. La destruction est un acte armé, et participe à une escalade qui irait à l'encontre de nos objectifs.
Quelle est la nature du système GRAVES ? J'ai évoqué avec vous deux notions fondamentales de la surveillance de l'espace : l'élaboration des pistes, qu'on appelle dans un langage très abscons SST (Space Surveillance and Tracking), et la notion de surveillance de l'espace au sens militaire du terme, qu'on appelle SSA (Space Situational Awareness) et qui intègre du renseignement. Ce que nous échangeons avec le monde civil, c'est le tracking ; ce que nous échangeons avec le monde militaire, dans le cadre d'accords de niveau intergouvernemental, c'est du renseignement.
Monsieur Aliot, le CNES est un élément essentiel dans notre dispositif. C'est notre agence spatiale, et dans la conduite de nos programmes, il a le plus souvent un rôle d'assistance à maîtrise d'ouvrage au profit de la DGA. La tutelle du CNES est exercée par deux ministères : le ministère des Armées et celui de l'Enseignement supérieur et de la recherche. On retrouve du reste dans son budget la part de ces deux ministères et la part de ses activités propres.
C'est la DGA qui, au sein du ministère des Armées, exerce la tutelle sur le CNES. Mais nous sommes en lien permanent : il y a d'ailleurs au sein du Commandement interarmées de l'espace un conseiller du CNES. Et vendredi dernier, nous avons participé à un comité de pilotage CNES-Défense. C'est dire à quel point notre relation est permanente.
Enfin, le GEIPAN s'occupe de la surveillance et de l'analyse des OVNI, des phénomènes aéronautiques non expliqués. Nous y participons, mais ce n'est pas au coeur de nos préoccupations. C'est plutôt le CDAOA qui est actif dans ce domaine, et qui a été chargé d'une surveillance au sein des instances ad hoc.
En visite sur le site des Mureaux, le 14 décembre, la ministre a réaffirmé le besoin d'un système de surveillance de l'espace, et la nécessité de parler d'une voix européenne. On peut donc se féliciter qu'ArianeGroup, dans le cadre de la coopération du savoir-faire européen, ait permis de faire aboutir GEOTracker. C'est un premier contrat de surveillance de l'espace, signé m'a-t-on dit à l'automne, avec un certain général Breton.
Depuis, la coopération européenne a permis de mettre en place la PESCO (Permanent Structured Cooperation), initiative dont nous ne pouvons que nous féliciter. Mais quand on regarde la liste des projets, on s'aperçoit que l'espace n'y figure pas. Est-ce logique ou inquiétant ?
Enfin, dans le cadre de la future LPM, je vous poserai une question. Face à la militarisation de l'espace, après l'aboutissement de GEOTracker, avons-nous des pistes de projets technologiques et industriels concrets avec nos partenaires européens, notamment l'Allemagne ?
Les États-Unis ont expérimenté un système de microsatellites utilisés au niveau tactique, c'est-à-dire au niveau de la brigade. Que pensez-vous de ce nouveau concept d'emploi ? Permet-il de s'affranchir des chaînes de renseignement classiques ? Présente-t-il un intérêt pour l'avenir de nos forces ?
À quel âge mettez-vous vos cadres à la retraite ? N'est-ce pas trop tôt ? Combien partent travailler pour des puissances tierces ou pour les entreprises que vous avez évoquées ?
Doit-on investir le champ des lanceurs réutilisables développés par SpaceX ? Faut-il donner suite aux avant-projets imaginés l'ONERA ?
Nous dépendons énormément des satellites dans notre vie quotidienne. Sans tomber dans les scénarios catastrophes des films américains, peut-on imaginer que des terroristes paralysent des satellites et sèment la terreur ? S'intéressent-ils à l'espace ?
S'agissant des paquets capacitaires dans le cadre de l'OTAN, de la PESCO ou plus généralement de l'Union européenne, nous sommes en train d'élaborer diverses propositions, qui n'ont pas été retenues à ce stade. Mais nous pouvons aussi compter sur l'initiative européenne EUSST. La question est avant tout de trouver le bon canal pour traiter de ces sujets.
