À M. Viala, je répondrai que nous devons rester prudents dans l'imposition de normes transversales trop ambitieuses, qui peuvent certes procéder d'une bonne intention mais risquent de se heurter ensuite à d'innombrables contraintes particulières, au point de vider de son sens l'ambition d'origine, comme ce fut le cas, par exemple, pour le principe selon lequel le silence de l'administration vaut accord.
J'ai la conviction intime, et c'est là le sens de ma mission, que nous devons permettre aux agents de l'administration fiscale, par exemple, d'accorder un délai de quinze jours supplémentaire à un contribuable de bonne foi qui aura pris ce temps pour améliorer sa déclaration de revenus. Cela me semble préférable à une mesure normative applicable à tous les cas de figure : il faut faire confiance aux agents publics et les laisser s'adapter ; c'est l'esprit du texte.
Ainsi, le principe du silence valant accord de l'administration doit nous faire réfléchir à la façon dont nous conduisons le changement. Excellente à la base, cette idée a été portée à son paroxysme, mais les études ont montré son inefficacité, puisqu'elle s'est heurtée à une foule de cas particuliers, qui ont donné lieu à autant d'exceptions.
Mme Mörch m'a interrogé au sujet de l'initiative « Comment faire » ainsi que sur le design du service public. À cet égard, je considère que le fil rouge de l'action de la DITP consiste à mettre les manageurs publics locaux en situation de faire. C'est la logique de nos équipes, qui ont bâti cet outil, que de permettre à ceux qui ont une envie de transformation de la mener à bien.
Il est vrai que la direction est porteuse d'une philosophie différente, car sa vision du design consiste à concevoir différemment. Ainsi associons-nous les usagers ; à cet effet nous avons créé un réseau des laboratoires d'innovation publique dont le but est d'associer de la façon la plus directe les usagers à la réforme, et de les inclure dans la fabrication du service public. L'idée directrice du « Comment faire » consiste donc à donner les outils nécessaires à tous ceux qui souhaitent s'engager dans cette démarche.
Je suis en effet persuadé que, si nous voulons réussir, il faut que des milliers d'agents publics et de manageurs, chacun dans leur domaine respectif, prennent l'initiative d'engager des améliorations de service, de transformation et de modernisation. Il s'agit d'une mise en mouvement collective. Car ce n'est pas un texte qui conduira les transformations à leur terme, il doit en créer les conditions de possibilité ; c'est pourquoi il doit offrir le plus d'opportunités possible. Il faut donc développer la démarche la plus transversale possible afin de créer ce contexte favorable.
Par ailleurs, la situation des personnes les plus éloignées du développement du réseau numérique constitue à mes yeux un sujet de la première importance. Si l'administration doit être en mesure d'offrir la possibilité d'effectuer les démarches administratives en ligne vingt-quatre heures sur vingt-quatre – l'objectif du Gouvernement étant d'atteindre 100 % de démarches dématérialisées –, elle ne doit pas moins être en mesure d'accompagner ceux qui en ont besoin.
C'est notamment là le rôle des maisons de services au public (MSAP) ; pour en avoir visité une récemment, je mesure à quel point nous avons les moyens de mettre en oeuvre ce dispositif d'accompagnement. J'insiste sur le fait que sommes capables d'installer ce dispositif, car le numérique est générateur de beaucoup de gains de productivité.
Ainsi vaut-il mieux employer des agents à aider les usagers à se familiariser avec l'outil numérique, concourant par-là à réduire la fracture, que de les cantonner dans des tâches administratives pouvant être dématérialisées. Familiariser le plus grand nombre avec l'outil numérique constitue une préoccupation que le Gouvernement place au même rang que l'impératif de transformation numérique.
M. Le Bohec a posé la question de savoir comment organiser une telle mutation sans qu'elle soit vécue comme un énième plan conçu dans les strates supérieures – ce qui est primordial à mes yeux.
À cet égard, l'initiative prise par le Premier ministre à Cahors illustre bien la volonté qui nous anime de mettre les acteurs en situation et redonner des marges plutôt que de penser la transformation publique par le biais de l'accumulation de textes. Je répète qu'il me semble que l'administration publique a trop longtemps porté trop haut la question normative, comme apprend à le faire le jeune énarque intégrant une administration centrale.
C'est une erreur fondamentale que de consacrer trop d'énergie, de temps et de ressources aux tâches de conception et de fabrication de la norme, quand l'enjeu réside dans l'exécution et dans la qualité du service rendu. On tâche en effet d'établir le cadre normatif et réglementaire le plus parfait possible afin de traiter tous les cas de figure, alors que ce dont nous avons besoin est le cadre le plus souple possible.
Nous devons considérer que nous avons recruté les bons agents publics et les bons dirigeants à qui nous devons faire confiance. Le moment venu, ils seront à même de choisir la bonne solution, et nous n'avons pas à tout prévoir par décret, circulaire ou instruction ; car c'est la tendance naturelle que de ne pas faire confiance.
