Intervention de Bruno Parent

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 17h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance

Bruno Parent, directeur général des finances publiques :

Je suis accompagné de Mme Maïté Gabet, cheffe du service du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques, et de M. Édouard Marcus, chef du service juridique de la fiscalité. Je suis donc bien entouré pour essayer de répondre à vos questions.

Je vous remercie d'avoir indiqué que l'administration fiscale n'est pas en retard, pour parler pudiquement, s'agissant du droit à l'erreur. Il m'est arrivé de répondre à des questions des médias sur notre positionnement en la matière. Je le dis sans forfanterie, mais c'est une petite fierté pour notre administration – il en faut y compris pour des questions managériales – de voir que ce projet vise notamment à étendre nos pratiques, dont nos pratiques anciennes, à d'autres entités publiques. Vous avez pris l'exemple du rescrit, c'est-à-dire la prise de position formelle qui nous engage sur une situation de fait. C'est une pratique extrêmement ancienne de l'administration. Nous le faisons à une échelle importante puisque des dizaines de milliers de rescrits sont délivrées chaque année.

L'autre exemple pour lequel nous sommes au coeur du sujet concerne l'erreur versus la fraude. Comme vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, l'erreur, on la comprend bien, d'autant qu'étant porteur avec vous, si j'ose dire, de la complexité de la législation fiscale, notre administration est assez bien placée pour savoir qu'erreur il peut y avoir. En réalité, depuis très longtemps, l'erreur n'est pas sanctionnée. Dans la logique qui est reprise par ce texte lorsqu'il s'agit de sanctionner, c'est-à-dire de mettre des pénalités, la charge de la preuve nous incombe. Pour résumer, cela signifie en quelque sorte, en matière fiscale en tout cas, que la bonne foi est présumée puisqu'il faut faire la démonstration qu'il n'y a pas bonne foi pour mettre une sanction. On pourrait également citer les publications d'instructions opposables et bien d'autres choses encore.

Merci aussi d'avoir évoqué le fait que nous avions évolué et que nous étions tout à fait dans l'esprit du texte que le Gouvernement vous présente.

Sommes-nous au bout du chemin ? Ce texte comporte des améliorations qui continuent à creuser le chemin positif d'une administration qui s'inspire de l'idée de confiance.

Vous me demandez si cela obère nos capacités de contrôle. Objectivement, non pour des raisons à la fois juridiques, institutionnelles et quasi psychologiques et managériales. Notre conception est que, bien au contraire, assurer la sécurité juridique à nos contribuables, savoir séparer le bon grain de l'ivraie, est quelque chose qui légitime, renforce notre capacité à appliquer les sanctions que le législateur a prévues lorsque l'on rencontre une vraie situation de fraude. Face à une législation complexe, nous avons un devoir d'accompagnement, de pédagogie. Lorsque nous nous trouvons dans des situations qui appellent des sanctions – au total, elles sont rares par rapport à l'ensemble de nos entreprises ou de nos concitoyens – notre légitimité est alors encore plus grande pour tirer les conséquences que la loi nous oblige à appliquer, c'est-à-dire l'assiette et les intérêts de retard dont je rappelle qu'ils ne sont pas une sanction mais simplement, comme on dit couramment, le prix du temps. Je pense que notre action est d'autant mieux comprise, même si elle ne l'est pas toujours suffisamment, que nous avons su faire cette distinction. Je ne dirai donc pas que cela obère nos capacités de contrôle, cela les légitime. Or l'acceptation de l'impôt et donc l'acceptation du contrôle – que l'on appelle quelquefois en mauvais français la compliance – est au coeur de notre positionnement dans la République. Notre modeste contribution à l'acceptation de l'impôt permet à nos concitoyens de penser légitimement que nous menons une action en faveur de l'égalité devant l'impôt, c'est-à-dire aussi du contrôle, et notre légitimité tient au fait que nous sommes dans une situation d'accompagnement et de pédagogie en toutes circonstances, avec des outils modernes comme internet, ou au guichet, au téléphone, etc.

Tout à l'heure, j'ai souri lorsque vous avez posé cette question, Monsieur le rapporteur, parce que certains de mes collègues d'autres administrations sont venus me voir en me disant : vous qui le faites depuis longtemps, expliquez-nous comment ça se passe. Et je leur ai donné la même réponse, c'est-à-dire que nous avons une image positive. Or, l'image d'une institution est extrêmement importante, y compris quand elle doit manier des choses moins sympathiques que l'accompagnement.

Vous avez fait allusion au droit au contrôle. Il y a une dizaine d'années, nous avons proposé, et le Parlement a bien voulu l'instituer, une capacité dans la sphère des entreprises à demander un contrôle fiscal. C'est la preuve que les esprits évoluent : à l'époque cela avait fait un peu sourire. Ce dispositif a-t-il connu un succès considérable ? Soyons honnêtes, la réponse est non. On n'a peut-être pas fait suffisamment de publicité. L'existence même du produit en tant que tel avait une vertu : montrer une certaine ouverture, mais peut-être cela sera-t-il différent dans les temps qui viennent. Je le répète, notre expérience en la matière n'a pas conduit à constater une utilisation fréquente de ce texte. Mais il existe, et après tout il ne gêne personne.