La défense nationale française s'intéresse évidemment aux microsatellites tout comme aux nanosatellites et aux picosatellites et à leur emploi. Le CNES et la DGA ont noué des partenariats avec des universités qui développent ce type de satellites. Certaines de nos forces commencent à exprimer des besoins en la matière. Ce qui nous importe, c'est la mise à disposition des informations au plus près de l'utilisateur final à un moindre coût. Si la fabrication des microsatellites n'est pas très onéreuse, leur lancement engage des dépenses d'un tout autre niveau et leur durée d'exploitation n'est pas la même que les satellites classiques. Nous sommes attentifs à leur développement tout autant qu'à celui d'autres systèmes, comme les ballons en haute altitude. L'enjeu pour nous est d'assurer une complémentarité entre les divers moyens envisageables et d'éviter les redondances.
S'agissant des cadres, Monsieur Michel-Kleisbauer, je ne peux répondre que pour ceux qui sont militaires. L'industrie spatiale est un petit monde au sein duquel des professionnels font toute leur carrière. J'ai peu d'exemples de cadres qui soient partis ailleurs. Au sein des armées, il n'y a pas de filière spatiale structurée ; nous sommes en train de la mettre en place. Il nous a été demandé de déterminer rapidement la nature exacte des compétences, des formations et des profils que nous recherchons. J'ai reçu mission et mandat pour ce faire.
Pour ce qui est des lanceurs, la réutilisation est une question débattue en ce moment. Mon besoin n'est pas d'avoir un lanceur réutilisable, mais un lanceur qui coûte le moins cher possible : toute la question est de savoir quelle est la technologie qui permet de répondre à ce critère. Vous avez sans doute vu dans la presse que Stéphane Israël évoquait la possibilité de réutiliser certains étages d'Ariane 6 ; des travaux sont menés en ce sens. Nous sommes attentifs à cet aspect mais l'objectif final reste d'abaisser les coûts et d'être assuré d'un accès robuste aux lanceurs.
Je termine avec la question sur le terrorisme. Jusqu'à une date récente, l'espace était réservé aux grandes puissances, qui seules disposaient des capacités industrielles et des moyens nécessaires. Désormais, des investisseurs privés commencent à s'y intéresser. L'accès à l'espace est donc de plus en plus ouvert ; les menaces que j'ai évoquées ne sont pas pour autant accessibles au commun des mortels. Évidemment, il est toujours possible d'agir contre une partie du segment, mais globalement, la sécurité du segment est assurée. Nous ne nous attachons donc pas à ce type de menaces mais plutôt aux actions menées par des pays souverains capables de le faire, et au risque de prolifération, pour éviter que des pays proliférants ne parviennent à des niveaux de capacité analogues. Pour le reste, nous sommes relativement bien protégés.
Mon général, vous avez évoqué le durcissement des menaces contre nos satellites. Des recherches sont-elles menées du côté de leur furtivité ?
Quand toute la constellation Galileo sera en place, continuerons-nous à utiliser en même temps le système GPS ?
Nos radars sont-ils en nombre suffisant pour garantir notre indépendance d'observation ?
Enfin, quel regard portez-vous sur le Centre spatial guyanais ? Est-il suffisamment sécurisé ? Est-il concurrentiel ou devrions-nous le diversifier ?
J'aimerais revenir sur l'absence de volet dédié à l'espace dans la PESCO, à la suite de mon collègue Jacques Marilossian. Avez-vous des précisions à apporter à ce sujet ?
Par ailleurs, quelles sont les forces françaises présentes au sein du Centre satellitaire de l'Union européenne, le SatCen, basé à Madrid ?
Je crois savoir, Mon général, que vous avez été inscrit sur la liste d'aptitude pour la troisième étoile : permettez-moi de vous présenter par avance mes sincères félicitations.
Le 16 août 2016, la Chine a réussi le lancement du premier satellite expérimental de communication quantique, le Quantum Science Satellite. Cette technologie peut-elle arriver à maturité à court terme ? Quel apport peut-on en attendre sur le plan militaire ?