C'est ce mouvement de déconcentration qui, in fine, nous permettra d'atteindre l'objectif de ce texte. Nous n'aurons pas une administration bienveillante, qui conseille l'usager et soit capable de s'adapter à ses tropismes territoriaux, si ce cadre réglementaire n'a pas été allégé et si l'on n'a pas fait confiance aux agents se trouvant sur le terrain. Il ne s'agit pas de démagogie : c'est à mes yeux la seule façon de gagner en efficacité.
Lorsque nous aurons généralisé les outils propres à mesurer les résultats, les enquêtes montreront la satisfaction du public. Dès lors, ce seront les agents du service public qui interpelleront leur administration employeuse en considérant qu'ils connaissent les causes se trouvant à l'origine des indices de satisfaction médiocres.
Dans le bon sens du terme, c'est toute la structure qui sera ainsi mise en tension vers une seule obsession : l'usager, qui sera remis au centre de toutes les préoccupations.
Nous devons donc collectivement accompagner cette transformation en nous interrogeant sur les besoins des administrations et de leurs agents, plutôt que d'alourdir notre cadre normatif par des réformes tombant du ciel.
Mme Michel a posé une question à laquelle je ne sais pas répondre : un agent public peut-il à la fois être conseiller et contrôleur ? J'observe que cela est le cas dans beaucoup d'administrations. Pour avoir passé quatre ans à Pôle Emploi, j'ai souvent rencontré ce débat, et le choix a finalement été retenu de spécialiser les conseillers dans l'une ou l'autre tâche. En effet, il nous a semblé qu'il ne serait pas possible d'établir la nécessaire relation de confiance entre l'usager et le conseiller si celui-ci devait aussi être celui qui contrôle.
Avant d'aboutir à ce résultat, nous avons pratiqué bien des expériences ; et c'est précisément la philosophie du projet de loi que de créer ces poches d'initiatives et d'assumer essais et erreurs. Aussi, je me garderai de prétendre que la solution trouvée pour Pôle Emploi doit constituer une généralité, car chaque administration doit trouver des réponses propres à l'accomplissement de ses missions.
Mme Cattelot m'a interrogé sur la sécurisation juridique des initiatives prises par les agents publics. Les dispositions du projet de loi permettront à des manageurs publics de se saisir de la possibilité d'expérimenter l'interlocuteur unique, auquel le champ social se prête particulièrement et dans lequel nous pourrions pousser très loin l'expérimentation. Nous devrons ensuite désarmer notre cadre normatif, ce qui constitue une condition indispensable à la libération de l'initiative.
J'observe avec beaucoup d'attention ce que les secteurs public et privé ont fait à travers des initiatives comme « entreprises libérées » ou « administrations libérées ». Il s'agit de savoir comment reconstruire, et l'annonce faite à Cahors par le Premier ministre de la carte blanche confiée à un comité d'experts pour penser la « transformation » de l'administration participe de cette philosophie.
Cette adresse du Premier ministre aux administrations est importante, car elle libère la prise de risque et leur accorde à elles aussi le droit à l'erreur. Ainsi un discours managérial permet d'assumer collectivement la prise de risque, et s'accompagne d'un cadre normatif et réglementaire assoupli permettant aux administrations de prendre des initiatives.
La question managériale renvoie par ailleurs à celle de la formation : comment formons-nous nos cadres du secteur public, quels sont les aspects à privilégier ? Recrutons-nous des profils propres à fabriquer du texte, concevoir de la politique publique et gérer opérationnellement ?
S'agissant des simplifications administratives restant à réaliser, je concède à M. Laqhila qu'elles sont nombreuses. Vous posez par exemple des questions portant sur le recouvrement ; sujet pour lequel je vous renverrai aux travaux réalisés dans le cadre du programme « Action publique 2022 » ainsi que du plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE). Je pense que nous sommes capables d'aller plus loin dans la simplification du paysage administratif ainsi que dans certains champs de politiques publiques, afin d'être plus accessibles à nos concitoyens comme à nos entreprises, tout en étant plus économes des deniers publics.
Vous avez évoqué, madame Motin, le chantier du RNCPS. Je crois que la donnée est un enjeu majeur de transformation de l'action publique. Dans le champ du social par exemple, si nous créons des bases de données plus ouvertes entre les opérateurs du secteur social, nous serons capables demain de délivrer beaucoup plus rapidement des aides, de contrôler la situation, d'éviter de demander à nouveau des justificatifs, et de réaliser des gains de productivité considérables.
Cela est clairement inscrit dans la feuille de route du secrétaire d'État chargé du numérique, Mounir Mahjoubi, qui en a fait une de ses priorités en créant cinq groupes de travail autour de la plateforme numérique de l'État. Cette action qui constituera un levier majeur de changement nécessite un portage politique très fort, car des résistances administratives peuvent être rencontrées. Mais ces résistances ne sont pas de principe : c'est seulement au moment du partage de la donnée que certaines administrations n'en perçoivent pas l'intérêt – ce qui peut se comprendre.
Nous devons donc mettre dans la gouvernance beaucoup d'énergie pour constituer cette plateforme numérique de l'État, qui au-delà, est celle du public : elle permettra de gagner en efficacité ainsi qu'en rapidité, mais aussi de réaliser des économies de fonctionnement.