La question de la relation de confiance est un peu plus compliquée. Je serai plus rapide parce que, comme vous l'avez vu, le texte proposé renvoie à des travaux complémentaires. La relation de confiance, telle qu'elle a été expérimentée, reposait sur plusieurs idées-forces. D'une part, elle s'adresse à des entreprises plutôt fiscalement en bonne situation. D'autre part, il s'agit de faire une revue de détail très complète de leur situation fiscale, dans des délais assez brefs et même avant la clôture de l'exercice. Force est de reconnaître qu'en dépit de la grande publicité que nous avons faite pour ce dispositif, il n'y a pas eu beaucoup d'entreprises qui se sont présentées pour l'expérimentation. Ce n'est pas très grave d'ailleurs, mais c'est la réalité. Au total, sur trois ans environ, cette expérimentation a été faite avec une vingtaine d'entreprises. Notre avis sur cette expérimentation – dont je vous parle très librement car tout cela n'est pas complètement stabilisé – est qu'elle est assez chronophage, presque autant, voire autant, qu'un contrôle fiscal pour elles comme pour nous, ce dont les entreprises n'étaient pas très ravies, est qu'elle s'adresse plutôt à des entreprises supposées être les plus « dans les clous » si j'ose dire. Étendre cette expérimentation à une échelle plus vaste pose tout de même un sérieux problème.

Nous nous sommes demandé ce qui, au vu de la réalité de l'économie française et de la situation fiscale des entreprises, était le plus utile pour leur développement, pour qu'elles puissent dormir tranquillement sur le plan fiscal, si je puis dire, et qu'elles ne consacrent pas un temps excessif à ces matières car ce n'est pas leur métier. Il nous a semblé qu'il fallait surtout s'intéresser – c'est pourquoi le texte fait allusion à une typologie qui serait un mode de ciblage – aux entreprises qui sont un peu l'économie de demain, celles qui ont par exemple des capacités de recherche importantes, les futures entreprises de taille intermédiaire (ETI), bref tous ces sujets que vous connaissez bien. Ce sont probablement ces entreprises en développement qui ont à la fois le plus de problèmes novateurs à leurs yeux, y compris au plan fiscal, pour lesquelles les enjeux économiques de développement et de croissance de notre économie sont les plus forts et qui sont le potentiel de demain. On pensait concentrer toute notre action sur celles-ci et le faire sans chercher à couvrir l'ensemble des problèmes fiscaux des entreprises, mais plutôt, en dialogue avec elles, cibler des opérations, des objets pour lesquels elles se posent de vraies questions. Si je puis me permettre d'évoquer des contacts que nous avons pu avoir avec certaines d'entre elles, je dirai que les chefs d'entreprise se posent moins la question du taux de TVA qui doit s'appliquer à leurs produits que celle de la manière dont elles doivent racheter une entreprise lorsque c'est la première fois qu'elles le font, ou encore de dire le droit lorsqu'elles créent un objet dont la fiscalité n'avait pas imaginé qu'il existerait et qu'il aurait une vraie utilité. Je pense aux « jeunes pousses » de la nouvelle économie mais pas seulement à elles. Cet accompagnement de nos futures grandes entreprises ou futures ETI avec un ciblage sur des opérations pour établir cette relation de confiance, a aussi du prix dans le temps, c'est-à-dire que, si on les accompagne complètement lorsqu'elles commencent à croître, on peut penser que dans la durée leur comportement vis-à-vis de nous sera plus détendu. Tout à l'heure, j'ai indiqué que l'on délivrait plusieurs dizaines de milliers de rescrits par an, mais on pourrait en délivrer encore plus.

Nous disposons encore pour le crédit d'impôt recherche (CIR) d'une possibilité de rescrit, qui a été amélioré il y a peu.

Toutefois, le nombre d'entreprises qui utilisent et bénéficient très opportunément de ces dispositions montre que nous sommes en dessous des possibilités. Nous pensons – et c'est une pierre dans notre jardin – que c'est parce que des entreprises, ou leurs conseils, considèrent qu'il est préférable de ne pas nous demander d'intervenir, et choisissent de demeurer attentistes.

Cette relation de confiance doit donc se nouer dans la durée, et être fluide, sans arrière-pensée d'une part comme de l'autre. Mais cela n'est pas réalisable avec trois millions d'entreprises, car nous n'avons pas la capacité d'offrir le même service à tout le monde.

Il nous semblait qu'il était économiquement pertinent de mettre des ressources rares – de plus en plus rares à la DGFiP (Sourires.) – au service des enjeux économiques les plus importants. Ce qui nous a conduits à nous concentrer sur les entreprises innovantes, les jeunes pousses, les futures ETI, etc. Toutes choses que la réflexion conduira à définir plus précisément au fil des travaux.

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