À la question sur la furtivité, ma réponse sera courte : non, il n'y a pas de travaux menés dans ce domaine. Un satellite, par définition, « signe » : il ne saurait être furtif.
Pour les systèmes de positionnement par satellite, nous travaillons sur des récepteurs bimodes compatibles aussi bien avec le GPS que Galileo. Nous comptons sur la complémentarité de ces constellations pour renforcer notre résilience.
Nos radars sont-ils en nombre suffisant ? Actuellement, ils répondent à notre besoin de surveiller et de dialoguer à bon niveau. Pour atteindre la pleine souveraineté et l'autonomie totale, il nous faudrait en disperser un grand nombre sur toute la surface du globe. La surveillance exercée par GRAVES se focalise avant tout sur l'espace au-dessus de l'Europe.
Le Centre spatial guyanais est particulièrement bien situé : pour lancer à moindre coût et à moindre effort sur le lanceur, il faut être plus proche possible de l'équateur et bénéficier de conditions climatiques appropriées, deux conditions que remplit le CSG. Je crois que vous avez assisté au lancement du dernier satellite Galileo : vous avez pu constater que le centre était particulièrement bien protégé.
S'agissant de la PESCO, je dois préciser que la mise à disposition de moyens et de paquets capacitaires relevait auparavant de chaque nation. La question de la surveillance de l'espace à l'échelon européen commence tout juste d'émerger. Elle est davantage prise en compte par les initiatives civiles de l'Union européenne, même si des moyens militaires sont utilisés.
Le SatCen est un outil indispensable, commandé, je le signale, par un général français, le général Pascal Legai, preuve de l'importance que ce centre revêt à nos yeux. C'est une sorte de guichet très évolué qui permet de recueillir images et produits provenant de divers pays et de les redistribuer moyennant finances. Nous avons évoqué le partage des ressources dans le domaine des satellites de communication ; il est évident qu'il faut en faire de même en matière d'imagerie.
Le Quantum Science Satellite chinois, engin expérimental, renvoie à la question de la sécurisation des transmissions. Nos systèmes, grâce au cryptage, sont particulièrement bien protégés contre les agressions des hackers et autres. Néanmoins, les évolutions des capacités « cyber » nous conduiront peut-être à reposer la question, mais nous n'en sommes pas encore là.
Je vous remercie, Mon général, pour toutes les réponses que vous nous avez apportées.
Il me reste, mes chers collègues, à vous souhaiter de belles fêtes.
La séance est levée à onze heures cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Damien Abad, M. Louis Aliot, M. François André, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Jean-Philippe Ardouin, M. Didier Baichère, M. Xavier Batut, M. Thibault Bazin, M. Olivier Becht, M. Christophe Blanchet, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Anne-France Brunet, M. Philippe Chalumeau, M. André Chassaigne, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Stéphane Demilly, Mme Marianne Dubois, Mme Françoise Dumas, M. M'jid El Guerrab, M. Jean-Jacques Ferrara, M. Jean-Marie Fiévet, M. Laurent Furst, M. Claude de Ganay, M. Thomas Gassilloud, Mme Séverine Gipson, M. Guillaume Gouffier-Cha, M. Fabien Gouttefarde, Mme Émilie Guerel, M. Jean-Michel Jacques, Mme Anissa Khedher, M. Bastien Lachaud, M. Fabien Lainé, Mme Frédérique Lardet, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Christophe Lejeune, M. Jacques Marilossian, Mme Sereine Mauborgne, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme Patricia Mirallès, Mme Natalia Pouzyreff, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, Mme Sabine Thillaye, Mme Laurence Trastour-Isnart, Mme Nicole Trisse, Mme Alexandra Valetta Ardisson, M. Patrice Verchère, M. Charles de la Verpillière
Excusés. - M. Bruno Nestor Azerot, M. Florian Bachelier, Mme Carole Bureau-Bonnard, M. Luc Carvounas, M. Alexis Corbière, M. Olivier Faure, M. Yannick Favennec Becot, M. Richard Ferrand, M. Marc Fesneau, M. Christian Jacob, M. Loïc Kervran, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Didier Le Gac, M. Franck Marlin, Mme Josy Poueyto, M. Thierry Solère